EN FRANCE, alors qu'on recense 855 000 patients et plus de 225 000 nouveaux cas chaque année, la maladie d'Alzheimer est souvent diagnostiquée avec retard : deux ans en moyenne après les premiers symptômes caractéristiques, contre dix mois en Allemagne. C'est l'une des insuffisances relevées dans le rapport consacré à cette maladie par l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé. Créé en 2003 pour « informer le Parlement des conséquences des choix de santé publique afin d'éclairer ses décisions » et pour « contribuer au suivi des lois de financement de la Sécurité sociale », l'Office a consacré ses précédents rapports au dépistage du cancer du sein et à la prévention des handicaps de l'enfant. L'Alzheimer (et les maladies apparentées) représente, selon lui, « un défi majeur pour la politique de santé publique » en raison du nombre de personnes atteintes (qui va augmenter et pourrait atteindre 1,3 million dès 2020) et du coût pour le système de santé (9,9 milliards d'euros, dont plus de 97 % financés par l'assurance-maladie).
Les insuffisances du dispositif.
Le rapport, présenté par la députée Cécile Gallez et réalisé avec l'Isped* (Pr Jean-François Dartigues), relève plusieurs insuffisances dans le dispositif actuel. Le retard au diagnostic est d'autant plus préjudiciable que, « contrairement au sentiment de fatalité qui prévaut souvent », il existe des traitements médicamenteux, les inhibiteurs de l'acétylcholinestérase (IAC) et la mémantine, dont l'action sur les troubles cognitifs et l'évolution générale a été démontrée, mais seulement s'ils sont administrés précocement. Sans compter les risques indirects, quand le diagnostic n'est pas posé, d'accidents domestiques ou iatrogènes.
Autre insuffisance relevée par le rapport : l'offre de soins n'est pas adaptée à l'ensemble des besoins des malades et de leurs proches. La prise en charge médicale et médico-sociale est très variable selon les régions, avec dans certaines des délais d'attente importants. En l'absence de recommandations de bonne pratique, les traitements diffèrent également et des thérapeutiques non médicamenteuses (stimulation de la mémoire, musicothérapie...) sont mises en œuvre sans que leur impact sur la maladie et leur intérêt en comparaison avec d'autres approches n'ait réellement été évalué. Le manque de coordination entre le secteur sanitaire et le secteur médico-social et de façon générale entre les différents acteurs de la prise en charge est également relevé.
Comme sont soulignés, conséquences de l'inadaptation de la prise en charge, l'isolement et l'épuisement des familles.
Un consensus.
A ce constat, le rapport oppose dix recommandations, qui s'inscrivent pleinement dans le plan Alzheimer 2004-2007 présenté l'an dernier par Philippe Douste-Blazy (« le Quotidien » du 15 septembre 2004) et dont les objectifs expriment « un consensus sur ce qu'il serait souhaitable de réaliser ». Parmi ceux-ci, la rapporteure juge « particulièrement prioritaire de faciliter l'établissement d'un diagnostic précoce, d'aider les familles et enfin de soutenir davantage les chercheurs ».
- Pour changer le regard sur la maladie, une vaste campagne d'information à destination du grand public est recommandée.
- Il faut développer une politique de prévention primaire et secondaire.
- Troisième recommandation : poursuivre les efforts de formation spécifique pour le personnel à domicile, en établissement et au niveau des études médicales.
- Pour conforter l'offre de soins, le développement des consultations mémoire de proximité (CMP) et des centres mémoires de ressources et de recherche (Cmrr) prévu dans le plan Douste-Blazy doit être une réalité. Le rapport suggère même, pour faciliter le diagnostic précoce, la mise en place d'un dépistage systématique : « Il serait très opportun, malgré son coût assez élevé, d'engager une étude permettant d'évaluer l'intérêt d'un tel dispositif. »
- Il faut aider le généraliste, dont le rôle est essentiel dans le repérage des premiers symptômes et l'orientation des patients dans la filière de soins adaptée, et coordonner l'ensemble des prises en charge par la création d'un interlocuteur unique, le « case manager », qui pourrait être une infirmière spécialement formée.
- Sixième recommandation : saisir la Haute Autorité de santé pour établir des recommandations officielles pour le suivi des patients.
- Pour renforcer l'offre de soins, il faut répondre aux besoins urgents de lits - et d'effectifs - en Ehpad (établissements d'hospitalisation pour personnes âgées dépendantes), dans les cinq ans tout en réduisant les déséquilibres régionaux.
- Pour aider les aidants, il faut développer les accueils de jour et les hébergements temporaires par des aides spécifiques et une tarification plus incitative.
- Une incitation à la souscription d'une assurance dépendante, en complément de la couverture publique, permettrait d'alléger la charge financière des familles.
- Enfin, il importe de donner un nouvel élan à la recherche, par la réalisation dès 2006 d'un appel d'offres ambitieux couvrant tous les aspects de la prise en charge de la maladie et qui serait cofinancé par l'ANR (Agence nationale de la recherche), la Cnsa (Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie) et l'assurance-maladie.
Le déni de la maladie, qui s'exprime face à l'Alzheimer, « n'est au fond que le miroir d'une société qui a peur de vieillir, au risque de cesser de s'interroger sur le sens de ce qu'elle vit », note la rapporteure en citant le sociologue Michel Billé. Le rapport de l'Opeps contribue à lutter contre ce déni.
* Institut de santé publique, d'épidémiologie et de développement, université Victor-Segalen - Bordeaux-II.
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