« Le droit d'asile est malade. » Lancé par Patrick August, directeur du COMEDE, ce constat s'appuie sur « l'attente interminable, l'angoisse due au désuvrement, la précarisationde ces milliers de personnes maintenues dans une salle d'attente de la société française ».
« Alors qu'on compte en France moins de demandeurs d'asile aujourd'hui qu'à la fin des années quatre-vingt, la condition qui leur est réservée atteint un niveau de dégradation inacceptable », affirment la centaine d'ONG réunies à l'initiative de la Coordination pour le droit d'asile (CDA). Elles lancent un appel en faveur d'une convention nationale pour le droit d'asile en France (voir encadré).
Dix médecins au chevet des demandeurs d'asile
Depuis quelque temps, rapport après rapport, cette dégradation semble faire l'unanimité (Cour des comptes, Commission nationale consultative des droits de l'homme, inspection générale des Affaires sociales).
Le Dr Arnaud Veisse est aux avant-postes pour la confirmer. Agé de 36 ans, ancien de MSF (il a effectué notamment des missions au Rwanda), il est depuis 1996 médecin coordinateur du COMEDE*. Cette association 1901 se consacre à la situation médicale des demandeurs d'asile. L'AP-HP met à sa disposition un centre de santé hébergé par le CHU du Kremlin-Bicêtre (consultations de médecine générale et de psychothérapie, actions de prévention-dépistage, accès aux droits sociaux). Une trentaine de professionnels s'y relaient, dont une dizaine de médecins, la moitié à temps plein, l'autre moitié à raison de deux à trois vacations hebdomadaires.
En 2001, environ 1 600 personnes sont venues consulter ici, la plupart originaires des huit départements franciliens, mais quelques-unes débarquées d'autres régions françaises. C'est surtout le bouche-à-oreille entre ressortissants de même nationalité qui les conduit à Bicêtre.
« Les principaux problèmes que nous rencontrons, explique le Dr Veisse, sont des syndromes anxio-dépressifs plus ou moins marqués, liés au traumatisme de l'exil pour tous les demandeurs d'asile ; les affections de l'exclusion et de la précarité viennent s'ajouter au traumatisme de l'exil et parfois de la torture. On constate, lors de chaque consultation, les conséquences dramatiques sur le plan psychologique et social de la pérennisation d'une situation précaire ou irrégulière qui leur interdit toute intégration. »
En général, les consultants sont des adultes jeunes (en moyenne âgés de 30 ans), sans famille et ne bénéficiant pas d'un hébergement en structures spécialisées. Ils sont souvent atteints des pathologies qui sévissent de manière chronique dans leur région d'origine : SIDA, hépatites, tuberculoses, etc. Chaque année, une soixantaine d'hospitalisations en urgence sont nécessaire. Un chiffre en diminution : « C'est la conséquence des possibilités de prise en charge qui se sont globalement améliorées, estime le médecin coordinateur. En particulier, l'utilisation de la couverture maladie universelle (CMU) a entraîné deux conséquences très positives. D'abord sur la qualité des soins médicaux, en permettant d'obtenir l'ensemble des examens, consultations et traitements spécialisés requis sur des critères médicaux (scanners, échographies et autres fibroscopies), pour en finir avec la médecine à deux vitesses, contrainte inhérente à toute tentative de prise en charge médicale en dehors du droit commun. D'autre part, la CMU a reconnu la dignité du demandeur de soins. Symboliquement, c'est une première reconnaissance des droits et elle constitue bien souvent le point de départ d'un projet thérapeutique. »
Mais la CMU, depuis son instauration en 1999, connaît encore bien des ratés dans le monde des demandeurs d'asile, en raison par exemple du défaut de pièces d'état-civil.
Etat de droit et état des corps
Malgré l'indéniable avancée constituée par cette réforme, seul point vraiment positif du dossier, l'état de santé des demandeurs d'asile se détériore depuis plusieurs années, assure le Dr Veisse. Selon le praticien, c'est « en corrélation étroite et directe avec l'altération de la politique d'asile pratiquée par les gouvernements : carence du dispositif d'accueil et insuffisance, voire inexistence, de moyens de survivre décemment qui prennent parfois un caractère dramatique. Somme toute, affirme-t-il, l'état de droit retentit sur l'état des corps ».
Parmi tous les problèmes qu'ils rencontrent, ces demandeurs d'asile, dont la situation est parfaitement réglementaire, n'ont plus, depuis 1991, le droit au travail, ni à aucune ressource, sinon une allocation d'insertion d'un montant mensuel de 1 800 F.
Ils sont par ailleurs confrontés au problème de la langue, la CMU ne permettant pas la prise en charge de l'interprétariat. Or ce sont plus de 70 nationalités qui fréquentent le centre de santé de Bicêtre et huit interprètes s'y relaient au lieu des douze qui seraient nécessaires selon le Dr Veisse.
Il dénonce enfin ce qu'il appelle « la prime à la torture » : « De plus en plus, déplore-t-il, il ne suffit pas d'avoir fui des persécutions pour être reconnu réfugié, il faut avoir été torturé. Insidieuse et perverse, cette prime à la torture aggrave encore la santé de ces survivants, qui se retrouvent sommés de revivre les sévices infligés par leurs bourreaux, dans des conditions de temps et de lieux qu'ils n'ont pas choisies, et le plus souvent dans l'urgence. C'est une potentialisation dramatique de la souffrance en même temps qu'une restriction de la convention de Genève, laquelle ne subordonne nullement la qualité de réfugié au fait d'avoir enduré des sévices physiques. Le médecin, dans ces conditions, se retrouve pris au piège du mythe de la preuve. »
* COMEDE, hôpital de Bicêtre, 78, rue du Général-Leclerc, BP31, 94272 Le Kremlin-Bicêtre Cedex, tél. 01.45.21.38.40.
Un appel pour une convention nationale
Dans un appel adopté par les associations, à Paris, la Coordination pour le droit d'asile, qui regroupe une centaine d'associations, souligne qu' « à l'échelle des déplacements mondiaux de population, la France dans l'Europe n'accueille qu'un nombre infime de demandeurs d'asile ». Et elle pose la question : « Comment pourrions-nous sans vergogne continuer à nous revendiquer comme défenseurs de libertés fondamentales si la politique d'asile que nous mettons en uvre marque un recul par rapport à nos principes républicains et à nos engagements internationaux ? » Elle demande que soit « très rapidement mise en place une convention nationale pour réunir au-delà des représentants de l'administration qui ont la charge de ces questions, des parlementaires, des ONG impliquées, les organisations professionnelles des acteurs du dispositif, les représentants des instances internationales, etc. Elle se donnera pour mission d'orienter les choix et les positions de la France dans ses discussions avec ses partenaires de l'Union européenne ».
Parallèlement, les signataires jugent « indispensable » que soient prises « dans les plus brefs délais » des dispositions en vue de « mettre fin aux problèmes les plus criants auxquels sont aujourd'hui confrontés les demandeurs d'asile ». Parmi ces mesures figurent notamment :
- l'accès aux procédures qui peut être amélioré par le simple respect des textes en vigueur en matière de domiciliation ;
- les délais d'attente qui peuvent être ramenés à des proportions raisonnables par l'augmentation des effectifs prévus pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les préfecture ;
- les moyens de vivre dignement qui peuvent être apportés en réévaluant au niveau du RMI l'allocation versée aux demandeurs d'asile, et ce, pendant toute la durée de la procédure.
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