Revenir aux origines, partir à Jérusalem ou à Antioche là où le nom de chrétiens s’invente dans les années 30 après J.-C. Emmanuel Carrère avait anticipé ce désir. Quelques mois avant l’attentat de Charlie, son livre Le Royaume* rencontre un foudroyant succès critique et public. Il vient d’être réédité en Folio. Cette lecture de l’Evangile selon le médecin Luc n’était pas destiné à délivrer la bonne parole à ceux qui la connaissait déjà mais aux laïcs bien-pensants. Ceux qui aux leçons de catéchisme à l’adolescence avaient alors préféré le canon marxiste. Carrère n’annonce pas Fillon. Entre paroles sur l’Evangile, éloge de la masturbation féminine célébré à partir des sites pornos, réflexion d’'un écrivain autour de la création littéraire, confessions intimes, le livre d’Emmanuel Carrère s’inscrit bien dans l’air de notre temps. Loin de la fibre polémique de Bernanos ou de Peguy, cet esprit fort, ce fils prodigue ne vitupère pas sur le monde actuel. Tendance sceptique, il enrobe les bons mots, les anachronismes dans un grand cachet de spiritualité. Son style lisse glisse sur l’envie de retourner vers l’original.
On imagine Emmanuel Carrère se précipiter sur le volume de la Bibliothèque de la Pléiade** paru cet automne et consacré aux premiers écrits chrétiens rédigés entre 90 et 200 après J.-C. Croyant ou pas, le vertige saisit en retrouvant certaines évidences oubliées. La religion nouvelle s’est développée en premier en Syrie, en Anatolie. Ses liens avec le judaïsme sont si étroits que les spécialistes s’écharpent sur le terme à retenir pour évoquer leurs évolutions respectives. Elle dialogue dans le même temps avec cette culture païenne gréco-latine et notamment ses philosophes si loin, si proches d’une espèce de monothéisme mal dégrossi. Cette naissance d’une religion retrace le film des premières années où rien de définitif n’était encore écrit. C’est l’émotion des débuts pour nous qui connaissons la fin. Surgit même à cette époque une littérature de combat qui aura une longue descendance. Tertulien, originaire d’Afrique du Nord invente ce slogan marketing promis à un bel avenir : « On ne nait pas chrétien, on le devient. » Cette littérature n’est pas vouée à la seule défense et illustration d’une encore minorité qui cherche à enrôler de nouveaux adeptes et à combattre les injustices. On peut aussi y lire les premiers poèmes chrétiens. Comment alors ne pas souscrire à la belle conclusion des éditeurs de ce volume : « Si les racines de l’Europe sont, comme on le dit, chrétiennes, les racines des chrétiens sont juives et gréco-romaines. L'Autre est dans le Même, dès le commencement. »
On prolongera ce voyage dans le temps avec la somme de Peter Brown*** sur cette Antiquité tardive. Le livre commence au IVe siècle après J.C. Et s’achève bien après la chute de Rome avec la consolidation des royaumes barbares. Le lecteur est ici loin des débats théologiques. L’enjeu est proche de nos préoccupations d’aujourd'hui, à savoir étudier l’impact de la richesse, du rôle des dons au sein des églises chrétiennes. On y rencontre des figures connues comme Saint-Augustin. Certains concepts comme la disparition des classes moyennes nous sont étrangement familiers.
Mais pour tous ceux qui souhaitent échapper aux échanges heurtés au sein des monothéismes, le DU3D (dictionnaire universel des Dieux, Déesses et Démons) offre une planche de salut. Inscrit au fronton de ce volume, le principe d’égalité entre les êtres surnaturels de toutes époques et de tous les continents est décliné avec une rigueur si l’on ose écrire laïque. Mais surtout ce dictionnaire raconte comment les Dieux se transforment en voyageant à travers l’Histoire et la géographie. Autre motif d’espoir pour chacun d’entre nous. Selon ses mérites, l’Homme peut s’immortaliser en un dieu. La recette n’est toutefois pas connue. En témoigne au hasard l’histoire d’Asclépios. Simple mortel chez Homère, sa promotion au statut de Dieu est actée à la fin du VIe siècle avant J.-C. L’entrée dans les temples qui lui étaient dédiés était, rappelons-le, gratuite. Cette générosité était liée au fait qu’Asclépios avait monnayé ses talents. Ce qui lui avait coûté une première fois la vie avant d’être repêché. Associé au chien, on retrouvera cet animal au XIIIe siècle accompagnant Saint-Roch pour lutter contre les maladies infectieuses. Les médicaments ont brisé ce compagnonnage. Les dieux face aux Hommes pour une fois ont perdu la face.
* Folio n°6169, 609 p, 8,70 euros.
** Premier écrits chrétiens, bibliothèque de la Pléiade, éd. Gallimard, 58 euros jusqu’au 31 mai 2017, Puis 66 euros.
*** A travers un trou d’aiguille, Peter Brown, la richesse, la chute de Rome, & la formation du christianisme. Ed. Les Belles Lettres ; 29,50 euros.
**** Sous la direction de Patrick Jean-Baptiste, Ed. du Seuil, édition brochée, 944 pp., 45 euros, édition de luxe sous coffret 160 euros.
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