Thrillers médicaux

Docteurs es polars

Publié le 16/01/2006
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"La nuit interdite", de Thierry Serfaty

Détournement de sommeil

PRÉSENTÉ comme un médecin qui « fait de la veille scientifique dans un institut d’information et de formation médicale », Thierry Serfaty s’impose au fil de ses romans comme un des maîtres du thriller médico-psychologique. Après « le Sang des sirènes », prix polar 2000, « le Cinquième Patient » et « le Gène de la révolte », il commence un cycle qui va explorer les mystères de la personnalité humaine, dont le sommeil, thème de ce roman, est une composante essentielle.

Le récit commence brutalement par l’assassinat de Stefania Strelli, psychiatre, et de son bébé dans son berceau. Le médecin venait de laisser son mari en traitement dans le centre de mieux-être, qui accueille des personnes souffrant de névroses rendant leur vie en société difficile. Il y suivait un traitement de pointe associant un travail sur le sommeil à une psychothérapie pour en améliorer l’impact.

Or, endormi sur son lit d’hôpital, Laurent Strelli « voit » l’assassinat de son épouse et de son enfant. Il s’enfuit, et on le retrouve prostré près de leur maison en flammes. Soupçonné, il dit avoir vu le visage du meurtrier – et l’avoir « oublié ». Bientôt, il n’en restera plus rien. Sauf si l’on empêche cet homme, le seul témoin du drame, de sombrer dans un sommeil aussi profond que l’oubli, aussi dangereux que la mort qui le guette. Car la proie, désormais, c’est lui.

Ainsi va ce roman touffu et troublant qui nous plonge dans l’univers inquiétant de la psychanalyse et du sommeil. C’est un jeune commissaire – qui doit affronter ses propres démons – qui joue le rôle de Candide et, en multipliant les questions pour les besoins de l’enquête, débroussaille ce monde troublant du sommeil paradoxal qui peut guérir, rendre fou ou tuer. Un récit à la fois didactique et fantastique qui tient en haleine. > Martine freneuil

Editions Albin Michel, 380 p., 20,90 euros.

« Harcèlement à l’hôpital », de Marine Mazeley

Droit de cuissage pas mort

Il y a quelques mois est paru ce livre, dérangeant parce qu’il n’est pas un roman. Selon l’auteure – spécialisée dans l’exploration vasculaire, établie désormais à Aix-en-Provence –, les faits qu’elle rapporte sont vrais à 90 %, et Lisa, qui se retrouve victime de harcèlement sexuel dans le service de cardiologie du CHU parisien où elle travaille, c’est elle.

«Pendant deux années, j’ai été dans la peau de Lisa. Je n’ai dû mon salut qu’au renoncement à une carrière hospitalière. Victime non consentante, je l’ai payé doublement cher dans ma vie de femme et dans ma vie professionnelle.»

Marine Mazeley témoigne des agressions physiques, des propos orduriers, du chantage professionnel, des mesures de rétorsion, des humiliations publiques prodiguées par ce « grand patron » de chirurgie, raffiné et élégant en apparence et qui se montrait le plus vil des hommes pour parvenir à ses fins.

Au-delà de son chemin de croix qui l’a menée à la dépression et à la fuite, Marine Mazeley étudie l’ambivalence des sentiments qui conduisent à cette forme d’agression psychologique et physique. Elle décrit cet univers où les jeux du pouvoir et de la séduction projettent l’agresseur, mais aussi la victime, dans une autre dimension, plus ambiguë, là où la culpabilité se mêle au désir pervers d’aller plus loin. Sans tabous, elle montre comment la victime, au départ, n’avait qu’admiration et respect pour celui qui allait devenir dans une certaine mesure «coupable» et comment, à l’instar du « syndrome de Stockholm », elle a pu développer «un trouble sentiment, presque de la bienveillance envers le persécuteur».

Un récit, on l’a compris, dont la force réside dans la sincérité et la lucidité de l’analyse qui permet une approche non manichéenne du processus de harcèlement et de manipulation.

Éditions Glyphe, 207 p., 19 euros.

« Meurtre à la morgue », d’Olivier Kourilsky

Enquête macabre

VOILÀ un roman délicieusement suranné, une fresque médicale mêlée d’intrigue policière qui nous ramène dans cette bonne faculté des Saints-Pères en l’an 1963. Et c’est en effet un monde sinon oublié, du moins bien dépassé, que fait revivre Olivier Kourilsky, lui-même âgé de soixante ans et qui est aujourd’hui chef du service de néphrologie-dialyse du centre hospitalier Sud francilien, à Evry.

