Jusqu'à présent, les tentatives effectuées pour corréler la consommation de marijuana avec d'éventuelles anomalies moléculaires se sont focalisées sur le récepteur cannabinoïde CB1. Sans véritable résultat. Si une mutation a bien été mise en évidence dans ce gène (1359 G ->A), il s'agit d'une mutation silencieuse au niveau du récepteur lui-même, et dont la fréquence n'apparaît pas accrue chez les consommateurs. Récemment, un autre acteur du système cannabinoïde a été caractérisé, la FAAH (Fatty Acid Amide Hydrolase), enzyme qui hydrolyse la fonction amide portée par des acides gras tel l'anandamide, qui sont des ligands endogènes du récepteur CB1. Apparemment, la FAAH sert de régulateur au taux d'anandamide. Chez des souris FAAH-/FAAH-, des taux cérébraux du médiateurs jusqu'à dix fois supérieurs à la normale, ont d'ailleurs été observés, et associés à des troubles du comportement à type d'hypomobilité, d'hypothermie, d'analgésie et de catalepsie.
C'est donc cette enzyme qui a été étudiée par les américains. Dans un premier temps, des mutations « fréquentes » (plus de 1 %) ont été recherchées dans une collection de 1 550 séquences du gène. Une transition C->A en 385 a été mise en évidence, aboutissant à la substitution d'une proline par une thréonine en position 129 de l'enzyme. On note que les résidus de 120 à 145 de la FAAH sont extrêmement conservés dans l'évolution, et strictement analogues entre FAAH d'humain, de rat, de souris, de porc ou de bovin.
Questionnaire : drogue, alcool, tabac
Dans un second temps, cette mutation a été recherchée chez des personnes participant à un screening médical. Par questionnaire, ces personnes ont indiqué leurs antécédents éventuels en matière « d'usage de drogue de rue » - comprendre : la marijuana - « d'usage du tabac ou d'alcool », et de « problèmes » avec des drogues en général et avec l'alcool. Ces personnes ont également été questionnées sur leurs antécédents psychiatriques.
La comparaison des réponses au génotype FAAH a effectivement permis de mettre en évidence une corrélation : le statut homozygote pour la mutation semble représenter un risque relatif de 4,5 pour « les problèmes de drogue et d'alcool associés », de 2,2 pour « l'usage de drogues de rue », et de 4,9 pour la combinaison des deux catégories. Le statut hétérozygote n'est, lui, associé à aucun risque particulier. L'abus isolé d'alcool ou de nicotine n'est pas davantage corrélé à un génotype particulier. Enfin, le génotype FAAH est apparu indépendant du phénotype psychiatrique, cela à la fois chez les personnes étudiées déclarant des antécédents psychiatriques, et chez des sujets contrôles, schizophrènes, bipolaires ou autistes.
Dans un troisième temps, les auteurs ont recherché les anomalies métaboliques résultant de la mutation. Dans un système cellulaire transgénique, ils ont pu obtenir des quantités substantielles de FAAH humaine et de FAAH de rat, portant ou non la mutation en 129. Ces différentes protéines ont ensuite été testées dans des systèmes in vitro. L'activité de la FAAH mutée vis-à-vis de son substrat naturel, l'anantamide, ne semble guère différente de l'activité de la FAAH non mutée. La stabilité de l'enzyme, en conditions de dénaturation par l'urée ou la chaleur, semble également conservée par la mutation.
Sensibilité à la dégradation par des protéases
En revanche, la sensibilité de l'enzyme mutée à la dégradation par des protéases, comme la trypsine, semble très augmentée par rapport à la sensibilité de l'enzyme normale.
En présence de la mutation homozygote, donc, la FAAH serait plus rapidement dégradée, et laisserait persister des taux anormalement élevé d'anantamide, conformément à ce que l'on observe chez les souris knock-out, quoique dans des proportions certainement moindres. Ces taux élevés du ligand naturel déréguleraient d'une manière ou d'une autre le système cannabinoïde, rendant le sujet plus vulnérable à la consommation de marijuana, celle-ci constituant apparemment la première marche vers d'autres addictions.
Ces résultats sont intéressants au plan moléculaire. L'interprétation qui fait de l'activation, endogène ou exogène, du système cannabinoïde la porte d'entrée vers une dépendance polymorphe, risque toutefois d'être plus discutée. D'abord, parce que le sujet s'y prête : les auteurs annoncent d'emblée se situer dans la perspective d'une dépendance à la marijuana, quand l'existence de cette dépendance est controversée. Ensuite, parce que l'étude elle-même s'y prête : une cinétique in vitro est tout au plus un élément d'orientation pour interpréter une observation épidémiologique, et ne suffit pas à cette interprétation. Des résultats supplémentaires paraissent nécessaires pour affirmer que la mutation de la FAAH et la consommation de marijuana ont bien l'importance que les auteurs leur donnent.
J C Sipe et coll. « Proc Natl Acad Sci USA », 11 juin 2002, vol. 99, n° 12, pp. 8394-8399.
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