APRÈS DES MOIS de crise opposant pouvoirs publics et chirurgiens en mal de reconnaissance, coup de théâtre mardi à midi : à sept jours du départ de 2 000 chirurgiens libéraux en Angleterre, l'association Chirurgiens de France décide de lever le mouvement planifié de longue date. Comment le ministère de la Santé a-t-il obtenu ce dénouement de dernière minute ?
La veille, Philippe Douste-Blazy était parvenu, au terme d'une longue réunion, à mettre d'accord l'ensemble des syndicats libéraux sur un relevé comprenant neuf décisions - la vingtième version d'un texte issu de deux mois de négociations acharnées. Il lui restait à convaincre le plus remonté des représentants des chirurgiens : le Dr Philippe Cuq, chirurgien vasculaire à Toulouse, porte-parole de Chirurgiens de France.
L'ordre venait de haut :<\!p>l'Elysée a invité Philippe Douste-Blazy à tout faire pour éviter l'exil des blouses blanches et « l'humiliation de l'Etat français », rapporte un proche du dossier. Dont acte au ministère de la Santé : « Si on ne faisait rien, (...) nous aurions perdu près de 22 % des effectifs de chirurgiens en 2014. On ne peut pas se le permettre », insistait dans la foulée Philippe Douste-Blazy. « Notre pays, ajoutait-il, doit se redoter de grands chirurgiens ! »
Mardi matin, le Dr Philippe Cuq, toujours décidé à maintenir le déplacement à Londres malgré les engagements du gouvernement à sortir la chirurgie de la crise, est donc reçu, seul, au ministère de la Santé. A sa sortie, il a changé de camp. « Les dernières ambiguïtés sont levées, déclare Philippe Cuq. Nous avons enfin les assurances que nous souhaitions et nous sommes parvenus à un accord avec le ministre de la Santé. Aller à Londres, ça ne nous amusait qu'à moitié. En conséquence, nous levons le mouvement de la semaine prochaine. »
Soulagement du côté de l'avenue de Ségur - le triomphe modeste, Philippe Douste-Blazy salue « le début d'une confiance retrouvée » -, mais aussi des syndicats, qui craignaient que le Dr Cuq adopte une attitude jusqu'au-boutiste : « Avec les avancées considérables obtenues pour l'ensemble des chirurgiens, ce départ n'a plus lieu d'être et, en plus, il nuirait à l'image que l'opinion publique a des chirurgiens », commente le Dr Jacques Meurette, président de l'UCF (Union des chirurgiens français).
La crise dénouée.
Dans la foulée de cette ultime discussion, le ministère de la Santé a organisé une séance de signature avec les syndicats de médecins libéraux représentatifs. Ont donc signé le relevé de décisions, outre le directeur de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), Daniel Lenoir, le Dr Michel Chassang (président de la Confédération des syndicats médicaux français - Csmf), le Dr Dinorino Cabrera (président du syndicat des médecins libéraux - SML), et le Dr Félix Bénouaich (président d'Alliance).
Pour sa part, le Dr Jean-Claude Régi (président de la Fédération des médecins de France - FMF), réunit son bureau ce jeudi soir pour en décider.
Le second volet de l'accord, relatif au secteur chirurgical hospitalier, a, quant à lui, été signé hier (voir encadré).
Pour ne parler que du volet libéral, le plan chirurgie est « efficace, concret et précis », de l'avis même de Philippe Cuq. Il s'agit d'un « texte parfait, dont chacun des neuf points est essentiel », renchérit le Dr Jean-Gabriel Brun, président de l'Uccsf (Union collégiale des chirurgiens et spécialistes français).
Les mesures prévues reprennent certaines des propositions du Conseil national de la chirurgie, à la grande satisfaction de son président, le Pr Jacques Domergue. Ce député UMP (Hérault) a réussi à convaincre les chirurgiens que Philippe Douste-Blazy est un ministre de la Santé « différent des autres : c'est le premier à avoir reconnu les difficultés de la profession et la nécessité d'une revalorisation ».
