Décision Santé. Que retenez-vous de ce quinquennat ?
Didier Tabuteau. La Protection universelle maladie (Puma) est une avancée majeure même si elle est passée inaperçue. On a sous-estimé la portée de cette réforme. Qu’est que la Puma ? Elle signe la fin du régime bismarckien qui repose sur un système assurantiel. Sur le plan pratique, c’est une formidable amélioration pour les personnes qui se séparent ou sont en fin de droit. L’assurance maladie n’est plus une assurance sociale mais devient un droit universel. Quant à la CMU de base, elle est supprimée depuis le 1er janvier dernier. Tous les régimes appliquent la même assurance maladie aux assurés, y compris donc le régime des indépendants ou le régime agricole. La Puma est désormais un droit universel pour toute personne travaillant ou résidant régulièrement en France. Le dispositif couvre davantage que la CMU. Si vous êtes licencié d’un emploi de salarié agricole après quelque mois, vous perdiez le droit à l’assurance maladie. Pour bénéficier alors de la CMU, il fallait alors entrer dans le régime général, changer de régime. Ce qui était très compliqué. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Cela change la vie au quotidien.
D. S. Pour autant, ce quinquennat n’a-t-il pas été dominé par une vision comptable ?
D. T. Cela a été un élément déterminant sans aucun doute. Si l’on regarde les chiffres, pour les cinq composantes de la Sécurité sociale, on passe de 21 milliards d’euros de déficit en 2011 à 7 milliards environ en 2016 et 4 à 5 milliards en 2017. Pour la première fois en 2015, l’endettement de la Cades* s’est réduit. On peut considérer que cela relève de l’ingénierie comptable. Mais c’est fondamental pour sauvegarder la Sécurité sociale On ne peut nier ce redressement des comptes.
D. S. En revanche rien n’a été entrepris sur une réforme que vous appeliez de vos vœux, à savoir une réduction du pouvoir des mutuelles
D. T. C’est un effet très paradoxal des réformes. Au 1er janvier, deux dispositifs nouveaux ont été mis en œuvre, la Puma et l’adhésion obligatoire à une complémentaire santé. Cette dernière réforme dérive du droit du travail. Et s’inscrit dans une logique opposée à celle de la Puma. Elle légalise encore plus que dans le passé les complémentaires. On constate face à ces deux réformes une ambivalence très forte. Quelle logique va dominer dans les dix ans à venir ? Est-ce la conception universaliste de la santé avec son côté égalitaire ? Ou plutôt la logique socio-professionnelle des complémentaires avec ses inégalités inévitables pour les patients et des menaces pour l’indépendance professionnelle des praticiens ? En ce qui me concerne, pour des raisons tant de solidarité, d'égalité que de rationalité économique, le développement d’une assurance maladie universelle s’impose. Je plaide pour une reconquête des remboursements par l’assurance-maladie.
D. S. On n’en prend pas le chemin…
D. T. Là aussi il faut entrer dans le détail. Si l’on agrège les dépenses globales, l’assurance-maladie a reconquis du terrain. On est passé de 75,9 % en 2012 à 76,8 % en 2015. Il ne s’est donc pas produit une baisse de remboursement. Enfin, une action modeste sur les dépassements d’honoraires a été initiée. Mais le remboursement des soins courants reste inférieur à 50 % …
D. S. La défense de l’hôpital public dans les mots a toujours été très vive. Les actes n’ont pas toujours été à la hauteur…
D. T. La reconstruction du service public hospitalier qui avait été supprimé par la loi HPST est un élément important. Dès la LFSS 2013, la convergence tarifaire public-privé a été arrêtée. Ce sont deux actes majeurs pour l’hôpital public. Il est vrai que la rigueur budgétaire pèse d’autant plus sur le quotidien que les restructurations hospitalières ne produisent pas encore tous leurs effets. On observe cette balance entre l’élan impulsé au service public hospitalier et les effets d’une régulation budgétaire sévère.
D. S. Les patients ont-ils été mieux été traités que les professionnels de santé ?
D. T. En tout état de cause, ce que j’ai appelé loi gigogne sur les droits des malades, qui est inscrite dans la loi de santé 2016. J’ai recensé plus de 30 articles consacrés à cette thématique. S’ils étaient sortis de la loi, ils constitueraient aisément la deuxième loi Droit des malades depuis 2002. Cet aspect est aussi passé inaperçu. Certes, la création de l’Union nationale des associations agréée des usagers de santé a été remarquée. Elle figure dans l’article 1er. L’autre mesure phare est l’action de groupe (Article 184). Mais on peut citer toute une série depuis le droit à l’oubli, le consentement des mineurs, l’information sur la contraception, les territoires de démocratie sanitaire. Ce résultat est aussi le fruit des amendements parlementaires.
D. S. Qu’est-ce qui n’a pas été accompli ?
D. T. Entre Puma et l’extension des complémentaires, le choix fondamental n’a pas été fait. On n’est enfin pas allé assez loin sur l’unification du pilotage entre l’Etat et l’assurance maladie. Si l’on veut réussir le virage ambulatoire, on ne peut avoir deux pilotes dans l’avion, à savoir l’assurance maladie à la tête de la médecine de ville et l’Etat qui pilote l’hôpital.
*Caisse d’amortissement de la dette sociale.
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