LE QUOTIDIEN DU MEDECIN - Le ministère de l'Agriculture a été condamné à publier la liste des sites d'essai d'OGM. Jugez-vous que les pouvoirs publics informent suffisamment les citoyens sur la recherche publique concernant les OGM ?
La mise sur le marché et la dissémination dans l'environnement de plantes génétiquement modifiées suscitent depuis quelques années de nombreuses controverses en France. Elles soulèvent des questions de fond sur la place des biotechnologies en Europe, et plus généralement sur l'avenir de l'agriculture européenne, son impact sur l'environnement et sur les exigences croissantes et légitimes des citoyens européens en matière d'éthique et de qualité - notamment sanitaire - des produits alimentaires. Ces questions requièrent des conditions de transparence encore imparfaites aujourd'hui et la participation de la société civile à la prise de décisions dans ce domaine se révèle une nécessité. Dans ce contexte, la réglementation a été amenée à évoluer au cours des dernières années. La loi du 9 juillet 1999 a mis en place des procédures et des contrôles de surveillance biologique du territoire. En matière de plantes OGM, une surveillance postérieure aux autorisations, lors de la dissémination dans l'environnement, est ainsi prévue, sous contrôle d'un comité de biovigilance et des services de la protection des végétaux, afin d'éviter tout effet non intentionnel. Très récemment, la directive 90/220 relative à la dissémination volontaire des OGM a été révisée (directive 2001/18), afin d'améliorer notamment les conditions de l'évaluation des risques (harmonisation, élargissement du champ, risques indirects et différés), la transparence (étiquetage qui passe par la traçabilité de tous les produits issus d'OGM, participation du public, élargissement des registres publics d'OGM), les conditions de prévention et de précaution (durée limitée dans le temps des autorisations, biovigilance, suppression à terme des gènes marqueurs de résistance à des antibiotiques).
Dans notre pays, les rapports d'activité des deux commissions d'experts qui suivent la recherche sur les OGM, ainsi que les conclusions du Comité de biovigilance sont tenus à disposition du public. Je souhaite toutefois aller plus loin dans l'association de la société civile aux travaux des commissions d'expertise. Quant à la transparence sur les sites d'essai d'OGM, elle s'impose de toute évidence.
Renforcer l'évaluation
Estimez-vous que les risques pour l'environnement, comme la transmission par pollinisation ou les croisements intervariétaux, sont maîtrisables ?
Les modifications introduites, ou les propriétés totalement nouvelles qui peuvent être conférées à un organisme génétiquement modifié, ou encore la possibilité de franchir la barrière d'espèce, soulèvent de sérieuses questions sur les risques potentiels susceptibles d'apparaître, à la fois sur la santé humaine et sur l'environnement.
La difficulté pour le retour d'expérience dans le domaine des risques pour l'environnement (transfert du caractère nouveau à une espèce proche, impact direct ou indirect sur la faune ou la flore) conduit à admettre qu'il y a bien dissémination vers les écosystèmes de propriétés végétales souhaitées par les constructions des variétés en cause. Or, pour la plupart des essais concernés, nous avons besoin de travaux et de temps supplémentaires pour pouvoir conclure sur la bonne maîtrise des risques.
Cette maîtrise des risques nécessite le renforcement du dispositif d'évaluation et de contrôle des plantes transgéniques, d'une part, et de l'information des citoyens, d'autre part.
L'action du gouvernement va dans ce sens depuis novembre 1997. Toutefois, la problématique environnementale est encore incomplètement abordée dans la réglementation en vigueur, même si les améliorations récemment apportées tant sur le plan européen et national que sur le plan international, la feront évoluer dans un sens plus rigoureux et complet ; cette évolution permettra, par exemple, de prendre en compte les effets indirects ou différés des OGM dans le cadre de la biovigilance. Ainsi, l'ensemble des conséquences liées à l'utilisation à grande échelle d'un herbicide auquel un OGM est tolérant pourront être couvertes.
Le maïs Starlink, créé par le géant de la biotechnologie Aventis, a été accusé, pour la première fois aux Etats-Unis, de provoquer des réactions allergiques chez l'homme. Que répondez-vous à ceux qui craignent des risques pour la santé : allergie, mais aussi résistance aux antibiotiques ?
Le maïs Starlink a été autorisé aux Etats-Unis pour l'alimentation animale uniquement, et non pour l'alimentation humaine. On l'a pourtant trouvé dans des aliments destinés à la consommation humaine. Cela démontre toute la difficulté à fonder une politique de protection de la santé et de l'environnement sur des limitations d'usage dont il est ensuite difficile de contrôler la parfaite application.
Pour ce qui concerne les craintes liées aux allergies ou à la résistance aux antibiotiques, il est clair que les procédures d'évaluation préalable à la mise sur le marché doivent impérativement permettre une connaissance de ce risque au moins aussi bonne, et même meilleure, que pour les autres produits (non OGM) mis sur le marché. En outre, la directive 2001/18 prévoit l'interdiction progressive des gènes marqueurs de résistance aux antibiotiques.
Un impact à évaluer
Malgré la décision française de maintenir le moratoire sur l'autorisation de culture de nouveaux OGM (en vigueur depuis juin 1999), certains réclament un référendum national. Y êtes-vous favorable ?
Le maintien du moratoire s'impose tant que des règles d'étiquetage et de traçabilité exhaustives, dont la mise en uvre doit être assurée dans toutes les hypothèses, ne sont pas opérationnelles. En outre, une définition précise du régime de la responsabilité environnementale en ce qui concerne les OGM est indispensable.
De manière plus générale, l'impact social et économique de l'utilisation des OGM sur l'agriculture doit être évalué. Si les biotechnologies sont toujours présentées comme un secteur fortement créateur d'emplois, cela reste à démontrer pour les biotechnologies végétales. Les risques de dépendance accrue de l'agriculture, notamment dans les pays en développement, vis-à-vis de quelques grandes sociétés multinationales sont également posés.
Si certaines utilisations des techniques des biotechnologies sont probablement utiles pour la santé et la qualité de la vie, d'autres répondent manifestement, notamment dans l'agriculture, à des motivations différentes. Un référendum « pour ou contre les OGM » serait probablement trop simplificateur. En revanche, le débat de société doit se poursuivre sur l'ensemble des questions que nous venons d'évoquer.La représentation nationale du Parlement aura également à débattre de ces sujets, notamment à l'occasion de la transcription de la directive 2001/18.
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