De notre envoyée spéciale
Si on devait entendre quelque chose voler, ce seraient des mouches plutôt que des avions. D'après les élèves, depuis que monsieur le doyen est passé par là pour annoncer des sanctions en cas de turbulences, le calme est revenu dans l'amphi de première année de médecine. « Le chahut reste confiné aux premières semaines », assure le doyen, le Pr Maurice Giroud.
Dijon fait partie des 13 facultés sur les 41 en France à avoir intégré les sages-femmes en PCEM1 depuis 2001. Les kinés sont intégrés, quant à eux, dans les amphis de première année depuis 1990. Alors comment se passe cette « cohabitation » dans l'amphithéâtre Bataillon ?
Comme une lettre à la poste, aux dires de chacun.
C'est vrai qu'ils sont plus nombreux dans l'amphi. 780 élèves cette année, c'est 18 % de plus que l'an dernier. Et « la meilleure augmentation de toutes les facs de l'université de Bourgogne », précise le doyen Giroud. Mais, d'après lui, cette augmentation s'explique davantage par un renouveau de l'intérêt des jeunes pour les études de médecine. « Vu les difficultés de l'exercice médical, "judiciarisé", ainsi que l'attrait économique faible, la médecine avait légèrement passé de mode. Mais ça repart, l'intérêt du diagnostic, de la relation au patient... reprennent le dessus ». De plus, Dijon réalise des performances très remarquées en matière de recherche médicale, d'après le Pr Giroud. Depuis 1998, une unité INSERM est créée chaque année. « Les jeunes bourguignons ont l'image d'une recherche de qualité. Or celle-ci favorise indéniablement la formation médicale, dès l'instant où les cours sont liés aux retombées de la recherche médicale. »
Et puis, finalement, l'entrée des sages-femmes dans l'amphi de P1 reste modeste, car, on le sait bien, beaucoup de bachelières s'inscrivaient déjà en médecine tout en préparant parallèlement le concours de sage-femme.
« Heureusement, nous avions un peu anticipé », admet le doyen. Dès 1997, avec la construction d'une salle modulable de 500 places, prévue à l'origine pour les examens, offrant des conditions matérielles (de surveillance) optimales.
Puis l'installation d'un système de visioconférence en 2000. Le silence est d'or dans cette salle où les élèves se gèrent eux-mêmes, en suivant le cours sur écran.
L'arrivée des sages-femmes implique une petite surcharge de travail administratif : il a fallu restructurer les emplois du temps, redéployer en interne. Quant au programme, c'est le même pour tous les élèves.
Le même programme pour tous
« Les enseignants ont tout à fait compris le changement à effectuer. L'enjeu est là, immédiat. Il s'agit de parler le même langage et de se reconnaître mutuellement », insiste le Pr Giroud. Juliette, redoublante en première année, est sceptique. « Ça ne prépare pas du tout les futures sages-femmes. Sincèrement, on voit peu de choses sur la grossesse et les nourrissons. »
En anatomie, pourtant, ont été ajoutées des heures d'enseignement sur le petit bassin en anatomie, sur les hormones en biologie et sur l'utérus en physiologie. « Afin de proposer un programme au profit de tous », insiste le Pr Giroud. Le Pr François Brunotte enseigne la biophysique. « Il a fallu trouver des variantes. C'est aussi dans la façon de s'organiser, notamment dans la distribution des matières entre la première et la deuxième année. Nous avons cherché le plus petit dénominateur commun ou plutôt la plus grande concordance possible entre chacun des corps de métier. » Pour admettre finalement que « cela ne change pas grand-chose pour les étudiants. Ils n'ont qu'un seul but en P1 : réussir leur concours ».
Ce concours reste unique. Sur les 780 inscrits, 117 seront reçus en médecine, 35 poursuivront des études en masso-kinésithérapie, 25 deviendront sages-femmes et 11 dentistes. Le numerus clausus global s'élève à 188 à Dijon.
"Un panachage équilibré"
Les plus sceptiques face à la réforme de la première année répètent que les premiers reçus au concours choisissent médecine. « Certes, mais il y a ensuite un panachage assez équilibré entre les trois autres corps de métier », garantit le Pr Giroud.
« Pour les postulants aux études de kiné, certaines motivations entrent en jeu : d'ordre familial, physique et sportive, et puis l'attrait d'études plus courtes », explique le Pr Brunotte. « Chaque année, des élèves bien classés choisissent kiné. On n'a pas encore observé la même chose pour les sage-femmes. Celles (ceux) qui choisissent sages-femmes sont de vrais motivées, je crois. » D'après le doyen, le huitième classé cette année a choisi kiné. « Et les sages-femmes font tout de même partie des 250 premiers (1). »
Le choix se fait par mérite en fonction d'un préchoix que les étudiants annoncent au mois de février. « Ça ne sert à rien », rétorquent Nicolas et Alice, deux élèves en P1. Pour le doyen et les professeurs, au contraire, « ce préchoix incite les étudiants à prendre une décision réfléchie et sur le long terme. Tout en conservant un droit au remord ».
