L'OPÉRATION devait lui faciliter la marche, et déboucher sur une nouvelle vie. Hémiplégique de la jambe gauche depuis un accident de la route en 2003, Emmanuel de Mol, 18 ans, a subi une neurotomie partielle le 5 avril dernier pour stopper la spasticité (les tremblements du pied) qui le gêne lorsqu'il se déplace.
Pour cette intervention, il a choisi un chirurgien de renom, à la Timone. Une sommité aux compétences largement reconnues. C'est donc confiant que le garçon se rend au bloc. Au réveil, une douleur le lance à droite. Il alerte l'équipe : «J'ai demandé: “Mais vous êtes au courant que je suis hémiplégique de la jambe gauche?”. Le regard du professeur a changé. “Ah, je crois que j'ai fait une erreur”, m'a-t-il dit. C'est là que tout a basculé», raconte le jeune homme au « Quotidien ».
L'après-midi, sa mère obtient les premières explications : «Au téléphone, le chirurgien m'a dit: “Je suis désolé, j'ai fait une erreur. Je me suis trompé de jambe” Puis il est venu dans la chambre: là, il a reconnu être le seul fautif. Il a dit qu'il assumerait seul la responsabilité de l'erreur», se remémore Corinne de Mol.
La mère et son fils sont sous le choc. Ils veulent comprendre, savoir s'il y aura des séquelles. «J'espérais que cette opération mettrait fin à quatre années de combat. Tout est à reconstruire», se désole Emmanuel de Mol. La famille prend un avocat. Une plainte a été déposée au pénal ; une enquête est en cours. Aujourd'hui, Emmanuel de Mol est en rééducation au centre Renée-Sabran, dans le Var. Il marche encore, mais avec douleur. Le voici reparti pour un long parcours médical. «Mon côté hémiplégique est plus valide que mon côté opéré», observe-t-il.
Très atteint par la déferlante médiatique qui s'est abattue sur lui – «Mon nom a été cité partout» –, le professeur marseillais réserve ses explications à la justice. «J'ai immédiatement reconnu l'erreur par courrier», précise-t-il toutefois au « Quotidien ».
La lettre, communiquée par la famille, se termine ainsi : «J'assumerai bien sûr, comme j'en ai informé Emmanuel et sa famille, toutes les conséquences de cette erreur qui m'est totalement imputable.» Plus haut, le neurochirurgien explique qu'il est «trop tôt pour juger des conséquences neurologiques» de son acte.
L'expertise des suites opératoires sera établie après consolidation, dans quelques mois. «Déjà, le préjudice psychologique est énorme», déclare l'avocat de la famille, Me Jean-Pierre Guy.
A l'hôpital de la Timone, l'émotion est grande. Tout le CHU fait bloc derrière le praticien, non pour contester l'erreur, ou en minimiser la gravité, mais pour le soutenir dans la tourmente. La direction de l'Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM) s'est fendue d'un communiqué où elle exprime tour à tour «ses regrets et son émotion» au jeune patient, et «sasolidarité» au neurochirurgien. «Des erreurs se produisent» malgré le respect des protocoles, «mais en proportion infime» au regard du volume d'actes, ajoute la direction, qui appelle la population à garder confiance «après la survenue d'un incident qui demeure exceptionnel». Le président de la CME de l'AP-HM, le Pr Pierre-Antoine Fuentes, s'en prend à la «grande presse» : «Avoir traîné dans la boue un chirurgien de qualité indiscutable, c'est honteux», lâche-t-il. Quid de l'erreur médicale ? «Ce sont des choses qui arrivent, même si ce n'est pas une raison pour l'excuser», dit le Pr Fuentes.
Comment l'impensable a-t-il pu se produire ce 5 avril au bloc opératoire de la Timone ? «J'ai été anesthésié et ce n'est qu'ensuite que j'ai été rasé, du mauvais côté. Pourtant, le matin même, j'ai montré au chirurgien la mycose sur mon pied hémiplégique: cela aurait dû être un repère», relate Emmanuel de Mol. Pour son avocat, des fautes ont sans doute été commises en amont. «Mais le principal responsable, c'est le chirurgien. C'est lui, le boss», estime Me Guy.
Enquête.
A la Timone, une enquête est en cours pour déterminer les responsabilités. Le substitut du procureur qui suit le dossier n'était pas joignable la semaine dernière. Difficile, à ce stade, de prévoir l'issue du procès. Mais, «pour les magistrats, l'erreur de côté est d'une particulière gravité», souligne le Dr Christian Sicot, du groupe d'assurance Sou médical-Macsf. Corinne de Mol, la mère d'Emmanuel, espère que la faute sera reconnue. «Si l'opération avait échoué pour une autre raison, ce serait différent: l'erreur est humaine. Mais le caractère évitable de cette erreur-ci la rend inacceptable», insiste-t-elle.
