La fréquence de la turista est de 20 à 50 %

Diarrhée au retour d'un voyage sous les tropiques

Publié le 10/04/2008
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Principal motif de consultation

La diarrhée, qu'elle soit fébrile ou non, est le principal motif de consultation (25 % des cas) pendant ou au retour d'un voyage exotique. Il faudra évaluer la gravité et évoquer quelques « urgences ». La plupart des diarrhées du voyageur (DV) guérissent habituellement spontanément en quarante-huit heures, mais elles peuvent être aussi source de morbidité : 20 % des patients passent de 24 à 48 heures de leur séjour au lit, 40 % modifient leur itinéraire et de 7 à 17 % consultent un professionnel médical (1 % d'hospitalisations).

Quelles questions, quels symptômes ?

Il convient de rassembler des informations essentielles, que le problème posé soit celui d'une diarrhée fébrile ou non. Destination du voyage, vaccinations, mode de vie sur place, alimentation, durée du séjour et date du retour orientent l'enquête étiologique sur des arguments de fréquence et d'épidémiologie.

Il faut décrire le type de diarrhée et l'association à une éventuelle fièvre.

1. Une diarrhée liquide et fécale, parfois abondante (cholériforme) , réalisant un tableau de gastro-entérite devra faire évoquer un tableau toxinique ou « invasif » sans destruction de la muqueuse.

2. Le syndrome dysentérique est fait de diarrhées glairo-sanglantes et signe un mécanisme invasif avec destruction de la muqueuse.

La DV est actuellement aussi décrite sous 3formes:

– forme classique : émission de 3 (ou plus) selles défaites par 24 h avec un symptôme associé : nausées, vomissements, douleurs abdominales, ténesme, fièvre, sang frais ou mucus dans les selles. Cette forme est résolutive en 3 à 5 jours ;

– forme modérée : 1 ou 2 selles/24 h avec au moins un symptôme associé ou au moins 3 selles défaites/24 h sans symptôme associé ;

– forme légère : 1 ou 2 selles/24 h sans autre symptôme.

Il faut enfin prendre en compte la durée de la DV : forme banale résolutive en 2 ou 3 jours, forme « classique » < 7 j, diarrhées persistantes (> 15 j), voire chroniques (> 30 j).

Formes pseudo-diarrhéiques

Les formes pseudo-diarrhéiquesbanales d'infections tropicales graves.

Quel que soit l'agent en cause, il faut rapidement identifier des signes de gravité pouvant imposer une hospitalisation pour surveillance et/ou explorations : grands volumes de selles, diarrhée persistant la nuit, présence abondante de sang ou de mucus dans les selles, fièvre, déshydratation clinique ou d'autres signes extradigestifs d'appel (neurologiques...). Il faut aussi évaluer le terrain sur lequel évolue la DV : enfant en bas âge ou personne âgée et tares associées (diabète, maladies cardio-vasculaires...).

Il ne faut jamais oublier qu' un embarras digestif, surtout s'il est fébrile, doit en premier lieu faire écarter un paludisme à Plasmodium falciparum pour les touristes de retour de zone d'endémie. Le patient ayant respecté une chimioprophylaxie adaptée (ou non) fera un accès à faible parasitémie de diagnostic difficile. Le paludisme prendra alors le masque d'une banale gastro-entérite avec 38 C°, quelques myalgies ; la présence d'une thrombopénie modérée sur l'hémogramme prend alors toute son importance pour l'orientation diagnostique. Si le diagnostic n'est pas évoqué dès cette étape, un accès grave peut survenir dans les jours suivants.

La fièvre typhoïde est causée par Salmonella typhi, mais aussi paratyphi A et B. Le délai d'incubation est de 10 à 14 jours, orientant la démarche diagnostique, selon la date de survenue de la diarrhée après le retour et la durée du séjour.

Elle se présente classiquement sous la forme d'une fièvre isolée dans le premier septénaire, avec des signes digestifs qui peuvent accompagner cette fièvre. Une forme sévère est développée par 10 à 15 % des patients chez qui le diagnostic est méconnu : signes neuro-encéphaliques, hémorragie digestive (de 10 à 20 % des cas compliqués) et, rarement, perforation intestinale ou syndrome hémolytique et urémique.

Le vaccin Typhim Vi ne confère que 70 % de protection et on observe une résistance croissante de certaines souches aux fluoroquinolones et aux céphalosporines de 3e génération, ce qui peut poser des problèmes thérapeutiques.

Quels agents infectieux ?

Un agent étiologique n'est identifié que dans 40 à 60 % des cas et il s'agit d'une bactérie dans 85 % des cas.

Une diarrhée hydrique devra faire réaliser une coproculture et un examen parasitologique des selles. Le syndrome dysentérique signe un mécanisme invasif avec destruction de la muqueuse : coproculture avec recherche de leucocytes (ou dosage de la lactoférine fécale qui en est un bon marqueur), examen parasitologique à l'état frais répété car l'excrétion des parasites peut être intermittente.

Selon la gravité, une rectoscopie avec prélèvements histologiques, bactériologies et parasitologiques pourra être discutée.

Un hémogramme et une hémoculture seront réalisés en cas de fièvre et, en cas de forme grave, une évaluation hydro-électrolytique est associée au bilan.

La DV dans sa forme classique (< 7 j) est principalement due à des agents infectieux, au premier rang desquels Escherichia coli entérotoxinogène est reconnu comme principal responsable de la turista, dans sa forme classique résolutive en 3 à 5 jours.

