Club Santé Environnement
Pour le Dr Denis Bard, les dioxines illustrent parfaitement les difficultés des recherches sur les effets de l'environnement sur la santé, avec, à la clé, peu de certitudes, et, donc, des incertitudes et des controverses.
Il faut savoir que pour les dioxines (210 combinaisons différentes selon le nombre d'atomes de chlore et leur position), on prend en compte des familles très voisines (furanes, PCB), mais qu'on laisse de côté de nombreuses autres, dont on ne connaît pas bien les éventuels effets toxiques. La plus étudiée et, sans doute, la plus toxique est la dioxine de type Seveso (TCDD).
Les dioxines sont des produits très persistants et lipophiles, et ont la possibilité de s'accumuler dans les graisses.
De très nombreuses publications leur sont consacrées (plus de 5 000 références sur Medline pour la dioxine seule et 6 500 sur les PCB). Leurs mécanismes d'action sont bien décrits : après internalisation cellulaire, ces substances pénètrent dans le noyau où elles jouent un rôle de facilitateurs de transcription des protéines (cytochromes P450, en particulier, ainsi que diverses enzymes). Elles apparaissent comme des facteurs de perturbations endocriniennes. En réalité, même à ce niveau, les choses sont complexes et les simplifications sont hasardeuses : ainsi, certains des PCB ont un effet sur le métabolisme thyroïdien qui est différent d'un effet dioxine-like.
Les risques cliniques imputables aux dioxines sont encore plus difficiles à interpréter, selon le type d'exposition aigu ou chronique ou l'importance de l'exposition. Quoi qu'il en soit, les données de toxicologie expérimentale montrent que la dioxine de type Seveso est un carcinogène puissant pour l'animal, tandis que les études épidémilogiques indiquent un effet relativement modeste dans des populations de travailleurs très exposées, avec un effet promoteur de tous les types de cancer. Même si les instances officielles ne se prononcent pas sur le potentiel carcinogène des autres dioxines et des PCB, le Dr Denis Bard ne voit pas pourquoi ces molécules si proches auraient des effets différents. De nombreux autres effets ont été décrits : retard du développement psychomoteur des enfants, effets sur la reproduction, malformations congénitales (cela est très controversé), atteintes immunitaires (uniquement chez l'animal).
Il reste, poursuit le Dr Denis Bard, que ces données observées pour des expositions massives et/ou dans le cadre de protocoles expérimentaux ne permettent pas de répondre à la question que tout le monde se pose : les populations vivant à proximité des installations émettant des dioxines (incinérateurs de déchets, métallurgie) courent-elles des risques particuliers ? Force est de constater que la quasi-totalité des études ne répondent pas à cette question, conclut le Dr D. Bard, même si des publications font état d'agrégation de cas de cancers autour des installations à risque.
Effet de seuil ou non ?
L'augmentation de la fréquence des cancers autour de ces sites, pas plus qu'un lien de causalité entre les cancers observés et la présence d'une installation émettant des dioxines n'a pu être démontré, rappelle le Dr D. Bard, avant de conclure : « Cela ne veut pas dire qu'il n'existe aucun risque, mais que, s'il existe, il doit être faible. Et il sera difficile d'arriver à des certitudes, d'une part, pour des raisons méthodologiques (les populations vivant autour des sites polluants sont souvent trop peu nombreuses pour constituer des cohortes "significatives") et, d'autre part, parce que les experts ne sont pas d'accord sur l'existence ou non d'un effet de seuil. » En effet, pour les Américains, il n'y a pas de seuil d'exposition aux dioxines, en deçà duquel le risque serait nul. Les experts des autres pays (dont la France) et l'OMS pensent, au contraire, qu'en deçà de 1 à 4 pg/kg de poids/jour, le risque est quasi nul. Ces deux points de vue illustrent bien les incertitudes face à des expositions prolongées à de faibles doses (essentiellement par voie alimentaire) de substances capables de s'accumuler très longtemps dans l'organisme.
Une réelle inquiétude dans le Nord - Pas-de-Calais
Pour le Pr Jean-Marie Haguenoer (faculté de pharmacie, Lille), les questions posées par les rejets gazeux de dioxines et de furanes sont particulièrement vives dans le Nord - Pas-de-Calais, car la densité des installations métallurgiques et des usines d'incinération y est importante. D'autant que les contrôles effectués en 1998 ont révélé des taux très supérieurs à la norme obligatoire en 2005 pour tous les incinérateurs, avec un maximum de 1 000 fois la norme ! Il faut reconnaître que les risques potentiels de dioxines n'ont pas été suffisamment pris en compte par les pouvoirs publics et par les industriels. Mais, compte tenu des mesures drastiques prises depuis 1998 pour limiter les émissions, on peut affirmer que les risques potentiels sont liés à l'exposition passée, d'où l'importance de préciser le degré d'imprégnation des populations vivant à proximité des sites polluants.
