De notre correspondante
à New York
Un devoir de la médecine consiste à soulager la souffrance. Toutefois, le traitement de la douleur chronique demeure un défi clinique majeur, en dépit des récents progrès réalisés pour mieux comprendre les mécanismes de la douleur. Les antalgiques actuellement disponibles comprennent, d'une part, les inhibiteurs de la cyclooxygénase (aspirine, paracétamol, AINS) et, d'autre part, les opiacés (comme la morphine) qui stimulent les récepteurs pour les opiacés endogènes (ou endorphines). Il existe en effet chez l'homme au moins un circuit modulateur de la douleur : le système opiacé endogène. Il comprend trois types de récepteurs (mu, delta, et kappa) qui sont activés par les endorphines codées par les gènes opiacés (respectivement, propiomélanocortine, proenképhaline et prodynorphine).
La protéine DREAM (pour Downstream Regulatory Element Antagonistic Modulator) a été identifiée il y a deux ans dans une étude in vitro, comme un répresseur transcriptionnel possible du gène prodynorphine. Cette protéine se fixe directement à une séquence spécifique d'ADN (DRE) trouvée dans le gène prodynorphine et dans d'autres gènes, et réprime ainsi la transcription du gène, réduisant ainsi la production de la protéine (dynorphine pour le gène prodynorphine). DREAM est aussi le premier facteur de transcription régulé directement par la fixation de calcium. Lorsque le calcium se fixe sur la protéine DREAM, celle-ci ne peut plus se fixer à l'ADN et ne réprime plus la transcription. Il restait à savoir quel est le rôle de la protéine DREAM in vivo.
Des réponses très atténuées à la douleur
Cheng et coll., dirigés par le Pr Josef Penninger de l'Institut Amgen à Toronto (Canada), ont maintenant élucidé sa fonction physiologique. Ils ont examiné des souris knock-out, privées du gène dream. Ces souris montrent des réponses très atténuées à la douleur aiguë (thermique, mécanique, ou chimique, et cutanée ou viscérale), la douleur inflammatoire et, plus intéressant encore, à la douleur neuropathique (douleur chronique résultant d'une lésion nerveuse).
Ces souris sont par ailleurs totalement normales et ne semblent pas présenter de baisse de la fonction motrice, de l'apprentissage ou de la mémoire. Ces souris ont des taux accrus d'ARNm de prodynorphine et de protéine dynorphine dans la moelle épinière, et la réduction de la douleur est attribuée à l'activité des récepteurs opiacés kappa.
En résumé, concluent les chercheurs, « DREAM sert d'interrupteur transcriptionnel pour réprimer et déréprimer les modulateurs endogènes de la douleur ».
Ces travaux « étonnants », selon le Pr Penninger, interrogé par « le Quotidien », « identifient une cible complètement nouvelle pour le contrôle de la douleur et expliquent comment, tout d'abord, nous pouvons ressentir la douleur ». « Apparemment, 20 % des gens souffrent de douleur chronique », précise-t-il.
Selon le Pr Michael Salter, directeur du Centre universitaire de Toronto pour l'étude de la douleur et coauteur de l'étude, « ces résultats désignent une nouvelle approche pharmacologique pour la prise en charge de la douleur. Les chercheurs se mettront à la recherche de médicaments qui bloquent la capacité de DREAM à se fixer sur l'ADN ou tout simplement qui empêchent la production de DREAM ».
La décennie de la recherche
« La douleur est un énorme problème silencieux de santé publique qui commence tout juste à être abordé par les chercheurs », ajoute le Pr Salter. « Le fait que le gouvernement américain ait déclaré la décennie 2001-2010 comme la Décennie de la recherche et du management de la douleur atteste de la sévérité de cette crise. Cette déclaration souligne une conscience croissante du vaste problème de la douleur non traitée ou sous-traitée, et nous espérons que cette recherche contribuera d'une façon significative aux efforts actuels par les chercheurs pour relever ce défi. »
« Cell » du 11 janvier 2002, p. 31.
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