LE COMPTE à rebours a commencé pour le démarrage du dossier médical personnel (DMP) en 2007, comme le prévoyait la loi Douste-Blazy du 13 août 2004. En fait, l’échéance du 1er juillet 2007 devait marquer la fin de la généralisation du DMP et le point de départ d’un système de pénalisation financière pour les patients réfractaires. Subrepticement, elle est devenue la date officielle des premiers pas du futur DMP. Ainsi ajusté, ce calendrier politique a été maintenu contre vents et marées par le ministre de la Santé et des Solidarités. Or il semble de plus en plus improbable au regard des embûches rencontrées actuellement par le projet DMP (« le Quotidien » du 21 décembre).
Sélection de l’hébergeur de référence: une succession de ratés
Pour exister, le DMP a besoin d’un hébergeur de référence qui proposera un service de base et fera office de filet de sauvegarde en cas de défaillance de l’un des autres hébergeurs agréés. Le Groupement d’intérêt public (GIP) chargé du DMP doit présenter ce matin un cahier des charges devant la Commission consultative des marchés des organismes de Sécurité sociale (Ccmoss) en vue de l’ouverture d’un troisième appel d’offres. Le premier avait été invalidé par le tribunal administratif de Paris en octobre, après un recours en référé de l’opérateur France Télécom. Le second, non plus ouvert mais restreint à cinq candidatures pour réduire les délais, a été jugé inadapté par la Ccmoss en décembre.
Dans un rapport cinglant divulgué sur Internet par l’association Fulmédico (Fédération des utilisateurs de logiciels médicaux et communicants), la Ccmoss a estimé que le GIP-DMP avait confondu vitesse et précipitation. L’appel d’offres restreint est «non étayé et critiquable», écrit le rapporteur de la Commission, Pascal Penaud. Evoquant des «demandes pressantes du cabinet du ministre» auprès du GIP-DMP, il note que la procédure a été «menée avec un souci de respect du délai, à qui il est donné trop de priorité par rapport à la préoccupation d’un achat efficace (et donc d’un dossier de consultation des entreprises de bonne qualité) et au moindre coût». En outre, le rapporteur de la Ccmoss (consultative) «n’a pas le sentiment que le GIP est en capacité de maîtriser cette procédure».
Quoi qu’il en soit, après la transmission du nouvel appel d’offres ouvert pour publication au Bulletin officiel des annonces des marchés publics, il faudra encore attendre au minimum 52 jours avant la remise des offres. Une fois choisi, l’hébergeur de référence disposerait donc de seulement quelques semaines avant la date de lancement du DMP. Ce qui semble bien court.
De leur côté, les entreprises du secteur représentées par Lesiss (Les entreprises des systèmes d’information sanitaires et sociaux) ont souligné aussi «l’irréalisme» des délais de mise en oeuvre. Lesiss a écrit le 23 décembre au Premier ministre pour l’avertir que, «sans une reconfiguration du projet et de son calendrier», le DMP «court à un échec cuisant».
Une base juridique encore incomplète
En censurant toute une série d’articles du Plfss 2007 (Projet de loi de financement de la Sécurité sociale) pour des raisons de procédure, le Conseil constitutionnel avait taillé en pièces le 14 décembre une partie de la base légale du DMP. Les dispositions censurées portaient notamment sur le dispositif permettant la consultation du dossier sans le consentement du patient en cas d’urgence, l’articulation du DMP avec le carnet de santé de l’enfant et le nouveau dossier pharmaceutique (piloté par l’Ordre des pharmaciens), l’adoption d’un identifiant de santé unique, et les modalités d’agrément des hébergeurs de données personnelles de santé.
Le gouvernement a réintroduit depuis ces dispositions par voie d’amendement dans son projet de loi sur les professions de santé, examiné hier à l’Assemblée nationale en deuxième lecture.
Défense du numéro de Sécu
Le gouvernement envisage de choisir (par décret) le numéro de Sécu ou NIR comme identifiant de santé unique, pour le DMP ou tout autre dossier dans le domaine sanitaire. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) doit rendre un avis fin janvier sur le sujet. En attendant, la pétition lancée par la Ligue des droits de l’homme, l’association Aides (qui a quitté le conseil d’orientation du GIP-DMP en décembre) et l’organisation Delis (Droits et libertés face à l’informatisation de la société) pour protéger le numéro de Sécu et la confidentialité des données personnelles a déjà recueilli plus de 10 000 signatures en ligne (1).
Les lendemains difficiles des expérimentateurs du DMP
Les expérimentations du DMP, amorcées le 1er juin 2006 sur 17 sites répartis dans 13 régions, se sont terminées le 31 décembre. Le GIP-DMP promet un bilan de ces expérimentations «fin janvier». Mais sur le terrain, les professionnels qui ont participé à la création de plus de 35 000 dossiers de patients se montrent inquiets quant au cadre juridique de leur conservation et au financement des nouveaux projets d’alimentation des dossiers de préfiguration du DMP. Le ton monte chez les médecins pionniers.
Après la fin des expérimentations, «on est à la rue pour héberger les données», souligne le Dr Jean-Paul Hamon, en Ile-de-France. «Et, à l’avenir, si le GIP s’entoure d’informaticiens aussi compétents que ses juristes, on a du souci à se faire!», ironise-t-il. Dans une lettre ouverte au GIP-DMP, le Dr Philippe Arramon-Tucoo, responsable DMP à l’union régionale des médecins libéraux d’Aquitaine, pose ses conditions «pour éviter une catastrophe annoncée», en mettant l’accent sur la rémunération des nouvelles tâches imposées aux praticiens.
A toutes ces questions en suspens, le GIP-DMP devra répondre rapidement.
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