LE MATERIEL réutilisable pose trois problèmes : celui du nettoyage et de l’entretien, les procédures sont complexes, il faut décontaminer, stériliser et stocker ; celui de l’usure due aux stérilisations successives, notamment depuis qu’une circulaire de 2001 impose une stérilisation à 134° pendant 18 minutes, les lames des laryngoscopes finissent par perdre leur intensité lumineuse ; enfin, celui du risque infectieux résiduel qui persiste malgré toutes les précautions prises. Par ailleurs, la réglementation impose une traçabilité tout au long du processus de stérilisation, alors que les lames de laryngoscope ne sont souvent pas gravées. Autant d’arguments en faveur du recours au matériel à usage unique…
Des risques d’erreur à chaque étape de la stérilisation.
«Malgré la décontamination, il peut persister des traces non visibles de sang ou de produits protéiques, en particulier au niveau des petits recoins de la lame du laryngoscope et du masque laryngé, remarque le Pr François Gouin. Des études réalisées avec des révélateurs de sang ou de protéines ont montré qu’il en persiste, dans 20% des cas environ, sur des lames pourtant considérées comme propres.» Or la persistance de ces traces protège certaines bactéries et virus, qui ne sont plus détruits au cours de la stérilisation. Il existe donc bien, en théorie, un risque infectieux résiduel lié aux erreurs de procédures.
Et ce n’est pas le seul. Il en existe un autre, lié à l’existence d’agents transmissibles non conventionnels (les protéines prions), car, en cas de contamination des instruments, il faudrait une température de 700 °C ou de la soude caustique pure pour les anéantir, ce qui reviendrait à détruire le matériel ! Or ce risque de contamination n’est pas nul. En effet, dans le cas du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, le prion peut s’accumuler dès le début de la maladie au niveau des amygdales. Comme l’intubation provoque des micro-ulcérations des amygdale, les lames de laryngoscope peuvent être contaminées par des lymphocytes provenant des amygdales et susceptibles de contenir un prion. Les techniques de stérilisation habituelles n’ayant aucun effet sur les prions, le risque théorique de transmission aux malades suivants ne peut être écarté.
Quelle place pour le matériel à usage unique.
Sous réserve de ne pas prendre d’autres risques, le matériel à usage unique a donc été conseillé chaque fois que possible. Mais il n’est pas toujours aussi performant que le matériel réutilisable. Et dans un certain nombre de cas, il peut même être dangereux ! A titre d’exemple, le Pr Gouin rappelle qu’au Royaume-Uni, en 2001, à la suite du décès de malades atteints du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, il a été proposé d’utiliser, pour les amygdalectomies, des instruments chirurgicaux à usage unique. «Mais, poursuit-il, dans les mois qui ont suivi, les ORL ont rapporté une augmentation des saignements et un décès en raison de la mauvaise qualité du matériel, au point que le ministère a dû revenir sur sa décision!»
Le problème est le même pour les lames de laryngoscope jetables : celles en plastique sont souvent de mauvaise qualité, rendant parfois difficile une intubation a priori facile et provoquant un échec d’intubation lorsqu’elle est difficile. Pour le vérifier, une étude a été réalisée par le groupe d’anesthésistes de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, publiée en 2006 dans la revue « Anesthesiology » sur des intubations en urgence sur estomac plein, où il faut intuber très vite sous peine de prendre un risque d’inhalation (crash induction). Un premier groupe de 137 malades a été intubé avec une lame classique et un second groupe de 147 patients avec une lame plastique. Il y a eu 4 échecs d’intubation dans le premier groupe contre 25 dans le second. Mais lors d’un nouvel essai avec une lame classique, tous les patients en échec dans le second groupe ont été intubés sans problème. L’équipe en a conclu qu’il ne fallait pas utiliser les lames en plastique pour des intubations en urgence sur estomac plein. Il semble qu’il faille disposer de matériel traditionnel à portée de main, pour toute intubation au cas où elle se révélerait difficile. Pour le Pr Gouin : «En attendant d’avoir des lames jetables de bonne qualité et en quantité suffisante –sur 8 à 9millions d’anesthésies par an, 3,5millions se font avec intubation–, on ne peut proposer du matériel à usage unique pour toutes les intubations. Ce serait prendre un risque réel (échec d’intubation) pour éviter un risque virtuel de transmission du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob!»
D’après un entretien avec le Pr François Gouin, chef du service d’anesthésie-réanimation de l’hôpital La Timone, CHU de Marseille.
Un vrai casse-tête
Quand on découvre aposteriori que du matériel a été utilisé chez un patient atteint de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, il doit être détruit. Se pose la question de savoir s’il faut prévenir ou non les malades qui y ont été exposés, pour les alerter. Le ministère a laissé aux médecins le libre choix de prendre cette décision. «Mais il semble vraiment difficile de contacter un ancien malade pour lui dire qu’il a peut-être un risque de déclarer une maladie dont on ne connaît pas la période d’incubation (très longue), qui est toujours mortelle et pour laquelle il n’y a jamais eu de preuve qu’un laryngoscope puisse la transmettre!», souligne le Pr Gouin.
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