Sans se prononcer sur le fond de l'affaire, le chirurgien orthopédique François Aubart confirme la lourdeur des responsabilités qui incombe à celui qui opère : «Une erreur de côté implique l'ensemble d'une équipe mais, au final, la responsabilité ultime revient indéniablement au chirurgien.» Pour Jacques Caton, autre chirurgien orthopédique, une erreur de côté est un «concours de circonstances malheureux», une «erreur en chaîne reproduite à tous les niveaux». «Cela peut arriver à tout le monde, y compris aux meilleurs», dit le Dr Caton. Pour sa part, il a pris l'habitude de marquer chacun de ses patients au crayon indélébile avant de les endormir. Deux précautions valent mieux qu'une, mais la parade n'est pas infaillible : «Malgré les procédures, on peut encore se tromper de malade ou de côté, malheureusement, admet le chirurgien. C'est une hantise permanente. D'où l'importance du renforcement de la gestion des risques.»
La prévention des erreurs de côté et de niveau figurera justement au menu d'un colloque organisé par Orthorisq, l'organisme de gestion des risques en chirurgie orthopédique, en novembre 2007.
Dans le cas précis de la neurotomie, « le Quotidien » a sollicité l'éclairage de plusieurs neurochirurgiens pour savoir s'il existe des protocoles à respecter. Aucun n'a souhaité répondre à nos questions. De son côté, le directeur de la Haute Autorité de santé (HAS) apporte la précision suivante : «En France, il n'existe ni norme ni recommandation pour éviter les erreurs de côté, selon François Romaneix . L'organisation des soins dans son ensemble échappe aux normes. C'est une lacune que va combler l'accréditation des médecins, grâce, notamment, à la déclaration des événements porteurs de risque.»
Plusieurs erreurs de côté par an en France
On imagine que les erreurs de côté sont rarissimes. «Il s'en passe plusieurs par jour en France», dément un médecin. Difficile de recenser avec précision ces bavures qui embarrassent le corps médical. Les données statistiques font défaut : l'observatoire des risques médicaux n'a qu'un an, il manque de recul. Pour ne parler que de la région Paca, où s'est déroulé le drame de la Timone, la Crci (Commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux) a traité plusieurs centaines de dossiers depuis 2003, mais aucun relatif à une erreur de côté. Sa présidente, Marie-Florence Bochard, se l'explique ainsi : «C'est tellement lourd que les gens prennent un avocat, et cela va au pénal.»
Les assureurs détiennent tout de même quelques données. La Sham, premier assureur d'hôpitaux publics en France, enregistre une vingtaine de réclamations chaque année pour une erreur de côté. «Sur un total de 4000réclamations de sinistres corporels pour cause médicale, c'est peu», commente le directeur de la Sham, Jean-Yves Nouy. Certaines de ces plaintes sont classées sans suite, pour absence de responsabilité ou de séquelle. D'autres donnent lieu à une indemnisation d'un coût «relativement faible, ce qui laisse penser que le dommage est peu important», complète Jean-Yves Nouy. « Mais il peut y avoir des exceptions.»
De son côté, le Sou médical-groupe Macsf a enregistré 31 déclarations d'erreur de côté entre 1993 et 2002. Soit trois par an en moyenne pour cet assureur qui couvre le quart des chirurgiens libéraux. Fait inquiétant : aucune diminution n'est constatée : il y a eu 11 déclarations en 2003, 2004 et 2005, dont 6 pour la seule année 2005. Les chirurgies orthopédique et ophtalmologique sont surtout concernées, la chirurgie viscérale l'est plus rarement. «Mais les conséquences sont plus graves. Retirer l'unique rein sain peut entraîner la mort du patient. Pour un testicule, c'est la castration, expose le Dr Christian Sicot, secrétaire général du Sou. Les erreurs de côté ne devraient plus arriver si on respectait les procédures. D'autres pays ont des règles strictes. A Genève, par exemple, les infirmières vérifient systématiquement la concordance entre le dossier médical, le programme opératoire, les propos du malade et la signature du chirurgien. Quand cela est respecté, on se rapproche du risque zéro. En France, il faut accepter que la sécurité, cela fait perdre un peu de temps. C'est contraire à la productivité, mais cela vaut la peine.»
Pour information, le Sou médical-groupe Macsf a également enregistré, sur la période 1993-2002, 2 erreurs de personne, 9 erreurs d'intervention, 4 erreurs d'étage (au niveau du rachis) et 3 erreurs de doigt.
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