LA TENTATIVE de concertation entre le ministère de la Santé et les futurs médecins a fait long feu. Reçus en début de semaine par Roselyne Bachelot avenue de Ségur, les syndicats d'internes et de chefs (ISNIH, ISNAR-IMG, ISNCCA), mais aussi les représentants des jeunes généralistes (SNJMG) et des étudiants en médecine (ANEMF) ont expliqué n'avoir perçu «aucune avancée» sur la question devenue explosive de leur liberté d'installation qu'ils jugent menacée par plusieurs articles du PLFSS 2008 (projet de loi de financement de la Sécurité sociale). Ce texte établit notamment un lien entre les «modalités du conventionnement» et la «densité de la zone d'exercice» (article 33), un point à aborder au cours de futures négociations conventionnelles (auxquelles le gouvernement promet d'associer les jeunes médecins, même si cela ne va pas de soi juridiquement). Roselyne Bachelot a beau répéter qu'il ne s'agit que d'un «cadre» de débat , qu'il n'est «pas question de remettre en cause la liberté d'installation» sous forme de «mesures coercitives» ou de «déconventionnement», la jeune génération, désormais en alerte maximale, ne l'entend pas de cette oreille. Confortés par le succès de la manifestation de jeudi dernier, qui a réuni environ 10 000 blouses blanches (« le Quotidien » du 15 octobre), les représentants des jeunes médecins posent en préalable absolu de toute discussion la suppression des articles litigieux du PLFSS. Ce que n'envisageait pas le ministère de la Santé en début de semaine. D'où le dialogue de sourds qui s'est installé.
Dans ces conditions, la promesse d' «états généraux» de la démographie, pourtant réclamés par les jeunes médecins, et annoncés à l'automne ou au début de 2008 par Roselyne Bachelot – mais qui pourraient durer plusieurs mois –, a été finalement perçue comme un écran de fumée par les internes. «On veut noyer le poisson du PLFSS dans les états généraux», analyse Emmanuel Gallot, président du syndicat des internes de médecine générale (ISNAR-IMG).
Une opération séduction qui n'a pas réussi(S. Toubon/« le Quotidien »)Le choix des mots.
«Ce qui nous est proposé est un casus belli , renchérit Pierre Loulergue, chef de file des chefs de clinique. La ministre fixe aujourd'hui un cadre légal qui donne déjà le point de sortie et les résultats des états généraux. Arrêtons de jouer sur les mots: Roselyne Bachelot envisage des mesures désincitatives, mais pour nous ça veut dire coercitif!» Pour Olivier Mir, président de l'ISNIH (internes de spécialité), «le gouvernement ne peut pas préempter le débat sur la démographie avec des mesures de portée comptable». Des mesures pénalisantes qui «ont démontré à l'étranger leur inefficacité et même aggravé la pénurie», ajoute Fabien Quedeville, au nom des jeunes généralistes (SNJMG).
Pas question, dans ce contexte, de relâcher la pression. Les syndicats d'internes, de chefs et de carabins jugeaient le «durcissement» inévitable sous la forme d'une «grève totale et illimitée», à défaut d'un arbitrage élyséen en leur faveur. Roselyne Bachelot a d'ailleurs précisé qu'elle aurait un «entretien approfondi» avec Nicolas Sarkozy «sur ce sujet» avant de revenir «très vite» vers les internes. Une manière de reconnaître que le chef de l'Etat a les cartes en main, lui qui avait ouvert le débat et la polémique sur la liberté d'installation, lors de son discours au Sénat, il y a un mois (« le Quotidien » du 20 septembre). Nicolas Sarkozy devait rencontrer, hier, à Bordeaux, une délégation d'internes et d'étudiants sur la question de la démographie.
Les « durs » de l'Assemblée.
En attendant, chaque camp veut afficher un esprit «constructif».
Face à la vision «simpliste» du gouvernement, les internes et les jeunes avancent une série de contre-propositions incitatives (ou d'aménagement du territoire) pour lutter contre les déserts médicaux (certaines mesures existent déjà mais n'ont pas été évaluées) : généralisation de contrats formation- installation dans chaque région (bourses et aides conditionnées par une durée minimale d'exercice) ; guichet unique régional de gestion des carrières médicales ; plan national de création de maisons de santé de proximité ; télémedecine ; stage obligatoire auprès d'un médecin libéral au cours des études ; filière universitaire de médecine générale…
«Les mesures qui existent aujourd'hui sont souvent mal ciblées, illisibles ou sans intérêt», argumente Charles Mazeaud, président de l'ANEMF (étudiants).
De son côté, le ministère de la Santé, non sans une certaine habileté, se pose volontiers en rempart contre les nombreux «tenants de la coercition» en matière de démographie médicale. Roselyne Bachelot cite elle-même les «élus, les syndicats, les associations de malades, la Cour descomptes…». Autrement dit, les jeunes médecins seraient bien inspirés de discuter de solutions «pragmatiques», faute de quoi ils s'exposeront à des mesures plus contraignantes. «A l'Assemblée nationale, il y a des gens beaucoup plus durs que nous, aussi bien au PS qu'à l'UMP…», décrypte-t-on encore dans l'entourage de Roselyne Bachelot.Une façon de prévenir la nouvelle génération que certains parlementaires, confrontés à la désertification médicale, voudraient aller encore plus loin, plus vite et plus fort.
Manifestation à Strasbourg
Environ 200 internes en grève (170, selon la police) ont manifesté lundi après-midi dans les rues de Strasbourg pour défendre leur liberté d'installation. Le cortège est parti de la faculté de médecine derrière une banderole indiquant : « Médecins déconventionnés, patients en danger ». Les manifestants, dont la plupart étaient vêtus d'une blouse blanche estampillée « Internes en grève », ont rallié la place Broglie, dans le centre, où une délégation a été reçue à la préfecture.
Dans le cortège, Vincent Garcia, président du Syndicat autonome des internes des hôpitaux universitaires de Strasbourg, expliquait en ces termes la colère des internes : «Nous refusons les mesures coercitives pour obliger les jeunes médecins à s'installer», ajoutant : «Nous sommes d'accord pour dire que la démographie médicale est un vrai problème, mais le gouvernement ne propose pas de vraies solutions.» Le jeune homme a indiqué que la grève illimitée, votée il y a une semaine à Strasbourg lors d'une assemblée générale, allait entraîner des «perturbations dans tout ce qui ne relève pas des urgences».
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