Qu'est-ce qui fait que la plupart d'entre nous tremblent de peur quand ils croisent une voiture de police, s'inquiètent lorsqu'ils reçoivent une lettre de la Direction des impôts, n'ouvrent jamais une porte sur laquelle est inscrite la mention « Interdit au public » alors que d'autres n'hésitent pas à incendier des voitures, à agresser un conducteur de bus ou à sauter par-dessus un tourniquet de métro ?
L'autorité de l'Etat n'a jamais été aussi bafouée qu'aujourd'hui : des chauffeurs de poids-lourds ou agriculteurs qui bloquent la circulation aux casseurs qui profitent d'une manifestation pour saccager le mobilier (et même l'immobilier) urbain, la grande majorité des « sauvageons » demeurent impunis. Ce désordre croissant donne des idées aux bourgeois habituellement respectueux de l'ordre établi, comme Marcel Campion, le propriétaire de la grande roue qui trône dans le jardin des Tuileries à Paris, dans l'axe triomphal qui va du Carrousel à la Grande Arche.
M. Campion avait obtenu de l'ancien maire de Paris, Jean Tiberi, l'autorisation de planter sa roue au cur d'un ensemble architectural lentement construit au cours des siècles, et se comporte aujourd'hui comme s'il apportait sa propre contribution à cette superbe élaboration esthétique.
Ce n'est pas qu'une grande roue ne soit pas belle, surtout la nuit, quand elle scintille de tous ses feux. Mais le mélange des genres est insupportable. Paris est un spectacle somptueux qui exprime le plus subtil des raffinements. C'est une féerie classique, dont on pourrait dire, à la manière des correspondances de Baudelaire, qu'elle renvoie à Bach et à Descartes. Je veux bien que M. Tiberi, un peu comme la Révolution a ouvert au peuple les palais royaux, ait souhaité, pour un temps, attirer les Parisiens vers le plus haut lieu de la capitale en y ajoutant une sorte de friandise. Mais son initiative n'était pas du meilleur goût.
Bien entendu, on n'omettra pas les objections des partisans de la grande roue, pour qui la pyramide de Pei ou les colonnes de Buren représentent des taches iconoclastes jetées sur un tableau d'essence divine. Mais, d'une part, ils ne font pas l'unanimité et, d'autre part, au moins ces actes artistiques du XXe siècle ont été voulus par l'Etat, fût-il mitterrandien.
M. Campion devait démonter la roue le 7 janvier et ne l'a toujours pas fait, alors que le nouveau maire, Bertrand Delanoë, lu propose des sites alternatifs plus adaptés à la fête foraine.
On ne reprochera pas à M. Delanoë, assez soucieux des intérêts du peuple pour lui livrer des espaces piétons de plus en plus vastes, d'avoir préféré l'autorité à une démagogie dont M. Campion, qui campe sur un site prestigieux, fait le meilleur usage en termes de recette. M. Campion a tout fait pour gagner du temps, c'est-à-dire de l'argent, avant que M. Delanoë, contraint et forcé, le traîne en justice. En référé aujourd'hui, un tribunal rendra son jugement. On veut espérer qu'il décidera de faire démonter, de gré ou de force, la roue des Tuileries. Après tout, on a bien fait sauter la statue du Mandarom, et on avait raison.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature