L'étude que publient, dans la revue « Epidemiology » du mois de juillet, le Pr Jean-François Viel et coll., prolonge de précédents travaux qui ont mis en évidence une augmentation de l'incidence de certains cancers : sarcomes des tissus mous (STM) et lymphomes non hodgkiniens (LNH) dans les cantons de Besançon et d'Audeux situés à proximité d'une usine d'incinération d'ordures ménagères (UIOM), entre 1980 et 1995. En revanche, pour la maladie de Hodgkin, choisie comme témoin car elle n'est pas considérée dans la littérature comme associée aux dioxines, il n'a pas été observé de risque plus élevé.
Ces résultats publiés dans l'« American Journal of Epidemiology » en 2000 avaient inquiété les associations opposées à l'incinération et multiplié les saisines relatives à l'impact sanitaire des UIOM. Dans ce contexte, la direction générale de la Santé (DGS) a sollicité l'Institut de veille sanitaire (InVS) et l'AFSSA pour étudier la pertinence et la faisabilité d'une étude épidémiologique semblable à celle du Pr Viel et coll. et, plus largement, pour formuler des recommandations sur les recherches épidémiologiques à mener.
Trois groupes de travail ont été mis en place : le premier, avec pour mission de rédiger un guide sur la conduite à tenir lors d'une demande d'investigation sanitaire autour d'une installation d'incinération ; le deuxième, sur la faisabilité d'une étude d'exposition aux dioxines à travers le dosage dans les liquides biologiques ; le troisième, chargé de proposer des axes de recherche, notamment épidémiologiques sur les impacts sanitaires.
En ce début du mois de juillet, les trois groupes de travail rendent publiques leurs recommandations, alors qu'une nouvelle étude du Pr Viel et coll. fait état d'un risque de lymphome non hodgkinien 2,3 fois plus élevé pour les individus résidant dans la zone la plus exposée aux retombées de dioxines que pour ceux habitant les zones les moins exposées. Cette fois, les auteurs se sont seulement intéressés aux cas incidents de lymphomes non hodgkiniens survenus entre le 1er janvier 1980 et le 31 décembre 1995 dans la seule ville de Besançon et recensés dans le registre des cancers du Doubs. Les témoins ont été tirés au sort à partir des données du recensement de 1990 qui découpait la ville en 705 îlots de 161 habitants. Les auteurs ont comparé la répartition spatiale des cas de LNH à celle des témoins en population selon leur exposition aux rejets issus de l'incinérateur, quatre zones d'exposition ayant été définies : très basse (< 0,0001 pg/m3), basse (0,0001-0,0002 pg/m3), intermédiaire (0,0002-0,0004 pg/m3) et élevé (0,0004-0,0016 pg/m3).
Pendant seize ans, 225 LNH ont été recensés et la plupart (80 %) après 1990. L'adresse a pu être précisée dans 222 cas et, après avoir pris en compte d'éventuelles variables confondantes comme le niveau socio-économique, les auteurs concluent en faveur de l'hypothèse d'une augmentation du risque de LNH dans la population résidant au voisinage d'un incinérateur, en raison de l'émission de dioxines dans l'environnement.
Un effet seuil
Le fait que le risque ne soit élevé que dans les zones à gradient d'exposition élevé et pas dans les autres zones « suggère un effet seuil » dont il n'a pas été possible de déterminer avec exactitude le niveau, compte tenu de la méthode employée.
Dans son rapport, le groupe de travail chargé de définir les axes de la recherche épidémiologique, note que l'avantage de l'étude du Pr Viel - alors en cours de publication - réside dans la méthode employée pour évaluer l'exposition, dans le choix des témoins qui évite les biais de sélection et permet une grande puissance statistique (le nombre de témoins appariés à chaque cas peut être important, ici 2 200 témoins pour 222 cas).
Selon le groupe, « les lymphomes non hodgkiniens sont, avec les tumeurs du cerveau, les pathologies pour lesquelles un lien avec une origine environnementale est le plus souvent évoqué ». Son incidence augmente de 3,5 % (3,82 chez l'homme et 3,46 chez la femme) par an depuis vingt ans pour atteindre le sixième rang des cancers les plus fréquents.
Des émissions importantes
Parmi les déchets émis par les incinérateurs, les dioxines sont ceux dont les dangers doivent être étudiés en priorité du fait de leur bio-accumulation dans l'environnement. La France possède le plus grand parc d'incinérateurs de l'Union européenne (123). Après les importantes modifications de ces dernières années (construction d'installations neuves, mise en conformité d'installations existantes et fermeture des anciennes), rappelle l'InVS, « il n'y a plus aujourd'hui en France d'UIOM particulièrement vétustes ». Toutefois, « nombreuses ont été celles dont l'obsolescence manifeste les a rendues dans le passé responsables d'émissions importantes de polluants ».
Le rapport recommande qu'une surveillance des riverains des UIOM soit mise en place, comme l'avait déjà demandé en 1999 un précédent rapport de la Société française de santé publique.
Le groupe suggère d'étudier plus particulièrement les pathologies tumorales : cancers en général, cancers de l'enfant, hémopathies malignes dont les leucémies, les lymphomes non hodgkiniens, cancer du foie, sarcomes des tissus mous et cancer de la peau.
De même doivent être étudiés les effets sur la reproduction : malformations congénitales et effets sur la maturation sexuelle. Il faut en particulier poursuivre la surveillance des malformations congénitales en Rhône-Alpes.
Les études les plus récentes, notamment celles qui concernent les installations récentes respectant les valeurs basses d'émission montrent en effet que « les risques sanitaires des dioxines seraient à considérer sérieusement, notamment sur le système nerveux et sur la reproduction, plus encore que sur les risques de cancers ».
Un indicateur biologique d'imprégnation
Par le terme « dioxines », on désigne les polychlorodibenzo-p-dioxines (PCDD) et les polychlorodibenzofuranes (PCDF) qui sont des composés aromatiques tricycliques chlorés.
Du fait de la difficulté d'apprécier l'exposition de l'homme en mesurant les polluants dans les milieux environnementaux, de plus en plus d'études tentent de caractériser l'exposition des individus en mesurant les polluants ou leurs métabolites dans les liquides et tissus biologiques de l'organisme humain : lait maternel, lipides sanguins, tissu adipeux. Le groupe de travail sur l'exposition à la dioxine préconise d'utiliser la concentration sérique en dioxines et PCB dioxin-like comme indicateur d'imprégnation. Beaucoup d'études épidémiologiques l'utilisent déjà. Le lait maternel ne peut être utilisé chez tous les individus et le tissu adipeux est peu accessible.
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