N OTRE José Bové national n'est pas seulement un expert en nutrition et en santé publique ; il n'est pas seulement le pourfendeur de la mondialisation ou un homme - un peu comme Bill Clinton fumait du chanvre mais n'aspirait pas - qui démonte les McDonald's sans les casser. C'est aussi un spécialiste du Proche-Orient.
Il est en effet rentré d'un voyage houleux dans les territoires où il serait passé inaperçu s'il n'avait eu maille à partir avec la police israélienne et s'il n'avait tenu une conférence de presse pour dénoncer la colonisation. Inutile de préciser qu'à supposer que son propos eût été de fustiger, à Gaza même, la violence terroriste, il serait revenu en France les pieds devant. Mais non, Israël étant une démocratie, on peut y débarquer et attaquer son gouvernement sans subir la moindre rétorsion.
Erreurs de jugement
Là où le discours de M. Bové est intéressant, c'est quand il décrit, avec la compétence qu'on lui connaît, les ravages de la colonisation sur l'agriculture. Tout le monde sait en effet que les pionniers israéliens n'ont jamais été capables de faire pousser une tomate et qu'Israël serait mort de faim s'il n'importait sa nourriture. Mais peu importe : M. Bové étant très populaire en France, il aura été écouté par ses concitoyens avec la déférence qui convient. Si José Bové le dit, c'est forcément vrai.
Cette péripétie du conflit du Proche-Orient mérite d'être racontée parce que l'aveuglement de M. Bové s'inscrit dans un contexte plus général où des gens beaucoup plus sérieux ne sont pas indemnes de leurs erreurs de jugement. Que les Palestiniens soient victimes d'une injustice historique, plus personne ne le nie, pas même une majorité d'Israéliens. Que les Palestiniens, en tant que victimes, soient du même coup saisis par la grâce, c'est une autre affaire. C'est tout un peuple, son leader en tête, qui, l'an dernier, a préféré la violence à un accord de paix, lequel, en dépit du discrédit dont on l'entoure, aurait permis aujourd'hui à l'Etat palestinien d'exister. C'est le même peuple qui, loin de démontrer qu'il serait en paix dès qu'il obtiendrait son indépendance, a multiplié les attentats. Mettez-vous à la place de ceux auxquels on demande un peu de générosité : qu'est-ce qui les encourage à poursuivre dans la voie de la négociation et de la paix ? Les bombes qui tuent d'un coup vingt et un adolescents devant une discothèque ?
Les Israéliens ont élu Ariel Sharon, malgré sa mauvaise réputation, parce qu'ils espéraient qu'il les protégerait contre la violence aveugle. Bien entendu, il n'y est pas parvenu. Il n'empêche que c'est le même Sharon qui, depuis trois semaines, maintient un « cessez-le-feu » parsemé d'assassinats de colons et de batailles rangées entre manifestants palestiniens et armée israélienne. C'est ennuyeux, un monstre à visage humain et qui a un peu de sens diplomatique ; c'est ennuyeux de dire quelque chose de positif au sujet de Sharon ; c'est ennuyeux, un militaire qui fait de la politique.
Comme on ne peut pas critiquer Sharon pour ce qu'il fait aujourd'hui, on consacre une énergie démesurée à rappeler ses responsabilités dans le massacre de Sabra et Chatila. Loin de nous l'idée de l'exonérer, encore que, faut-il le rappeler ? le massacre a été commis par les milices chrétiennes du Liban. Mais, disent les adversaires d'Israël, une milice, fût-elle chrétienne, n'est pas responsable, de même que les Palestiniens ne sont pas responsables de ce qu'ils font, ils sont tellement excédés, à bout de nerfs, nous explique leur représentante à Paris, saoulés d'injustice et donc amenés à se conduire d'une manière quelque peu agressive.
Ecoutez bien ce discours, parce que bientôt on nous dira que l'affreux Sharon a des morts israéliennes sur la conscience, que sa politique (laquelle ?) conduit à la violence palestinienne et donc que c'est lui qui tue des Israéliens tous les jours. Ce préjugé dont bénéficient les Palestiniens (qui sont des combattants de la liberté, jamais des assassins) nous apparaît à nous comme une forme de discrimination à leur égard. Ce n'est pas grave si la haine du juif est le sentiment le mieux partagé par les Palestiniens ; ce n'est pas grave si la même haine habite les Egyptiens ou les Iraniens. Le monde arabe est comme ça. Mais Israël, lui, n'a pas le droit d'avoir des humeurs. Lui, s'il se bat contre des gens qui souhaitent sa disparition (et à ce jour ils n'ont jamais prouvé qu'ils s'accommoderaient de son existence), c'est parce que c'est un Etat raciste, dont le régime est l'apartheid et les colonies des bantoustans.
La même logique s'applique heure par heure, d'une façon imperturbable, à chaque épisode de la guerre : on a tué un colon ici, un autre là, une femme de colon, un enfant de colon. Ces colonialistes n'ont que ce qu'ils méritent. Mais un enfant palestinien ! L'axe principal de ce mode de pensée, c'est le rachat des crimes d'Israël par ses propres souffrances. Rien n'oblige les Palestiniens à démontrer que, s'ils obtiennent leur Etat, ils seront pacifiques. Mais pour faire la preuve de sa bonne foi, Israël devrait se sacrifier. Quand Israël aura disparu, il aura prouvé qu'il avait raison.
En attendant, détruisons Sharon, l'homme du cessez-le-feu qui dure. Faisons-lui à Bruxelles un procès pour crimes de guerre et, tenez-vous bien, génocide. Autrement dit, apportons la démonstration que le peuple juif commet aujourd'hui le crime qui a failli, naguère, l'exterminer. Celui qui, timidement, dirait que, pour faire un génocide, il faut quand même beaucoup de monde, n'aura rien compris : 900 morts palestiniens à Sabra et à Chatila, c'est un génocide. Il paraît que le gouvernement belge est embarrassé par les initiatives de sa justice. Tant pis pour lui. L'essentiel, c'est d'écrire l'histoire et, pour ne pas être accusé de révisionnisme, il suffit de l'inventer. Les Belges viennent de juger et de condamner deux bonnes surs qui ont participé au génocide rwandais (au moins 500 000 morts). Vous voyez l'amalgame ?
Merveilleuse Syrie
En attendant, accueillons ces dirigeants arabes spécialisés dans la recherche de la paix. Invitons à Paris, en visite d'Etat, un certain Bachar el Assad, digne fils de son père regretté, devenu en quelques mois une autorité internationale. Il s'est rendu à Madrid, il a reçu le pape à Damas et, dans les deux cas, il a prononcé sur Israël et les juifs des propos authentiquement antisémites. Mais n'est-ce pas essentiel de nouer avec la Syrie « nouvelle et réformée » des liens étroits ? Y a-t-il une diplomatie sérieuse qui ne tienne pas compte du poids politique de la Syrie ?
Certes, cela appelle des compromis, des accommodements avec le ciel, de légers manquements à la morale la plus élémentaire. Ni le gouvernement espagnol ni le souverain pontife n'ont cillé quand le jeune dictateur syrien, qui a succédé à son père comme dans un régime de monarchie absolue, a tenu ses discours incendiaires. On n'allait tout de même pas déclencher un incident diplomatique avec cette grande puissance ! Assad est estimable, Sharon est le diable. Une seule ombre au tableau : si le chef du gouvernement israélien maintient le cessez-le-feu quelques jours de plus, comment pourra-t-on continuer à en dire du mal ?
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