PARMI LES SEPT VERSIONS de « Don Carlo », c'est la version milanaise de 1884, en italien, excluant le premier acte et le ballet, qu'a choisie Riccardo Chailly ; encore y a-t-il ajouté quelques coupures de son cru.
Le metteur en scène allemand Willy Decker a cherché dans son travail à revenir vers une vérité historique, imprimant à ses personnages des comportements assez excessifs qui ne vont pas toujours dans le sens de la musique et de la dramaturgie verdiennes.
Ainsi l'Infant est-il un personnage très agité, avec une motricité bizarre aggravée par un costume à culotte bouffante qui lui donne plutôt l'air d'un enfant affublé d'une couche-culotte qu'un prince de vingt-trois ans au moment de l'action. Decker a aussi levé un peu de la rigueur de la cour d'Espagne, estompant ce protocole rigide qui pourtant est la garantie de l'inexorable solitude des personnages et de leur incommunicabilité. Le résultat n'est pas toujours convaincant d'autant qu'une certaine monotonie s'installe rapidement dans le décor unique qui sert de cadre à toute l'action.
L'importance de ces représentations, outre d'enrichir le répertoire du Nederlandse Opera d'un autre opéra majeur de Verdi, est qu'elles marquent la fin de la collaboration exemplaire du chef italien Riccardo Chailly, avant son départ pour Leipzig, avec le Koninklijk Concertgebouworkest, à la direction musicale duquel Riccardo Chailly est entré en 1988. Cet orchestre, un des trois meilleurs en Europe avec les philharmoniques de Vienne et de Berlin, traditionnellement de couleur « nordique », a en presque vingt ans, sous la baguette de Chailly, acquis ses lettres d'italianité. La somptuosité sonore des cordes et leur fondu légendaire, l'incroyable précision et richesse sonore des vents et cuivres, la couleur d'ensemble aux tonalités franches et nostalgiques sont une véritable réussite qui assure un plus indéniable à la réalisation d'ensemble. « Don Carlo » est un ouvrage dans lequel l'orchestre doit savoir aussi s'effacer quand il se passe sur scène un grand moment d'émotion vocale. En cela la direction de Chailly n'est pas toujours exemplaire car prompte à sacrifier des pans entiers de drame théâtral à la somptuosité orchestrale.
La distribution réunie pour ces représentations était certainement une des meilleures possibles à réaliser aujourd'hui. La basse britannique Robert Lloyd, sorti de sa retraite récemment annoncée pour remplacer László Polgár initialement prévu, est un interprète aguerri du rôle de Philippe II qu'il a chanté notamment dans la légendaire production de Lucchino Visconti en 1983 au Covent Garden de Londres. Si la voix aujourd'hui est plus grise que naguère il reste superbe d'autorité dans ce rôle central.
La prise de rôle du ténor mexicain Riccardo Villazón, qui est un des ténors les plus en vue du moment (voir « le Quotidien » du 10 mai dernier) dans le rôle-titre pour ses débuts au Nederlandse Opera, a un peu déçu. Le rôle de l'Infant est très lourd dramatiquement et hormis quelques scènes et duos dans lesquels la beauté de son timbre et la délicatesse de son phrasé font merveille, il est un peu dépassé par le format vocal dans les moments les plus dramatiques de l'œuvre comme dans la scène de l'autodafé qui est le point central de son rôle.
Le baryton américain Dwayne Croft, débutant aussi sur cette scène, est un magnifique Posa, très investi dramatiquement malgré une prononciation pas toujours exemplaire et un réel manque de cantabile. Le Grand Inquisiteur de la basse finlandaise Jaakko Ryhänen était d'une très belle tenue. Le soprano britannique Amanda Roocroft, pour ses débuts dans le rôle et sur la scène du DNO, malgré une certaine dureté des aigus, présentait avec des possibilités dramatiques réelles le personnage de la reine Elisabeth de Valois. Pas de problème de présence dramatique ni vocale pour le mezzo-soprano d'origine lithuanienne Violeta Urmana, déployant une grande somptuosité de timbre et une grande autorité dans les deux airs de la Princesse Eboli.
Un « Don Carlo » qui, malgré toutes ces réserves, reste une des productions les plus excitantes vues sur cette scène durant cette saison et qui, par sa distribution, le parti pris de sa mise en scène et la somptuosité de son orchestre dirigé par Chailly en fin de mandat, vaut bien les quatre heures de Thalys jusqu'à la capitale néerlandaise.
Muziektheater Amsterdam (00.31.20.6.255.455), les 16, 19, 22, 25 et 27 juin. Prochain spectacle : « Writing to Vermeer » de Louis Andriessen et Peter Greenaway (reprise) du 9 au 16 juillet.
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