Dominique Lecomte : toute la lumière sur le « Quai des ombres »

Publié le 01/09/2003
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Un nouveau-né trouvé dans un sac-poubelle sous le siège d'un wagon du RER, une petite fille de 2,3 kilos, bien formée, née à terme, le cordon ombilical déchiqueté. Un petit garçon de 7 ans, trouvé noyé dans sa baignoire. Un noyé putréfié, des liens autour du cou, un bandeau sur les yeux et le nez, un sac plastique recouvrant la tête, les mains menottées. Un homme frappé à coups de pied, de poing, brûlé avec des cigarettes, ébouillanté sur tout le corps...

Corps déchiquetés, mutilés, ensanglantés, verdâtres ou noirâtres, fragments d'os, lambeaux de chair, parfois putréfaction et vermine, avec cette odeur âcre et profondément troublante. Au fil des pages, les souvenirs du Pr Dominique Lecomte, après quinze ans passés à la tête de l'Institut médico-légal (IML) de Paris (« le Quotidien » du 17 septembre 2002), forment une sombre litanie où l'horreur le dispute au macabre - on n'oserait pas reproduire ici certains paragraphes.

L'odeur du petit matin

Et pourtant ! Pourtant, de ces évocations qui frisent souvent l'insoutenable, une sorte d'hymne à la vie s'échappe. Quand l'auteur raconte que, pour travailler le soir chez elle sur des dossiers difficiles, elle cuisine en même temps, préparant une intervention aux assises en faisant cuire une blanquette : « L'odeur du veau qui mijotait me rassurait pendant que je reconstruisais les trajectoires des balles mortelles. »« Quel bonheur, lâche-t-elle plus loin, de respirer l'odeur du petit matin, la Seine coule tranquille, le soleil perce le ciel blafard, j'ai l'impression d'embrasser la ville. » Dominique Lecomte avoue qu'elle est comme une plante, elle a « besoin d'eau et de soleil »... D'ailleurs, n'a-t-elle pas voulu refaire un vrai jardin avec des plates-bandes en fleurs dans le patio de l'IML, alors qu'à son arrivée ce n'était qu'une vague cour envahie par la végétation ?
On referme ce livre singulier en se disant qu'il reflète bien « la chance » qu'a son auteur « de pouvoir passer avec facilité d'une atmosphère à l'autre, du monde des vivants à celui des morts, de pouvoir faire le vide et changer d'ambiance comme on saute un gué ».
Le commun des mortels, avec son unique traversée du Styx, l'antique fleuve des morts, ne peut que se sentir admiratif devant tant de vitalité. Et ému, quand, à la dernière page, l'auteur finit par avouer sa fragilité : « Le besoin, toujours, de se ressourcer dans la douceur du moment présent », d' « être prise dans les bras et d'y rester un moment, blottie. »

« Quai des ombres, vingt ans au service des morts », Fayard, 286 pages, 18 euros.

Ch. D.

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7373