En ce triste jour du mois de février, un cadavre de trop gît dans le pavillon d’anatomie : le corps d’une étudiante en médecine, séduisante et embaumée, est retrouvé au milieu des corps en attente de dissection. L’affaire aurait pu s’arrêter là puisque le préparateur de la salle, qui avait une tête de coupable et aucun alibi, est hâtivement emprisonné, jugé et guillotiné. Mais la mort continue à frapper, violente, déguisée, et sans logique apparente : le jeune avocat du présumé assassin est poignardé dans la rue, l’éminent professeur Malorgue, qui régnait sur les pavillons d’anatomie, est poussé du sixième étage de la faculté, une élève infirmière est étranglée chez elle... Autant d’événements auxquels les carabins sont mêlés plus ou moins intimement.

L’auteur s’attache à un groupe disparate, filles et garçons issus de familles aisées ou boursiers, que le hasard des études rapproche. Et il redessine ce temps à jamais terminé des stages et des examens d’antan, balades au Quartier latin et amourettes, avant la loi sur l’interruption volontaire de grossesse et l’abolition de la peine de mort. Un ton rétro qui n’enlève rien à l’acuité de cette enquête macabre.

Éditions Glyphe, 182 p., 14 euros.

"Camisoles", de Martin Winckler

Un polar militant

Pour sa troisième incursion dans la littérature policière, Martin Winckler – l’auteur de « la Maladie de Sachs » qui fut livre Inter 1998 – aborde le thème des hôpitaux psychiatriques et s’appuie sur la fiction — assortie d’une légère anticipation — pour élargir son propos à la réflexion sur la médecine et la société.

S’il n’exerce plus à temps complet sa profession de généraliste, Martin Winckler continue cependant de travailler à temps partiel dans un centre hospitalier, tout en menant de front ses activités de romancier – il a publié l’année dernière « les Trois Médecins » –, d’essayiste – passant de livres militants sur la santé à un sujet sur les séries télévisées anglo-saxonnes : « les Miroirs obscurs » – et de traducteur d’auteurs américains de BD ou de polars. Son dernier opus, « Camisoles », est de ce genre. Il y reprend le lieu, la bonne ville de province Tourmens, et les personnages, le juge d’instruction Jean Watteau et son ami Charly Lhombre, médecin généraliste et légiste, de son précédent roman policier « Mort in vitro ».

On est donc un peu en pays de connaissance pour suivre l’enquête déclenchée par l’assassinat d’un homme d’affaires aux activités secrètes et à la vie privée curieusement lisse, puis le prétendu suicide de l’administrateur des hôpitaux de la ville : aurait-il été supprimé parce qu’il menaçait de faire des révélations sur certains scandales concernant la gestion des hôpitaux de la région... ou parce qu’il ne voulait pas divorcer de sa femme ?

Le troisième élément sur lequel s’appuie le roman est une clinique psychiatrique privée, qui héberge, dans une aile appelée le Château et qui officiellement n’existe pas, une cinquantaine d’« invités » qui ont en commun d’être tous médecins. Certains, accueillis pour « surmenage », sont en réalité traités pour sevrage de leur dépendance aux drogues, d’autres, qui sont là pour « cure de sommeil », sont en fait coupables d’attouchements sexuels sur leurs patientes... D’autres encore, dont l’activité médicale s’était révélée coûteuse pour la Sécurité sociale, y font l’objet d’une rééducation comportementale, sous peine d’interdiction d’exercer ! Cela ne concerne évidemment pas les plus gros prescripteurs qui sont aussi de gros pourvoyeurs de fonds électoraux et qui, en échange d’un séjour purement formel au Château, sont assurés d’être ignorés par la Sécu pendant les dix années suivantes !

On retrouve là le Martin Winckler militant, qui dénonce les abus de pouvoir des médecins à titre individuel ou leur collusion avec le pouvoir politique. Qui s’insurge de la même façon contre une société qui ne traite pas de la même manière les membres d’une catégorie socioprofessionnelle favorisée – les médecins – et les autres.

Éditions Fleuve Noir, 280 p., 18,50 euros.

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Source : lequotidiendumedecin.fr: 7878