Il faut mentionner la diarrhée liée à une toxine staphylococcique, classique et cosmopolite agent de toxi-infections alimentaires collectives, survenant dans les 6 à 8 heures après ingestion du repas contaminé. Cette notion épidémiologique de « cas groupés » peut aussi d'emblée orienter l'enquête.

Pour les diarrhées « entéro-invasives » fébriles et/ou glairo-sanglantes, il est habituel d'incriminer les salmonelloses mineures et les shigelloses, le délai d'incubation est alors de 12 à 48 heures.

Pour les diarrhées persistantes (> 15 j), ou chroniques (> 30 j) les agents en cause sont moins souvent des bactéries ( Yersinia, Campylobacter) que d'autres agents infectieux comme les protozoaires. Plus la diarrhée persiste, plus ils sont en cause, jusqu'à 30 % des cas si la DV dure plus de 14 j. Il s'agit de l'amibiase ( Entamoeba histolytica) et Giardia lamblia détectables sur examens parasitologiques des selles fraîches mais aussi, pour Giardia dont le biotope est situé dans l'intestin grêle, par un test antigénique. En ce qui concerne l'amibiase, des données épidémiologiques récentes suggèrent que le diagnostic est probablement porté par excès car rien ne distingue macroscopiquement E.histolitica de E.dispar qui est non pathogène pour l'homme, mais dix fois plus prévalente dans le monde.

D'autres protozoaires peuvent être en cause : cryptosporidies, Isospora, Cyclospora : la coloration de Ziehl modifiée permet leur détection. Les microsporidies sont révélées par coloration chromotrope. Si une de ces quatre dernières espèces est incriminées, une sérologie VIH devra être proposée car elles sont plus souvent en cause lors d'immunodéficience.

Des complications ?

Outre la perturbation du confort du voyage et la morbidité, ainsi que les signes immédiats de gravité, un certain nombre de complications peuvent émailler l'évolution des DV. Trois pour cent des DV deviennent des diarrhées persistantes (> 15 j) et de 1 à 2 % deviennent chroniques (> 30 j) avec un risque relatif augmenté de 10 % de voir apparaître un « syndrome de l'intestin irritable » (diagnostic d'élimination) dans le suites. Dans certaines séries, jusqu'à 25 % des patients peuvent révéler de réelles maladies intestinales chroniques à l'occasion d'une DV (maladie de Crohn, RCUH).

L'apparition d'une oligo-arthrite à distance de l'épisode diarrhéique, avec ou sans signes ophtalmologiques, doit faire évoquer le diagnostic d'arthrite réactionnelle dont le tableau le plus complet est l'historique syndrome de Fiessinger-Leroy-Reiter.

Le risque de méconnaître une primo-invasion amibienne expose à la survenue plus tardive d'une amibiase invasive, dont la localisation la plus fréquente est l'amibiase hépatique. Le diagnostic est alors sérologique, les examens parasitologiques des selles n'ayant plus aucune utilité à ce stade.

Enfin, une complication paradoxale est la colite à Clostridium difficile après traitement antibiotique de l'épisode diarrhéique. Le diagnostic est fait par détection de la toxine.

Le traitement

Lors de pertes aqueuses profuses, il faut réhydrater les patients avec des bouillons et une solution type OMS (réalisable en pratique de terrain : 1 litre d'eau, 6 cuillerées à café de sucre et une de sel).

La prescription d'antibiotiques (AB) est associée à une diminution de la sévérité et de la durée de la diarrhée. Ils sont proposés dans les diarrhées sévères ou avec composante glairo-sanglante et/ou fièvre. On utilisera des fluoroquinolones type norfloxacine 400 mg x 2/j, ciprofloxacine 500 mg x 2/j. La durée du traitement est de 3 jours, mais il est possible d'utiliser un traitement minute aussi efficace : lévofloxacine 500 mg ou azithromycine 1 g en prise unique.

La présence de E.histolitica ou dispar doit déclencher un traitement séquentiel composé de métronidazole (250 mg x 3/j pendant 7 jours), puis l'association de tiliquinol + tilbroquinol (2 gélules matin et soir pendant 10 j).

Les molécules comme le lopéramide et racécadotil dont l'indication est controversée dans les diarrhées infectieuses sont actuellement contre-indiquées chez l'enfant de moins de 2 ans. L'emploi du lopéramide est possible chez l'adulte uniquement en association avec les AB. Son association avec la ciprofloxacine dans certaines causes (dysenterie à Shigella) s'est même montrée supérieure à l'utilisation de l'AB seul.

Si des troubles digestifs apparaissent de manière différée par rapport au voyage (> 1 mois) et qu'une origine infectieuse est suspectée, il s'agit alors plutôt, outre les protozoaires cités précédemment, d'une parasitose de type helminthiase. Il est alors possible de proposer une « trithérapie » du retour, sans exploration préalable sauf signe de gravité ou atypie clinique. Cette « trithérapie » large spectre associe alors : flubendazole (100 mg matin et soir 3 j de suite) et ivermectine (prise unique de 4 cp entre 51 et 65 kg, 5 cp entre 66 et 79 kg) et, pour les patients ayant séjourné en zone d'endémie et s'étant baignés en eau douce, une dose unique de praziquantel (50 mg/kg en dose unique pour le traitement des bilharzioses).

Prévention : quels conseils ?

La prévention repose sur des règles d'hygiène alimentaires simples mais rarement respectées par les touristes : «cuire, bouillir, éplucher ou ne pas consommer».

Une antibioprophylaxie n'est pas recommandée pour éviter toute sélection de souche ou toute diarrhée secondaire à C.difficile.

&gt; Dr THIERRY CARMOI Clinique médicale, HIA du Val-de-Grâce, 75005 Paris

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8351