Par le Pr JACQUES BRINGER*
Les bénéfices.
Les grandes études publiées au cours des dernières années, comparant en particulier l'effet des glitazones à d'autres produits de référence (PROACTIVE, ADOPT, DREAM, RECORD), ont renforcé les preuves de certains bénéfices des glitazones. Tout d'abord, leur efficacité sur le contrôle glycémique et en amont sur la prévention du diabète. Ensuite, la durabilité de cette efficience avec une prévention du déclin insulinique se traduisant, dans l'étude PROACTIVE, par une réduction du nombre de patients nécessitant une insulinothérapie.
Il résulte de cette efficacité des glitazones un bénéfice potentiel sur les complications microvasculaires spécifiques du diabète (rétinopathie, néphropathie et neuropathie) non remis en cause, mais non démontré à ce jour sur la base d'études randomisées. Autre acquis des glitazones, la réduction de la stéatose hépatique (concernant 50 à 70 % des diabétiques de type 2) et des lésions de stéato-hépatite (plus de 20 % des diabétiques obèses), stéatose et NASH pouvant renforcer l'insulinorésistance et l'échappement progressif aux traitements antidiabétiques, y compris à l'insuline.
ADOPT, en montrant une réduction des transaminases ALAT, confirme l'effet très remarquable de la pioglitazone et de la rosiglitazone sur la stéatose et la stéato-hépatite, effet bien démontré par imagerie et histologie.
Les inconvénients.
Les grandes études confirment aussi les quatre inconvénients connus des glitazones indépendamment du produit prescrit. Une prise de poids de 3 kg en trois ans avec la pioglitazone dans l'étude PROACTIVE et 5 kg en cinq ans avec la rosiglitazone dans l'étude ADOPT est retrouvée. Ainsi, à cinq ans, les diabétiques traités par glitazones ont en moyenne 7,7 kg de plus que ceux traités par metformine et 3,2 kg de plus que ceux du groupe glyburide. Même s'il s'agit avant tout d'une augmentation du tissu adipeux sous-cutané, l'impact respiratoire, cardio-vasculaire, articulaire et sur la qualité de vie n'est pas déterminé à long terme et probablement non négligeable chez certains patients.
Par ailleurs, le risque de survenue d'oedèmes est confirmé dans les essais PROACTIVE, DREAM, RECORD et ADOPT. Dans cette dernière étude, des oedèmes sont signalés chez environ 15 % des patients traités par glitazones, soit environ 1,5-2 fois plus que ceux sous metformine ou glyburide. L'étude DREAM de prévention primaire du diabète retrouve 6,8 % d'oedèmes sous rosiglitazone contre 4,9 % sous placebo, soit une différence de 50 personnes sur les 2 500 suivies dans chaque groupe.
Enfin, les différentes études concordent pour indiquer un doublement du taux de fractures ostéoporotiques chez la femme par rapport à la fréquence observée en moyenne avec metformine et glyburide (9,3 % sous rosiglitazone, 5,08 % sous metformine et 3,7 % sous glyburide). Ces données sont compatibles avec l'évolution de la densité osseuse constatée sous glitazones.
L'ensemble des études confirme également la plus grande fréquence des épisodes d'insuffisance cardiaque congestive sous glitazones dont l'incidence des formes sévères reste cependant faible : dans l'étude ADOPT, 1,5 % dans le groupe rosiglitazone contre 1,3 % sous metformine et 0,6 % sous glyburide.
Les résultats intermédiaires (3,7 ans) de l'étude RECORD montrent plus d'un doublement de la fréquence de l'insuffisance cardiaque dans le groupe rosiglitazone (1,7 %, soit 38 patients), par comparaison au groupe traité par l'association sulfamides-metformine (0,7 %).
L'étude PROACTIVE allait dans le même sens. L'effet de rétention hydrosodée de cette classe thérapeutique pourrait rendre compte de cet effet secondaire.
La controverse.
En revanche, d'autres points restent incertains. La métaanalyse récente du « New England Journal of Medicine », incluant 42 essais cliniques randomisés de la rosiglitazone d'une durée supérieure à deux ans, a fait l'objet d'un vif débat contradictoire en relevant une augmentation significative du risque d'infarctus du myocarde (+ 43 %) et une élévation de 64 % du risque de décès d'origine cardio-vasculaire n'atteignant cependant pas la signification statistique en raison de la variabilité des taux de mortalité observés dans les différents essais.
A la suite de cette publication, le débat sur l'innocuité ou non de la rosiglitazone a mis l'accent sur certains points faibles de la métaanalyse publiée : durée des essais pas homogène, impossibilité d'accès aux données individuelles, mais simplement aux résultats globaux des études incorporées, diversité du relevé des événements en fonction des études, absence de possibilité d'analyser les effets secondaires en fonction des doses ; enfin, exclusion des essais thérapeutiques qui ne rapportaient aucun événement cardio-vasculaire. De plus, le groupe contrôle se compose à la fois de patients sous ADO et sous placebo alors que leur risque respectif peut être différent. D'ailleurs, l'analyse du risque tenant compte de ces sous-groupes ne fait pas apparaître de significativité. Cependant, la force de cette métaanalyse est d'avoir inclus le résultat d'études non publiées qui peuvent toujours représenter un biais par rapport à celles publiées qui rapportent plus volontiers des résultats favorables. De surcroît, trois autres métaanalyses font état de résultats proches, mais ne montrent pas d'augmentation significative des mortalités cardio-vasculaire et globale. Les résultats intermédiaires de RECORD sont plus rassurants encore, sans lever totalement l'incertitude.
