LE QUOTIDIEN : À la tête de la direction anti-fraudes de la CNAM, comment abordez-vous ce dossier sensible ?
Dr PIERRE FENDER : Derrière le mot de fraude, il y a des choses très diverses. Ma direction a été créée en 2006, et elle a distingué trois concepts : les fraudes qui correspondent à des manquements volontaires ; les activités fautives, pour lesquelles l’intentionnalité est moins forte et ne peut être démontrée. Dans ce cas, on est souvent sur des surcotations ou des surfacturations ; enfin il y a les activités abusives, qui concernent essentiellement les professionnels de santé. Ce sont surtout des abus de prescriptions ou d’IJ.
Où concentrez-vous les efforts de contrôle et de répression ?
Nous mettons le paquet sur tout : nous contrôlons tous les acteurs, les assurés, les professionnels et les établissements. Nous disposons d’outils de détection, avec trois principales sources : nos bases de données, qui nous permettent de construire des indicateurs révélateurs d’atypies. Ce sont des indicateurs chiffrés.
Il y a ensuite les signalements de nos personnels, dénonciations et plaintes de l’extérieur. C’est une source d’informations importante. Un patient peut dénoncer un médecin, une épouse divorcée peut dénoncer son ancien époux, le salarié licencié d’une pharmacie peut dénoncer des comportements. Il s’agit aussi de personnes qui ont un réflexe citoyen. Il y a enfin les échanges de données avec les partenaires. Le RSA « socle » ouvre le droit à la CMU-C. Si la CAF m’informe que l’assuré a fraudé pour le RSA, nous pouvons agir. La lutte contre la fraude ne se fait pas en circuit fermé. Nous avons des relations avec les CAF, la CNAV, les URSSAF, avec les conseils nationaux des ordres.
Chaque année les montants détectés et récupérés augmentent. Est-ce parce qu’il y a plus de fraudeurs ou parce que vous déployez plus de moyens ?
Nous avons 1 700 personnes sur le terrain qui s’occupent de la répression de la fraude et 40 personnes basées au siège. Les fraudes détectées augmentent parce que nous sommes de plus en plus efficaces. Si on recense l’ensemble des sanctions prises au titre d’une fraude à l’assurance-maladie, on en est à 12 par jour ouvré ! Avant 2006, on était à 13 millions d’euros de fraudes détectées, on en est en 2012 à près de 150 millions d’euros !
Certains professionnels ne se font prendre qu’après avoir fraudé sur des centaines de milliers d’euros...
Nous vivons dans une relation de confiance avec les professionnels. Ceux-ci veulent être payés le plus rapidement possible. Il y a des contrôles en amont du paiement puis des contrôles plus tardifs qui explorent la profondeur historique des paiements. Par exemple, certains professionnels envoient leurs feuilles de soins très tardivement, et se permettent d’envoyer la facture une première fois deux mois après son établissement, et puis une deuxième fois six mois plus tard, puis une troisième fois. Nous sommes bien obligés d’avoir un certain recul pour repérer ce type de fraude.
Vous manque-t-il des outils pour mener à bien votre traque ?
Nous disposons de suffisamment d’outils législatifs. Nous avons un arsenal d’actions possibles : pénalités financières (2 000 prononcées en 2012), poursuites pénales (près d’un millier), suites ordinales (plus de 300), suites conventionnelles ou suites civiles. Sur les échanges avec nos partenaires, nous avons les textes nécessaires. Et nous avons désormais des outils statistiques adaptés.
Le député UMP Dominique Tian affirme que la fraude à l’assurance-maladie s’élève à 4 ou 5 milliards d’euros par an...
Je ne me permettrai pas de commenter les propos d’un élu national et il faut prendre garde à distinguer, au sein de ce qu’on appelle la fraude, les activités fautives, les abus, les gaspillages, les excès…
Par exemple : nous avons contrôlé plus de 2 millions d’arrêts de travail en 2012, ce qui a permis 430 millions d’euros d’économies. Mais cela n’est pas à proprement parler de la fraude : ce sont des arrêts qui ont été jugés inappropriés ou trop longs. Si on ajoute cette somme aux 150 millions d’euros de fraudes détectées et stoppées, on dépasse largement le demi-milliard !
Lire notre dossier sur la fraude à l'assurance-maladie
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