« Jusqu'à preuve du contraire, il faudra, de toute façon, accepter de vivre avec le doute, conclut le Pr J.-M. Haguenoer . Car le risque de cancer n'est établi que pour des doses 1 000 fois plus élevées que celles observées chez les populations du Nord les plus exposées. Encore faut-il que l'exposition soit essentiellement d'ordre alimentaire : consommation de graisses animales, de lait, de végétaux de production locale. Deux voisins peuvent donc avoir des taux d'exposition très différents, ce qui ne facilite pas les recherches "épidémiologiques". »
Ces rappels scientifiques ne rassurent pas les populations locales, ni même les médecins. Le Dr Lefèvre, gastro-entérologue à Halluin, se plaint du peu d'écoute des structures « officielles » : on lui a refusé, affirme-t-il, le financement d'un projet visant à mesurer les taux de dioxines et de métaux lourds chez des patients, cancéreux ou non, vivant à proximité de l'usine d'incinération de Halluin. Pourtant, certaines observations et études de cas - « agrégats » de cas de cancers digestifs, de sarcomes des tissus mous ou de lymphomes non hodgkiniens - justifient, à ses yeux, une certaine inquiétude.
Le point de vue des industriels
Les Prs D. Bard et J.-M. Haguenoer font, pour leur part, observer que plus de 250 études effectuées sur vingt-cinq ans n'ont pas permis de mettre en évidence un lien de causalité, en dehors des expositions massives accidentelles.
Dans ce contexte, James Miralves (3), directeur de l'agence Nord - Pas-de-Calais d'Onyx, avait la redoutable tâche d'exposer la stratégie des industriels qui sont chargés de l'incinération des déchets. Il a rappelé que chaque citoyen produit 1 kg de déchets par jour, soit près de 400 kg/an. Même si la part des déchets subissant une valorisation organique augmente, le reste doit être incinéré ou enfoui. Contrairement à des pays comme les Etats-Unis, disposant de vastes espaces, la France doit opter pour l'incinération, à hauteur de la moitié du total de ces déchets.
Ces usines d'incinération, gérées par les collectivités locales, ont une fonction positive, puisqu'elles sont aussi des centrales thermiques et produisent de l'énergie. On ne peut pas s'en passer, même si James Miralves reconnaît que, pendant de nombreuses années, des usines d'incinération comme celle de Halluin ont produit de grandes quantités de dioxines. Il a fallu la prise de conscience du début des années 1990 pour que soient construites de nouvelles usines, dont celle de Halluin, entrée en service au début de 2002. Des améliorations considérables ont été apportées (apport d'oxygène, modifications de la durée et température de combustion), sans toutefois que l'on puisse éviter la néoformation de dioxines, lors de la phase de refroidissement. Néanmoins, grâce à des techniques d'absorption sur charbon actif, la norme de 0,1 ng/m3 est applicable pour tout nouvel incinérateur. Elle le sera dès 2005 pour les anciens incinérateurs.
Des émissions réduites
Certains, comme le Dr Lefèvre, préféreraient une destruction totale des dioxines (à 1 300 °C, par torchère à plasma). Mais une telle technologie coûte très cher et majorerait le prix de l'incinération : « C'est aux responsables politiques et, à travers eux, à la population de décider si elle veut supporter un tel coût pour combattre un risque hypothétique », déclare James Miralves.
En tout cas, les émissions de dioxines ont été considérablement réduites, de 1 800 à 450 grammes au cours des six dernières années, la part qui revient à l'incinération des déchets ayant été divisée par quatre dans la même période. Les contrôles ont également beaucoup progressé et on s'oriente même vers une mesure semi-continue de la dioxine (mesures sur les cartouches de charbon actif) ; ce qui permet de quantifier les émissions sur une période donnée.
Enfin, James Miralves souhaite promouvoir une politique de communication active et transparente avec les habitants des sites où sont implantés les incinérateurs. Ainsi, à Halluin, une commission locale d'information et de surveillance (CLIS) se réunit quatre fois par an. Il est procédé à un affichage en temps réel de paramètres d'émission et il est prévu d'installer une ligne téléphonique pour l'information directe du public. Des initiatives louables et positives, mais qui, visiblement, n'ont pas encore apaisé les inquiétudes de certains médecins travaillant dans les zones exposées.
(1) Professeur à l'Ecole nationale de santé publique de Rennes.
(2) Professeur à l'Ecole nationale de santé publique, faculté de pharmacie de Lille.
(3) Directeur de l'agence régionale Nord - Pas-de-Calais d'Onyx.
Les clubs Santé Environnement
Il y a six ans, le Groupe Quotidien Santé créait les clubs Santé Environnement à partir d'un double constat : la médecine environnementale devient chaque jour plus importante, mais, parallèlement, la formation initiale et continue des médecins est quasi inexistante dans ce domaine.
Grâce à un partenariat avec Vivendi Environnement, les clubs Santé Environnement réunissent les médecins et pharmaciens qui se sentent concernés par les multiples aspects de la médecine environnementale dans une dizaine de grandes villes françaises. L'objectif est le même : procurer aux professionnels de santé des données objectives sur des thèmes qui sont souvent abordés sur un mode passionnel.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature