Le Forum social européen (FSE) qui termine demain ses nombreux travaux, colloques et manifestations dans la région parisienne, montre, par son ampleur, que les altermondialistes, naguère antimondialistes, ont constitué une force internationale avec laquelle tous les gouvernements et les partis politiques doivent compter.
Le FSE regroupe néanmoins des composantes fort disparates. On y trouve des mouvements comme ATTAC, dont la vocation est de venir en aide aux chômeurs, des écologistes, des socialistes, des communistes, des gauchistes ou trotskistes en grand nombre mais pas forcément unis, et, bien que le préfixe « alter » sonne mieux que « anti », les altermondialistes sont davantage réunis par l'hostilité ou même la haine (du patronat, du pouvoir, de l'autorité, de la démocratie parlementaire) que par un programme commun bien défini.
Liberté de parole
Or le FSE, comme celui de l'année dernière à Florence, et comme toutes les grandes manifestations contre les institutions internationales ou européennes, attache un prix immense à la liberté de parole. De sorte que tous ceux qui participent à ses débats sans titre particulier, mais avec leur culture et leur éloquence, ont trouvé une tribune. Quant à tirer une synthèse de cette tour de Babel, c'est une autre histoire.
Nous ne cherchons pas à vider ce grand rassemblement de son contenu. Quelques grands thèmes ont été largement exposés : les effets souvent injustes du commerce international, la non-prise en compte de l'environnement dans l'activité industrielle, la stagnation alarmante, parfois critique, des pays pauvres, notamment en Amérique latine et en Afrique, le cynisme des grandes puissances dans leurs rapports entre elles et avec les pays en développement, l'inefficacité ou même la contre-performance des méthodes du FMI et de la Banque mondiale.
La répétition des rencontres et rendez-vous du mouvement a pour but de rappeler que les altermondialistes existent, qu'ils sont plus actifs que jamais, qu'ils rassemblent de plus en plus de personnes. Elle sert en outre à marteler ses thèmes dans l'esprit des opinions publiques, ce qui permet aux « alter » d'être courtisés par tous les partis politiques, y compris ceux de la droite.
Cependant, l'expérience montre que l'union se forge dans les revendications et se dissout dans l'exercice du pouvoir. Au sein du FSE en particulier et du mouvement altermondialiste en général, existent de profondes divergences, celles-là même qui font que l'ex-gauche plurielle en France est en train de voler en éclats sous la pression de Lutte ouvrière et de la Ligue communiste révolutionnaire ; que la social-démocratie n'a rien à voir avec le marxisme ; que l'exigence de justice sociale est infiniment plus facile à exprimer qu'à satisfaire. Et de la même façon que les deux mouvements trotskistes français se complaisent depuis des années dans une opposition stérile qui n'a absolument pas empêché les partis de la gauche classique d'exercer le pouvoir, les altermondialistes, peut-être sans le savoir, sont plus heureux dans le débat, la manifestation et l'imprécation que dans l'exercice du pouvoir, si, à Dieu ne plaise, ils pouvaient en disposer.
Pour s'en convaincre, il suffit de se souvenir d'un événement récent, l'échec des négociations de l'Organisation mondiale du commerce, notamment sous la pression de l'Inde et du Brésil. Cet échec a été accueilli comme un triomphe par les antimondialistes. Pourtant, si une partie du tiers-monde a rejeté des propositions (des pays industrialisés) qu'elle jugeait insuffisantes, elle n'a pas eu non plus ce qu'elle désirait. Et, en attendant, des réductions de tarifs douaniers n'ont pas été adoptées. Tout le monde en pâtit, y compris les pauvres.
Un « alter » qui a réussi
On ne peut donc pas dire que le sens de la responsabilité étouffe les altermondialistes qui, par ailleurs, abritent dans leur sein beaucoup d'agités désireux de contribuer, à travers le mouvement, au chaos mondial, à leur rêve d'un grand soir, à une révolution. Cela rappelle l'interruption du journal télévisé de France 2, lundi dernier, par des intermittents du spectacle. Lorsque le présentateur, David Poujadas, a donné le micro à une porte-parole, elle a lu un texte qui ne disait rien des revendications des acteurs, mais se contentait d'affirmer, et pas de manière très intelligible, qu'une forme d'autoritarisme règne en France. La nullité du texte exposait la distance qui sépare la pensée de l'action. Au moment d'agir, au moment de s'adresser à des millions de téléspectateurs, de saisir le pays de leurs doléances, des personnels en grève depuis cinq mois n'ont plus rien à dire sur leur propre condition.
Toutefois, il y a un altermondialiste qui a accédé au pouvoir et qui l'exerce intelligemment. C'est Ignacio Lula da Silva, dit Lula, élu président Brésil, qui appartient à la gauche paysanne, et qui pouvait tourner le dos à l'économie de marché. Il ne l'a pas fait. Le Brésil et le monde sont soulagés. Il lance une série de réformes qui, comme dans la France de M. Raffarin, s'attaquent à un régime de retraites impossible à financer et à une fonction publique pléthorique et ruineuse. Lula, pourtant, est l'archétype de l'altermondialiste. Mais il a compris que la politique n'est jamais que l'art du possible et qu'il ne peut pas voler au secours des pauvres sans accroître au préalable la richesse du pays.
En tout cas, les « alter » feraient bien de méditer son exemple. Ou bien ils sont « trahis » par Lula ; ou bien ils ne le sont pas, et sont donc condamnés, lorsqu'ils accèdent au pouvoir, à appliquer les recettes de la social-démocratie, assorties, bien sûr, de la rigueur commerciale et financière sans laquelle il n'y a point de salut. Si leur clameur indispose, il suffit de leur donner le pouvoir. On verra bien alors de quels miracles ils sont capables.
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