Cette revalorisation intervient à différents niveaux : l'accord prévoit la mise en place d'une politique tarifaire afin de réduire la différence de rémunération entre les chirurgiens du secteur I et du secteur II, la revalorisation des astreintes (forfait de 150 euros dès le 1er octobre 2004), la mise en place, à la même date, de forfaits modulables au profit de onze spécialités chirurgicales considérées comme sinistrées (notamment la chirurgie générale, digestive et vasculaire), en complément des tarifs de la nouvelle nomenclature (Ccam) et en remplacement des contrats de bonnes pratiques professionnelles, assurant une revalorisation de 12,5 % des actes, ainsi que le renforcement de l'aide à la souscription d'une assurance (jusqu'à 7 000 euros en secteur I et 5 600 euros en secteur II). En parallèle, Philippe Douste-Blazy va demander aux assureurs de s'engager à stabiliser leurs primes.
Réouverture du secteur II pour les anciens chefs de cliniques.
Mais l'argent ne suffira pas à attirer les jeunes. Pour régler le problème de la désaffection de la chirurgie, une commission va définir un nouveau cadre pour la formation des internes, tandis que sera poursuivie l'augmentation du nombre de postes d'internes en chirurgie. Une cellule est chargée d'élaborer un plan de modernisation des technologies des blocs opératoires en 2005 et le plan de financement correspondant.
Dernière des neuf décisions, et pas des moindres, aux yeux des signataires : les anciens chefs de clinique, toutes spécialités chirurgicales et médicales confondues, qui en 1989 n'ont pas fait le choix du secteur II (fermé depuis cette date) auront à nouveau la possibilité de choisir leur secteur à partir du 30 juin 2005.
La création d'un secteur optionnel au plus tard le 30 juin 2005 est également évoquée, mais cette décision est renvoyée aux négociations conventionnelles. Si cette idée défendue par les syndicats libéraux, SML en tête, venait à être retenue, le nouveau secteur, ouvert à tous les spécialistes et généralistes de secteurs I et II, permettrait des dépassements d'honoraires de façon plus avantageuse que le secteur II à la fois pour les médecins (la Cnam pourrait participer à leurs cotisations sociales pour les tarifs opposables) et les patients (leur complémentaire pourrait financer les dépassements).
Pour financer le volet libéral du plan chirurgie, le ministre de la Santé a annoncé qu'il mettait sur la table 52 millions d'euros dès la première année (61 millions d'euros la deuxième) mais, d'après plusieurs sources concordantes, cette somme serait très largement dépassée. De quoi faire des jaloux : certaines spécialités, notamment les psychiatres et les anesthésistes, réclament leur part du gâteau. Une réaction qui met en colère le Dr Brun, président de l'Uccsf : « Les chirurgiens ont su se mobiliser en juin 2002 pour le C à 20 euros des généralistes sans contrepartie, on attend un retour de toute la profession », dit-il.
Maintenant que l'accord est signé, la crise de la chirurgie française est-elle enfin terminée ? Si le Pr Jacques Domergue a bon espoir, il émet tout de même une réserve : « Il faut voir comment va réagir la base de Chirurgiens de France. Le mouvement est bien ancré sur le terrain, beaucoup de chirurgiens sont prêts à partir. Comprendront-ils l'accord passé entre le ministère et leur porte-parole ? Je l'espère », conclut le député.
Un compromis spécifique pour la chirurgie publique
Le 18 août, Chirurgie Hôpital France, un mouvement créé cet été pour défendre l'avenir de la chirurgie publique et qui regroupe des syndicats de médecins hospitaliers, les conférences et la FHF (Fédération hospitalière de France), jugeait la situation « dans l'impasse ».
Mais finalement, de même que l'exil symbolique des chirurgiens libéraux est annulé, la journée de grève des chirurgiens hospitaliers prévue le 1er septembre n'aura pas lieu. Les négociations de ces derniers jours se sont révélées fructueuses, si bien qu'hier, la plupart des syndicats médicaux hospitaliers et la FHF signaient au ministère de la Santé un relevé de décisions censées sortir la chirurgie publique de la crise. L'accord comprend un volet sur la formation, un volet sur la réorganisation des blocs et un volet financier. Un contrat activité-qualité va être créé pour valider les compétences du chirurgien, tandis que lui sera allouée une rémunération complémentaire de10 % au premier janvier 2005 et de 5 % au premier semestre 2006. Les astreintes seront revalorisées de 30 % à partir du premier mars 2005. « On sort d'une alerte très forte, je me réjouis qu'un plan chirurgie soit lancé », déclare le Dr François Aubart, le président de la CMH (Coordination médicale hospitalière), qui a signé le relevé.
>>>>>D. CH.
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