Souffrant d’un mal de gorge un patient a consulté le Dr F, médecin généraliste. Celui-ci diagnostiqua une amygdalite et prescrivit un antibiotique. Six jours plus tard, le malade qui présentait un trismus consulta de nouveau le médecin qui prescrivit un autre antibiotique et un corticoïde. Trois jours après le malade présentait un important œdème cervicofacial et dut être hospitalisé d’urgence. Le diagnostic exact fut alors posé : un abcès dentaire au niveau de la dent de sagesse inférieure droite. Cet abcès fut incisé mais l’infection polymicrobienne et anaérobie était telle que le patient devint définitivement aveugle par la suite d’une ischémie bilatérale de la tête du nerf optique.
Le patient a recherché la responsabilité du Dr F. Les expertises judiciaires ordonnées ont démontré que l’évolution défavorable ayant conduit à la cécité du patient était essentiellement due au traitement par Rocéphine et Célestène. Les expertises ont notamment relevé que le Célestène était contre-indiqué en présence d’un état infectieux, dont le trismus est un des signes cliniques, et qu’il avait eu pour effet de favoriser l’évolution infectieuse survenue après incision de l’abcès.
Un premier jugement, rendu par le tribunal de Grande instance (TGI) de Avesne-Sur-Helpe le 18 janvier 2005, a reconnu la faute du Dr F mais a estimé que cette faute avait seulement eu pour conséquence de faire perdre une chance d’éviter l’évolution défavorable du processus infectieux ayant provoqué la cécité. Selon le TGI, le préjudice dont le patient peut obtenir réparation ne correspond pas au dommage corporel qu’il a subi, mais à la perte de chance d’éviter ce dommage ; ce préjudice doit être évalué à 75 % du dommage corporel. La Cour d’appel a décidé au contraire que la faute du Dr F était à l’origine de l’entier préjudice subi par le patient, et non pas seulement d’une perte de chance. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi intenté par le Dr F. Cette décision est intéressante tant du point de vue de l’appréciation qui est faite de la faute de diagnostic que du point de vue des conséquences de cette faute.
Erreur ou faute de diagnostic ?
Pour ce qui est de l’appréciation de la faute de diagnostic, les juges ont fait application des principes essentiels qui gouvernent la question. Par principe, le diagnostic est considéré comme un exercice délicat, en sorte que le médecin est simplement tenu d’une obligation de moyens. L’erreur de diagnostic du médecin n’est donc pas, en soi, constitutive d’une faute de nature à engager sa responsabilité (Cour de cassation, première chambre civile, 31 mai 2007, Le Généraliste n° 2424 du 12 octobre 2007). Il y a faute seulement lorsque le médecin n’a pas mis en œuvre tous les moyens nécessaires (ceux qui seraient mis en œuvre par un praticien « normalement vigilant »).
La Cour de cassation relève que « malgré l’apparition du trismus, il [le Dr S.] avait persisté dans son erreur de diagnostic et avait prescrit un traitement inadapté ». La Cour de cassation indique ainsi, de façon implicite mais claire, que la faute du Dr F ne consiste pas dans l’erreur initiale mais dans le fait d’avoir persisté dans cette erreur, en dépit de l’absence d’évolution favorable de l’état de santé du patient. En d’autres termes, si l’erreur initiale de diagnostic peut être excusable, la persistance dans cette erreur est fautive. On peut noter que, devant la Cour de cassation, le Dr F ne contestait pas l’existence d’une faute de diagnostic de sa part. Il reprochait à la Cour d’appel de l’avoir condamné à réparer l’entier préjudice subi par le patient.
Le tribunal de Grande instance a estimé que la faute du Dr F avait seulement fait perdre au patient une chance d’éviter le dommage. Cette solution a été infirmée par la Cour d’appel. Celle-ci a décidé que la faute du Dr F était la cause directe de l’entier préjudice physique subi par le patient et non d’une simple perte de chance d’éviter le dommage : elle a donc condamné le Dr F à réparer l’entier préjudice subi par le patient. La Cour de cassation approuve la Cour d’appel au motif que l’erreur de diagnostic commise par le Dr F était « en relation directe avec le préjudice final ». L’existence de cette « relation directe » étant, suivant Monsieur Pierre Sargos, Président de Chambre à la Cour de cassation, suffisante pour caractériser un lien de causalité plein et entier entre la faute et le dommage (voir note P. Sargos, JCP 2009, II, 10 030). Il est permis de ne pas être convaincu par cette analyse. Comme le relevait le pourvoi intenté par le Dr F, la faute de diagnostic « avait pu favoriser l’évolution infectieuse » subie par le patient, mais aucun expert n’a pu affirmer que sans la faute du Dr F l’infection n’aurait pas évolué de la même façon dramatique. Dans ces conditions, n’est-il pas excessif de décider que le Dr F est responsable de la totalité du préjudice physique subi par le patient ? La volonté de procurer une juste indemnisation du préjudice ne doit pas conduire à accentuer la responsabilité du médecin.
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