Destruction
Un homme de 47 ans consulte pour une lésion de l'index gauche évoluant progressivement depuis quelques années.
Il décrit une altération progressive de sa tablette unguéale.
La lésion est sensible, voire parfois douloureuse à la pression.
Depuis quelques mois, il décrit un suintement intermittent et un épisode de saignement.
Un examen clinique met en évidence une destruction de la moitié de la tablette unguéale. Le lit unguéal est le siège d'une lésion verruqueuse et croûteuse, en partie ulcérée. Le repli sus-unguéal est discrètement érythémateux.
Devant cette dystrophie unguéale monodactylique inexpliquée, évoluant depuis quelques années et ayant abouti à une destruction partielle de la lame unguéale, il faut évoquer le diagnostic de processus tumoral.
En premier lieu, on évoque une maladie de Bowen, un carcinome épidermoïde, ou un mélanome malin.
Une exérèse chirurgicale pour un examen histologique complet de toute la pièce est nécessaire. Il faut également faire pratiquer une radiographie face et profil, centrée sur la 3e phalange, pour s'assurer de l'intégrité osseuse sous-jacente.
Chirurgie
La lésion a donc été retirée chirurgicalement ; l'examen histologique a permis de porter le diagnostic de maladie de Bowen transformée en un carcinome bowenoïde micro-invasif (épiderme acanthosique, papillomateux, kératinocytes présentant un noyau irrégulier hyperchromatique, parfois bourgeonnant avec mitoses et dyskératose).
Le traitement définitif comporte une reprise chirurgicale pour exérèse d'une marge de sécurité. La radiographie étant normale, éliminant une atteinte osseuse sous-jacente, ce qui était prévisible compte tenu du caractère simplement micro-invasif du carcinome, une exérèse de l'appareil unguéale est suffisante.
Une amputation de la phalange distale ne se justifie pas.
Présentations
Rare avant 40 ans, la maladie de Bowen, plus fréquente chez l'homme, survient surtout dans les dernières décennies de la vie ; elle touche principalement les doigts avec une fréquence décroissante du pouce à l'auriculaire ; l'atteinte des orteils est rare (gros orteil surtout). Elle est le plus souvent monodactylique, plus rarement polydactylique ; elle se révèle par un périonyxis inflammatoire chronique, une lésion érythématosquameuse ou verruqueuse du repli sus-unguéal ou d'un repli latéral, une lésion fissuraire ou croûteuse chronique du fond d'un repli latéral ; il peut également s'agir d'une lésion verruqueuse, croûteuse ou suintante sous-unguéale avec onycholyse en regard.
Elle peut prendre le masque d'une infection, d'une incarnation, d'une paronychie, d'un fibrokératome sous-unguéal pigmenté, d'une mélanonychie longitudinale, d'une érythronychie longitudinale.
L'existence d'une mélanonychie longitudinale accompagnant la lésion peut alors en imposer pour un mélanome.
Une destruction de la tablette, partielle ou totale, s'observe dans les formes avancées.
Des douleurs accentuées à la pression sont couramment observées.
Le diagnostic est en général porté après plusieurs années d'évolution.
Forme invasive
Un certain nombre de lésions sont déjà invasives (au moins 15 % des cas) au moment du traitement après analyse de l'ensemble de la pièce.
Cliniquement, on suspectera une forme invasive devant une forme hypertrophique ou nodulaire, une ulcération, un saignement ; le carcinome épidermoïde souvent surinfecté prend aisément le masque d'une paronychie chronique infectieuse, d'une suppuration sous-unguéale, d'un granulome pyogénique, d'une incarnation ; il peut également mimer une exostose, une verrue, un eczéma.
Une ostéolyse sous-jacente est possible par compression ou envahissement, imposant la réalisation d'une radiographie de face et de profil.
Malgré l'évolution prolongée avant le diagnostic, les carcinomes épidermoïdes de l'appareil unguéal sont de bon pronostic ; les métastases sont exceptionnelles et surviennent sur des terrains particuliers (dysplasies ectodermiques).
Un traumatisme précédant l'apparition de la lésion est parfois rapporté, sans que l'on puisse en préciser le rôle.
HPV
Les HPV (« human papilloma virus ») (16, 35 surtout) sont retrouvés dans près de la moitié des cas de maladie de Bowen et de carcinome épidermoïde de l'appareil unguéal, suggérant la précession de la lésion carcinomateuse par des verrues virales de la région ou à distance (région anogénitale) (transmission génito-digitale).
L'exposition aux radiations ionisantes (dentistes, radiologues, patients traités par radiothérapie pour des verrues) doit être systématiquement recherchée en particulier dans les formes pluridactyliques. L'arsenicisme est exceptionnel.
Le traitement chirurgical (exérèse totale de la lésion suivie si nécessaire d'une greffe) permet d'éviter la transformation en carcinome invasif ; la chirurgie avec contrôle microscopique des zones excisées (technique de Mohs) est une excellente méthode, permettant une exérèse totale de la lésion en préservant au maximum les tissus sains.
Une amputation est parfois nécessaire (envahissement ostéoarticulaire).
Les méthodes ne permettant pas de contrôle histologique doivent être rejetées.
Le diagnostic de carcinome épidermoïde de l'appareil unguéal, de sémiologie trompeuse, est histologique ; il est donc impératif de réaliser une large biopsie ou l'exérèse de toute lésion chronique traînante inexpliquée, surtout en cas de lésion monodactylique chez un sujet d'âge mûr.
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