« JE VEUX Y METTRE bon ordre ! » Evoquant sur « Europe 1 » la « lutte contre les abus » en général et la question des arrêts maladie en particulier, Philippe Douste-Blazy a affiché sa volonté de s'attaquer à l'augmentation ininterrompue des arrêts de travail depuis 1997 (9 % de croissance moyenne par an, hausse encore plus forte en 2002 en raison de l'explosion - + 19% - des indemnités journalières de longue durée).
Preuve que le sujet n'est ni anodin ni tabou, il a été systématiquement évoqué par le ministre de la Santé lors de ses entretiens avec les syndicats médicaux dans le cadre de la réforme de l'assurance-maladie. A ce stade, Philippe Douste-Blazy n'a pas dévoilé ses intentions précises. Mais il a mentionné une nouvelle distinction éventuelle entre les arrêts de travail « initiaux », « standards », qui resteraient prescrits par le médecin traitant, et les autres prescriptions (renouvellements, IJ de longue durée) qui seraient sous la responsabilité du contrôle médical ou d'autres tiers experts. La mise en place de référentiels de pratique et une meilleure éducation des patients est également envisagée. « On est un des rares pays au monde où l'on peut dire " j'ai droit à la poursuite de mon arrêt de travail " », a déploré Philippe Douste-Blazy sur « Europe 1 ». Selon un responsable syndical, « le dossier préoccupe le ministre, mais il ne sait par quel bout le prendre ». Selon un autre, « la seule certitude, c'est que Douste-Blazy est effaré par l'évolution de ce poste ».
Préretraite anticipée.
Il a sans doute des raisons. Le rapport du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie, qui reprenait les conclusions du rapport Igas-IGF sur les IJ (novembre 2003), était édifiant. Si le vieillissement des actifs entraîne un accroissement de la fréquence et de la durée des arrêts maladie, il n'explique que « 12 % de la croissance des IJ » enregistrée entre 2000 et 2002. Parmi les autres explications, le rapport cite « les marges d'action laissées aux acteurs du système du fait de la faiblesse des contrôles ». Autre constat : de « fortes disparités géographiques » en matière de dépenses d'IJ maladie (du simple au triple entre les départements avec un minimum à Paris et des maximums dans le Sud-Est) mais aussi des médecins qui « prescrivent cinq fois plus d'IJ que d'autres ». Sur les arrêts de courte durée contrôlés de façon ciblée par l'assurance-maladie, « 12,4% présentaient des anomalies en 2001 » ; quant aux arrêts de travail supérieurs à trois mois, leur contrôle systématique théorique serait, toujours selon le Haut Conseil, d'une « efficacité limitée .
Des référentiels inexistants.
Les syndicats médicaux ne contestent pas certaines « dérives », notamment sur les IJ de longue durée parfois utilisées comme un mécanisme de préretraite déguisée chez les salariés de plus de 55 ans. Mais à l'heure où le gouvernement veut rouvrir l'ensemble du dossier, ils mettent en garde contre toute « stigmatisation » des libéraux. Les praticiens mettent en cause la mauvaise volonté de la Caisse nationale d'assurance-maladie (Cnam), qui ne serait guère pressée d'avancer sur ce dossier sensible. « Cela fait deux ans que nous demandons en pure perte des informations pour faire un accord de bon usage des soins (AcBus) sur les IJ, nous avons essuyé des refus systématiques », accuse le Dr Dinorino Cabrera, président du Syndicat des médecins libéraux (SML). L'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (Anaes), qui est censée produire les référentiels de bonnes pratiques, ferait également preuve d'un zèle limité sur les IJ. Ainsi, la Cnam, qui s'est tournée vers l'Anaes depuis plusieurs mois, affirme « ne rien voir venir » pour l'instant.
