PRATIQUE
Hypothèses sur la fonction économique
Une douleur banale peut donc évoluer en une douleur extrême invalidante, chez certains malades, à la suite d'une exacerbation de la tension corporelle qui depuis toujours est chez eux un facteur de malaise permanent, tension qui correspond à un excès d'excitations destructrices intérieures qu'ils essayent souvent de maîtriser en les réprimant férocement ou de décharger dans une hyperactivité permanente.
Nos hypothèses sur la fonction économique de cette douleur extrême et la prédisposition à une telle évolution se vérifient dans les prises en charge thérapeutique dont nous allons évoquer un exemple.
Histoire de M. B.
Ce patient de 50 ans, complètement immobilisé et recroquevillé sur une douleur « épouvantable », demande que « son nerf dorsal, blessé, dénudé » qui, selon lui, a perdu son enveloppe protectrice, soit visualisé au scanner. On peut entendre cette demande comme un besoin que soit vue et reconnue sa blessure narcissique de dépouillement, récemment réveillée par un projet de contrat de travail avec son frère. M. B. a, en effet, travaillé avec acharnement et dévouement dans l'entreprise agricole familiale, dont légalement, suivant l'organisation du père, ce frère est seul propriétaire, « et maintenant que je ne peux plus travailler, je n'ai plus rien, même pas une maison à moi », dit-il sur un ton résigné. Il n'a jamais protesté contre cette situation car, dans la famille, « on est toujours resté uni, sans jamais aucun conflit ; une belle famille, comme voulait mon père ».
Bien que la réponse à sa demande de scanner ait été fermement négative, M. B. repart du service « regonflé » ; son mal extraordinaire n'a pas changé mais il a retenu l'authentique attention de toute une équipe valorisée par lui. L'autorité ferme des prescriptions du chef de service, qu'il a trouvé dur comme son père, a réussi à contenir le débordement des excitations désorganisantes. Son père, chef de famille de 10 enfants, a manqué d'attention à son égard, « il était distant, il travaillait tellement... Il était très dur et très fort », inaccessible et idéalisé comme un « surhomme », extrêmement sensible à la pression sociale, rendant service à tous ; il avait une dette à payer à la société : il avait travaillé dur depuis l'âge de 9 ans pour relever l'honneur familial déchu par la ruine de ses parents ; mais ça n'avait pas suffi, il fallait aussi que les enfants continuent à payer, en renonçant à détourner leur destructivité au dehors et en montrant un dévouement exemplaire dans le travail.
A la consultation qui suit sa sortie de l'hôpital, M. B. nous surprend par son bien-être apparent, alors qu'il nous dit que sa douleur n'a pas changé ; son visage radieux nous fait penser qu'il évolue maintenant dans sa douleur comme un poisson dans l'eau. Etant donné le large sourire de ce patient quand il évoque les contraintes qu'elle engendre, la douleur apparaît avoir pris un caractère érotisé, source d'une jouissance de lui-même ignorée.
M. B. connaît un mieux-être à vivre qui fait plaisir à voir, il a repris le tracteur quatre heures par jour, il surveille les animaux et aide son frère à gérer les comptes de l'entreprise agricole.
Le travail en équipe pluridisciplinaire
Une part de la restauration narcissique de M. B. vient de la rencontre avec une équipe, dont l'organisation et la structuration claires et précises s'appuient sur la réalisation, dans l'effort et le plaisir partagé, d'un objectif de travail commun : l'atténuation du mal-être du malade douloureux et l'amélioration de sa qualité de vie. Cette équipe, qu'il valorise et investit fortement, propose à M. B. un projet thérapeutique réaliste, rigoureux ferme et exigeant, où il a accepté de s'engager en devenant, par des efforts durables, un patient suffisamment satisfaisant et satisfait. Cette satisfaction commune aux deux parties, soignants et soigné, est nécessaire pour fidéliser l'investissement du projet thérapeutique dans le temps. On est loin ici d'un idéal démesuré de guérison magique, en tout et tout de suite, qui ne peut conduire à long terme qu'à la déception, voire à la rancune mutuelle et à la répétition de la mortification qui enferment le malade dans un cercle vicieux.
La psychothérapie de relaxation
Parmi la palette de soins indiqués pour ces malades, la psychothérapie de relaxation me semble particulièrement adéquate. Cette psychothérapie propose au patient de prêter attention, au cours d'une séance hebdomadaire, à l'état de détente ou de contraction de son corps et de répéter cette attention, seul, trois fois par jour. Elle peut dans un premier temps permettre au besoin d'autoemprise du malade de s'exercer, via la musculature, de façon plus globale et plus modérée sur tout le corps et pas de façon hyperconcentrée sur la zone douloureuse.
Peu à peu, dans un cadre ferme et rigoureux, qui oppose des limites au débordement d'excitations destructrices, avec le soutien de l'investissement du thérapeute et de son regard, le malade peut retrouver une sécurité de base et une liberté de jeu, entre se relâcher passivement et se contracter activement. Ce jeu peut ouvrir la voie à un certain plaisir autoérotique, starter de la réorganisation psychique. Cette réorganisation primaire va aider à resituer la douleur actuelle dans l'histoire du sujet. En retrouvant du maintien et du sens, les excitations destructrices peuvent s'articuler dans des liens psychiques qui les canalisent, les organisent et tempèrent leur excès. Le besoin du recours à la tension corporelle qui tentait de les maîtriser peut diminuer et alors la douleur peut durablement s'atténuer.
Conclusion
Dans les douleurs chroniques invalidantes, il semble souhaitable que l'objectif thérapeutique ne se fixe pas sur la disparition rapide et totale du symptôme douloureux extrême, dont nous avons vu qu'il pouvait avoir acquis une fonction plus ou moins vitale, mais que l'équipe thérapeutique vise plutôt un mieux-être global du malade, qui laisse la place à des investissements autres que la douleur.
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