L'essai PROACTIVE étudiant l'effet de la pioglitazone sur les événements macrovasculaires des diabétiques n'a pu objectiver un effet significatif sur l'objectif principal composite regroupant la mortalité et les événements cardio-vasculaires. Cependant, la mise en évidence d'une réduction du risque à partir d'un critère secondaire de suivi associant infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral et mortalité de toutes causes a conduit à retenir le bénéfice (– 16 %) de la pioglitazone dans la prévention du risque de certains événements cardio-vasculaires confirmé par une métaanalyse récente de 19 essais cliniques qui retrouve cependant une augmentation de 41 % du risque d'insuffisance cardiaque sévère.
L'effet apparemment plus favorable de la pioglitazone sur certains paramètres lipidiques (LDL et triglycérides) a pu être évoqué pour expliquer ces résultats…
En pratique, quelle attitude adopter ?
Il y a trois façons d'informer un patient en l'attente des données futures :
– la première, « alarmiste », est de décliner les résultats bruts des métaanalyses en se focalisant sur les inconvénients comme si la prise de poids et les oedèmes importants survenaient chez tous, alors que ces derniers concernent de 7 à 14 % des patients. Dans le même sens, il est possible d'appuyer sur le risque d'insuffisance cardiaque ou d'infarctus sans préciser que leur incidence est de 1,5 à 1,7 % contre respectivement 1,3 et 1,4 % pour la « bonne vieille metformine » dans ADOPT. Cela représente en fait un différentiel de 3 ou 4 patients sur les 1 440 inclus dans chaque groupe. En n'oubliant pas de préciser qu'il existe une augmentation des fractures ostéoporotiques périphériques chez certaines femmes… Avec ça, si un diabétique accepte de prendre ou de poursuivre ce traitement, c'est qu'il est, pour le moins, peu inquiet de nature.
– La seconde approche, « réductrice », tout aussi inappropriée, est d'occulter sciemment le débat en réfutant des données qui émettent un doute sur la balance bénéfices/risques cardio-vasculaires de cette classe thérapeutique essentiellement du fait des défaillances cardiaques.
– L'attitude appropriée et responsable du médecin doit, comme à l'accoutumé, tenir compte de ces données nouvelles, en les nuançant par le discernement propre à l'acte médical nourri de l'acquis des études antérieures et de l'expérience clinique quotidienne.
Tout d'abord, dire et répéter aux diabétiques que traiter intensivement et conjointement le contrôle glycémique et les facteurs de risque associés est très efficace sur la prévention des complications micro- et macrovasculaires, comme l'ont montré, entre autres, les études UKPDS et STENO 2 et tout récemment ADVANCE avec toujours un gain notable des stratégies thérapeutiques intensives.
La faible incidence des événements cardio-vasculaires observée dans les études actuelles peut d'ailleurs traduire l'amélioration générale de la prise en charge des diabétiques. Ils bénéficient aujourd'hui des prescriptions de statines, d'antihypertenseurs et d'antiagrégants plaquettaires, si bien que le suivi des essais cliniques de « non-infériorité » des antidiabétiques doit être très prolongé (de six à sept ans pour les études ADVANCE et RECORD) pour en apporter la démonstration.
Bien informer le patient.
Il est bien sûr essentiel d'informer le diabétique des raisons et des bénéfices attendus de la prescription des glitazones : insuffisance d'une mono- ou bithérapie, meilleur contrôle glycémique, durabilité de l'efficacité avec prévention du déclin insulinique au-delà de celle des insulinosécréteurs et de la metformine, report de l'insulinothérapie ou réduction des doses d'insuline.
Effet bénéfique, enfin, sur une stéatose ou une stéato-hépatique génératrice d'une pathologie propre et, de surcroît, impliquée dans l'échappement thérapeutique dû au renforcement de l'insulinorésistance.
Enfin, et surtout, par-delà ces effets favorables, une réduction attendue des complications oculaires, rénales et de neuropathie qui font la spécificité du diabète qui ne se résume pas à un facteur de risque cardio-vasculaire. Tout cela n'est pas rien ! Aborder les incertitudes cardio-vasculaires actuelles est incontournable, en précisant que des effets défavorables sur le coeur peuvent survenir chez certains bien qu'aucune étude ou métaanalyse n'ait à ce jour apporté, avec cette classe thérapeutique, une mortalité cardio-vasculaire ou globale plus élevée.
Il convient aussi de préciser au patient qu'il ne suffit pas de baisser la glycémie pour réduire automatiquement le risque cardio-vasculaire, car un médicament hypoglycémiant peut avoir de surcroît des effets délétères propres en agissant sur d'autres paramètres, tels que la prise de poids et la rétention hydrosodée. Une surveillance attentive reste la meilleure sécurité avec deux cibles indissociables : la maîtrise de l'HbA1c et celle du poids. Si une thérapeutique antidiabétique atteint l'un de ces deux objectifs en favorisant l'échappement excessif de l'autre, l'avenir est incertain ! Un antécédent d'infarctus du myocarde ou une cardiopathie ischémique avec une fraction d'éjection inférieure à 40 % doit conduire à réfuter la prescription de glitazones. La survenue d'oedèmes évidents et une importante prise de poids doivent savoir faire remettre en question la poursuite du traitement.
Finalement, en pratique, il s'agit de moduler les informations de « macromédecine » issues des métaanalyses par la justesse de l'indication, le suivi individuel et la qualité de l'information et de l'éducation du patient qui représentent l'essence même de l'acte médical.
* Maladies endocriniennes, CHRU Montpellier.
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