IL EST LOIN le temps où l'on représentait en France la richesse sous les traits d'un homme ventru et satisfait. Désormais, le luxe est de manger sain, c'est-à-dire léger, fruité et vitaminé, et de faire du sport : minceur et santé sont les apanages des ménages aisés. De leur côté, les plus pauvres se nourrissent, pour des raisons directement économiques (prix des produits), mais aussi liées à l'organisation (manque de temps, horaires décalés, fatigue) et à la culture (désocialisation du repas, télévision et son matraquage publicitaire, préceptes religieux souvent mal interprétés), de la façon la moins bénéfique - mais souvent la plus calorique.
Selon le Programme national nutrition santé (Pnns), « les populations précaires ont tendance à consommer moins d'aliments comme les fruits et légumes, dont il est conseillé d'augmenter la consommation, et plus d'aliments dont on conseille de limiter la consommation du fait de leur richesse et en matières grasses et en sucre ». Résultat : une plus grande prévalence de l'obésité, mais aussi des carences en vitamines et minéraux qui accentuent le vieillissement et les maladies chroniques (cardio-vasculaires, cancers, diabète, ostéoporose).
De nombreuses initiatives de terrain.
Mieux vaut un repas simple et rapide que... pas de repas du tout. Ce sont grosso modo les conclusions des travaux du Cerin, tels que les exprime Mme Dominique Poisson, responsable du programme Alimentation & Précarité. Car, entre les recommandations du Pnns et la réalité quotidienne de la précarité, la route est longue. Selon le psycho-sociologue Arnaud de La Hougue, la disparition des repas structurés est liée au rythme de travail (3 x 8, travail en soirée, départ trop tôt le matin), à l'impact du modèle américain (alimentation individuelle devant un écran), à la dévalorisation du repas qu'il faut confectionner avec de la nourriture bon marché, mais aussi aux conflits familiaux qui entraînent un évitement des temps partagés, et parfois à la démotivation de la mère (dépression, alcoolisme...), qui est le plus souvent la cheville ouvrière du repas. Face à ce type de problèmes, la plupart des structures impliquées, qu'elles agissent dans le domaine sanitaire ou social, répondent par un important travail de terrain. Le plus souvent, il s'agit de revaloriser le repas partagé et de prendre plaisir à le préparer. Pour ce faire, associations et réseaux proposent des ateliers, qui aux femmes, qui aux enfants, qui aux patients (dans le cadre d'un réseau diabète, par exemple).
A Rouen, dans les ateliers de Pierrette Soumbou, les femmes apprendront à retrouver une place dans un quartier difficile « où domine la culture des hommes ». Plus prosaïquement, elles apprendront à découvrir leurs coutumes culinaires respectives et à utiliser de la meilleure façon les colis de la banque alimentaire - par exemple, en ne jetant plus les artichauts parce qu'elles ne savent pas les cuisiner ou en valorisant par mille recettes différentes l'éternel riz qu'elles y trouvent. De fait, la question de l'immigration et des variations culturelles est essentielle dans le travail autour de la précarité. C'est pourquoi le Dr Jean-Pierre Chouraqui (CHU de Grenoble) s'est interrogé sur l'impact nutritionnel des préceptes religieux, souvent invoqués pour justifier des pratiques alimentaires parfois néfastes. A partir d'une analyse des trois grandes religions monothéistes et des religions d'origine indienne (bouddhisme, hindouisme et sikhisme), le Dr Chouraqui assure que les seuls risques nutritionnels proviennent en réalité des déviances liées à une mauvaise interprétation de la règle religieuse.
Quant aux médecins, explique Dominique Poisson, « il est inutile qu'ils essayent d'imposer des conseils alimentaires à des patients qui ne les suivront pas ». Pour elle, la méthode la plus efficace est encore d'être à l'écoute, de « comprendre et faire exprimer les pratiques alimentaires », et d'essayer de faire ressortir une vraie pratique du repas, « aussi simple soit-il : les coquillettes au beurre et la banane prises ensemble sur le coin d'une table en dix minutes, c'est toujours mieux que des barres de chocolat grignotées toute la soirée devant la télévision ».
8 % des enfants en dessous du seuil de pauvreté
Le seuil de pauvreté est défini par l'Insee comme la situation d'un ménage dont le revenu est inférieur à la moitié du revenu médian, en dessous duquel se situent la moitié des ménages. En France, c'est, par exemple, pour une personne seule, moins de 579 euros par mois ; ou pour un couple avec deux enfants de moins de 14 ans, moins de 1 217 euros par mois. 6,5 % de la population française et 8 % des enfants sont en dessous de ce seuil : des familles nombreuses ou monoparentales, des actifs pauvres, des chômeurs, des retraités, des étudiants, etc.
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