> Idées
ON POURRAIT trouver toute croyance inoffensive. A chacun ses grigris métaphysiques. Sans être religieux, qui ne se dit dans un coin de sa pensée que sa propre mort n'est pas inéluctable ? Mais la croyance en Dieu introduit une différence. Pour conjurer la mort, l' Homo sapiens la congédie : « Avoir à mourir ne concerne que les mortels », dit Michel Onfray, « le croyant, lui, naïf et niais, sait qu'il est immortel, qu'il survivra à l'hécatombe planétaire... ».
Pour accepter de résoudre un problème en ne le posant plus, les religions monothéistes sont là : un seul Dieu, là où les anciens guettaient celui du vent derrière chaque feuille. Un Dieu pensé comme partout dans l'Univers, mais curieusement tapi tout près de moi lorsque je prie. Alors arrivent les profiteurs embusqués, ceux à qui l'auteur dédie particulièrement son animosité. « Le croyant, passe encore ; mais celui qui s'en prétend le berger, voilà trop... Mon athéisme s'active, quand la croyance privée devient une affaire publique et qu'au nom d'une pathologie mentale personnelle on organise aussi pour autrui le monde en conséquence. ».
C'est bien le cas des religions, dont l'auteur note en passant qu'elles ont avec une belle régularité refusé toute découverte scientifique un peu valable, préférant toujours la théorie biblique du Déluge à l'étude patiente des premiers sédiments, le fixisme d'espèces créées par Dieu sub specie aeternitatis à l'Evolution, une matière créée et imparfaite là où les atomistes grecs avaient au moins entrevu une parcelle de vérité.
Enfin, last but not least, passant au crible d'une analyse hyperserrée les trois monothéismes, l'auteur reprend point par point tout le flou des datations, corrections et rajouts de moines zélés, rectifiant les « erreurs » précédentes dans l'établissement des corpus, ajoutant par-ci par-là un miracle pour décorer l'ensemble. Épinglant chaque contradiction, chaque invraisemblance, Michel Onfray montre qu'il a fallu plus de dix siècles pour que se stabilise une histoire, celle du Christ, dont pas un détail ne résiste au plus simple examen*. De fait, le merveilleux tourne le dos à l'histoire, les évangiles ont la valeur de vérité des travaux d'Hercule ou du voyage d'Ulysse, qui, eux, ne prétendaient qu'au récit mythologique. Le ridicule devient total lorsque ce pataquès prétend traduire directement la parole de Dieu !
Que les paranoïaques s'épargnent de la peine, une véritable athéologie récuse également les trois monothéisme. Si le christianisme semble parfois former le... corpus principal de la critique, le judaïsme et l'islam sont traités de la même façon. L'important est de voir chacun des trois monothéismes se moquer des deux autres. L'aliénation du voisin fait sourire celui qui passe à côté de la sienne : « Le chrétien qui mange du poisson le vendredi sourit du musulman qui refuse la viande de porc, qui moque le juif récusant les crustacés... Le loubavitch qui dodeline devant le mur des Lamentations regarde avec étonnement le chrétien agenouillé sur un prie-Dieu, pendant que le musulman installe son tapis de prières dans la direction de La Mecque. »
Drôle de calcul.
De fait, on retrouve à l'intérieur des trois citadelles des éléments objectivement identiques : haro sur l'intelligence et l'esprit critique tellement gênants, kyrielle des interdits régissant en particulier l'alimentation et la vie sexuelle, obsession maladive par voie de conséquence d'un clivage pur et impur, association de la femme à cette impureté et ségrégation à son égard, etc. Toutes mesures au service d'un instinct de mort retourné contre soi. Non seulement le prêtre prétend guérir la brebis malade, explique Nietzsche dans « la Généalogie de la morale » (2e partie), mais en passant, il infecte la plaie.
Quel drôle de calcul que celui qui nous est proposé, s'exclame M. Onfray ! Sous prétexte qu'il faut un jour renoncer au vivant, on nous propose de renoncer tout de suite, au nom d'un idéal fictif. Puisqu'il faudra mourir un jour, retournons contre nous la pulsion de mort, puis contre des autres qui ne partagent pas le même Dieu. Pas vraiment la tasse de thé de l'hédoniste Onfray, qui a rempli vingt ouvrages pour célébrer le plaisir et sa subtilité existentielle.
Difficile pour le croyant de ne pas être comme un boxeur saoulé de coups devant autant d'assauts brillants en si peu de pages. Lui reprochera-t-on sa hargne ? Et quoi de plus facile que de lui faire remarquer la longue cohorte d'horreurs à mettre au crédit des rois, empereurs, dictateurs et autocrates, n'ayant rigoureusement aucun rapport avec Dieu et la foi ! Comment refuser l'apport bienfaisant de valeurs judéo-chrétiennes qui ont changé une vision sauvage de l'Univers ?
Mais c'est mal comprendre ce qu'est une croyance. Croire, c'est rester dans son fauteuil vivifié par une évidence intérieure ; on ne se lève pas pour vérifier, puisqu'on croit. Que répondre à quelqu'un qui affirme qu'il y a de la gelée de framboise derrière la voûte céleste ? Il ne suffit pas de dire qu'il est fou, car, comme le dit Bachelard, « il est extrêmement difficile de montrer qu'un phénomène n'existe pas ».
Ce qui, en revanche, existe bien, c'est l'angoisse liée à la finitude humaine, nos faiblesses, nos maladies, notre irrémédiable solitude. Il n'est pas étonnant que Dieu soit ce solide et éternel vieillard protecteur, qui rassure et qui gronde.
Terminons, comme on a commencé, avec Nietzsche, le polythéiste : les dieux sont morts, « mais ils sont morts 27 de rire en entendant l'un d'entre eux dire qu'il était le seul ».
Grasset, 282 pages, 18,50 euros.
* Déjà, la simple appellation de « Nazaréen » pour signifier « venant de Nazareth » est un non-sens linguistique.
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