La réforme de l'assurance-maladie en questions

Dossier médical : les médecins ne veulent pas d'un Big Brother

Publié le 24/05/2004
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AFIN D'ÉVITER LES ACTES redondants et de faciliter la coordination des soins, Philippe Douste-Blazy a annoncé la mise en place d'un dossier médical partagé pour tous les Français (1). Celui-ci devrait être développé dans les deux ans. « D'ici à trois mois, tous les médecins auront mis en commun ce qu'ils ont sur chaque malade », a assuré le ministre de la Santé et de la Protection sociale, qui compte économiser de 6,5 à 7 milliards d'euros d'ici à 2007 grâce à ce nouvel outil.
« Ce système entraînera des économies, mais ce n'est pas sa vertu première. Il va nous permettre d'améliorer notre exercice, et donc la santé des gens. Il assurera une meilleure traçabilité du patient et il obligera les acteurs de santé à échanger », prédit le Dr Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français (Csmf). Après quinze ans d'attente, les syndicats de médecins ont salué « une avancée pour la régulation médicalisée ». Cependant, le Dr Pierre Costes, qui préside MG-France, n'a pas manqué de rappeler que le dossier médical informatisé ne constitue pas la panacée aux problèmes de communication entre médecine de ville et hôpital: « Un système non coordonné le restera, même avec l'informatique », prévient-il.
L'annonce ministérielle reste entourée de nombreuses zones d'ombre. La firme qui aura la charge de diffuser le dossier médical n'est toujours pas connue, un appel d'offres a été lancé auprès des industriels par le ministère. De même, on ne sait pas si le déploiement de ce dossier s'effectuera géographiquement, région par région, ou en fonction de la gravité de la pathologie. On sait en revanche que ce fameux dossier comportera les données médicales du patient : consultations, prescriptions et examens, mais aussi les interventions à l'hôpital, ainsi qu'un carnet de prévention. Tenu par le médecin traitant, il devrait être accessible par la carte Vitale. Des professionnels de santé, qui expérimentent depuis plusieurs années l'échange de données médicales au sein de réseaux informatisés, redoutent surtout que le dossier médical ne serve de mouchard. « Nous ne voulons pas d'un coffre-fort électronique où toutes les données seraient stockées en clair. Pas de Big Brother », s'exclame le Dr Jean-Claude Régi. Le président de la Fédération des médecins de France (FMF) s'inquiète d'une éventuelle centralisation des données médicales, accessible à tous les médecins. « Cela romprait la clause de confidentialité garantie par la récente loi du 4 mars 2002 sur le droit des patients », poursuit-il. Le Dr Richard Sion, président de l'Association médicale pour une maîtrise de la E-santé libérale indépendante coopérante et ouverte (Ammelico), partage cette crainte. « Depuis quatorze ans, je réfléchis au meilleur moyen d'échanger les informations médicales. Le dossier médical partagé (DMP) est à la fois une mauvaise solution et un vrai problème. Que cherche-t-on à faire aujourd'hui, améliorer la qualité des soins ou réduire leur coût ? », interroge le généraliste lillois. « Par peur d'être "fliqués", les médecins et les patients risquent d'avoir un réflexe d'hostilité pour le DMP. »

L'expérience plaide pour la répartition des données.
Alors, plutôt que d'imposer un dossier exhaustif, qui comprendrait l'intégralité des examens biologiques, radios et comptes rendus opératoires en plus des indispensables renseignements sur le patient (nom, âge, antécédents, allergies, vaccinations...), les Drs Sion et Régi demandent l'éclatement des données médicales sur plusieurs serveurs. Des expériences locales ont prouvé la simplicité et l'efficacité de cette méthode, appelée dossier médical publié réparti. Depuis mars 2000, 700 médecins généralistes et spécialistes, 150 laboratoires d'analyses ainsi que des cliniques et hôpitaux de Lille et de ses environs partagent l'information médicale par messagerie électronique.
Dans un rapport remis en janvier 2003 à Jean-François Mattei, le Pr Marius Fieschi soulignait déjà l'intérêt d'une répartition des données médicales : « L'informatisation ne tend pas nécessairement vers une centralisation des données. Dans les faits, on assiste à une délocalisation avec échange de l'information. Il ne faut donc pas voir le dossier médical comme une somme d'informations plus ou moins centralisée mais comme un partage possible de données conservées dans des lieux différents par les professionnels. »

(1) Le ministre devait préciser hier à Toulouse ses orientations pour la mise en œuvre du dossier médical.

> CHRISTOPHE GATTUSO

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7546