Si le gouvernement veut s'attaquer aux arrêts de travail, les médecins libéraux exigent également un traitement « équitable » entre les salariés du privé et les fonctionnaires. « Il faut que le contrôle soit transversal », affirme le Dr Michel Combier, président de l'Unof, branche généraliste de la Confédération des syndicats médicaux (Csmf). « Quand on regarde le taux d'absentéisme dans le public, il semble difficile de stigmatiser le monde salarié », ajoute le Dr Pierre Costes, président de MG-France. Pour les libéraux, tous les acteurs doivent balayer devant leur porte. L'hôpital public, dont la responsabilité est engagée dans l'évolution de ce poste de dépenses, mais aussi les patients qui ont parfois tendance à « consommer » des IJ et à faire pression sur leur généraliste. « Un certain nombre de gens vivent ça comme un salaire différé, un avantage acquis », observe le Dr Combier.
Les médecins généralistes, qui prescrivent 74 % des IJ (voir schéma), sont-ils disposés à garder la seule responsabilité des arrêts de travail initiaux, standards ou de courte durée, laissant des « tiers » (médecins-conseils, médecins du travail, commissions Cotorep...) « gérer le reste », comme le suggère le gouvernement ? Les syndicats fixent les lignes jaunes à ne pas franchir. « Le médecin est le seul à même d'évaluer et de fixer l'incapacité de travail dans toute la phase aiguë et active de la pathologie, qu'il s'agisse d'une maladie infectieuse ou d'un cancer, analyse le Dr Costes. En revanche, dès qu'on entre dans une phase stabilisée, un tiers doit pouvoir intervenir et évaluer l'incapacité. » C'est pourquoi MG-France ne « revendique pas » la prescription des arrêts de travail lorsque la pathologie est stabilisée. « Arrêter les gens reste un acte authentiquement médical, insiste le Dr Combier . Mais on peut sans doute trouver un moyen terme. » Une analyse que partage le Dr Cabrera. « On peut parfaitement préciser ce qui relève du médecin traitant et ce qui relève d'autres intervenants, mais qu'on arrête de décréter que les généralistes sont laxistes ! ».
Pour les syndicats, les règles du jeu ne changeront pas du jour au lendemain. « Depuis deux ans, il y a beaucoup de gesticulation sur les arrêts de travail, il n'est pas exclu que ce soit à nouveau le cas », glisse un généraliste pour qui « le gouvernement veut surtout marquer les esprits ».
5,7 % des dépenses d'assurance-maladie
Les indemnités journalières (IJ) maladie du régime général représentent une dépense de 5,1 milliards d'euros en 2002 (soit 5,7 % des dépenses d'assurance-maladie) pour 6,7 millions d'arrêts de travail et 200 millions de journées indemnisées. La prescription d'IJ est surtout le fait des médecins généralistes (74 %), mais ceux-ci ne signent que 53 % des arrêts de plus de quinze jours, contre 20 % pour les spécialistes (surtout des gynécologues, chirurgiens et chirurgiens orthopédiques) et 27 % pour les médecins hospitaliers.
Si la plupart des arrêts de travail sont des arrêts de courte durée (40 % de moins de 8 jours), ce sont les arrêts de longue durée qui pèsent dans la dépense : alors qu'ils ne représentent que 7 % du total, les arrêts de plus de trois mois engendrent 40 % du montant total des prestations versées par le régime général. En 2001, 403 000 arrêts de plus de trois mois ont été contrôlés et 16, 7% des prolongations d'arrêts étaient injustifiées.
Augmentation annuelle des dépenses dIJ maladie (toutes durées) |
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IJ maladie | 1998 | 1999 | 2000 | 2001 | 2002 | 2002/1997 |
En date darrêt | + 8,8 % | + 4,2 % | + 8,8 % | + 7,5 % | + 10,1 % | + 46,0 % |
En date de paiement | + 6,6 % | + 5,2 % | + 7 % | + 8 % | + 13,3 % | + 46,8 % |
Source : DSS, Cnamts (données en valeur) |
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