Enquête des aspirants dans les maternités
En janvier, afin d'éclairer leur choix, ils recevront la visite du directeur de l'institut de masso-kinésithérapie et celle de la directrice de l'école de sages-femmes.
L'an passé, 50 élèves avaient inscrit sages-femmes comme préchoix.
Les sages-femmes sont les premières satisfaites de cette intégration, selon le doyen, qui leur permet de recevoir une « formation non seulement universitaire, mais aussi commune avec les professionnels avec qui elles travailleront plus tard ».
Sur les 25 sages-femmes reçues, 10 avaient préchoisi leur formation. Pour les 15 autres, qui avaient d'autres choix préférentiels, ils (elles) ont fait leur enquête en allant voir la directrice de la maternité. « Elles n'ont donc décidé ni par contrainte ni par défaut, car elles ont pris soin de vérifier que ce métier correspondait bien à leurs attentes », insiste le doyen.
En 2002, les écoles de sages-femmes vont, elles aussi, réformer leurs programmes : davantage d'échographie, de physiologie, d'anatomie ? « La première année d'études de santé sera donc considérée comme acquise pour les étudiantes en sages-femmes », explique le Pr Giroud. « Par ailleurs, elles auront gagné de nombreuses heures de pédagogie qu'elles pourront consacrer à d'autres enseignements. »
Le doyen va jusqu'à dire que son équipe est prête « mentalement et statutairement » à intégrer l'école de sages-femmes au sein d'un département de la fac de médecine, qui serait cogéré par la fac et par les enseignants de l'école. Mais cela nécessiterait un transfert de tutelle du ministère de l'Education nationale au ministère de la Santé.
Depuis 1971, Dijon est la seule ville en France qui possède une école de cadres de sage-femme. « Nous travaillons donc déjà en étroite collaboration. Une concertation nationale sera bien sûr nécessaire. La réflexion dijonnaise sert de support », se félicite le Pr Giroud.
Un signe de l'« ouverture » de l'université
A Dijon, la lecture critique d'article est intégrée aux programmes de D2, D3, et le sera en D4 l'an prochain. Un module lui est même consacré. Elle est, en outre, appliquée dans chacun des six modules (cancérologie, athérosclérose, maladies infectieuses, etc.).
Pour le Pr Giroud, c'est une bonne épreuve. « L'étudiant devient responsable de sa propre formation, de sa bonne ingestion des données médicales récentes, et il ne prend plus pour argent comptant tout ce qu'il lit. » Mais, pour appréhender cette épreuve, le doyen estime qu'il faut plus d'un an de formation. « On peut lire un article médical quel que soit son propre niveau de compétence médicale, mais il me semble qu'il faut tout de même avoir suivi des cours de sémiologie, c'est-à-dire à partir de P2 ou D1. »
Les facs de médecine qui proposent des formations professionnelles, c'est « une ouverture pour l'université », d'après le doyen. Formation universitaire, professionnelle et de recherche, l'offre se veut complète à Dijon.
* On note en effet un écart entre les 188 étudiants du numerus clausus et ces 250 reçus lorsque l'on prend en compte les étudiants mal classés pour choisir médecine, qui se désistent et préfèrent redoubler.
L'analyse d'articles dès la première année : l'expérience toulousaine
L'expérience toulousaine contredit l'argumentaire des externes de l'ANEMF (Association nationale des étudiants en médecine de France), qui ont récemment fait céder le ministère de la Santé sur l'analyse d'articles.
Pour eux, en effet, cette épreuve ne pouvait faire partie de l'examen national classant avant d'avoir été validée au cours de tests d'enseignement et de docimologie. Soit pas avant 2008. Or, Bernard Bros, du département de médecine générale à Toulouse, contrôle depuis deux ans ses élèves de première année par l'analyse de textes. « Même en un an, ils acquièrent suffisamment de connaissances pour pouvoir réfléchir dessus ». D'ailleurs, le plus difficile, explique-t-il, « est pour nous, les enseignants, de trouver des sujets ». L'épreuve dure 2 heures, sans limitation de pages et d'après le Dr Bros, « les élèves écrivent jusqu'au bout ».
Les étudiants sont intéressés par cette épreuve qui représente une belle alternative au bachotage. « On leur demande d'être intelligents, ça ne peut que leur plaire. »
A. B.
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