N OUS voici, une fois de plus, invités à prendre le train médiatique dans sa course folle à travers les progrès médicaux qui fascinent tant le grand public. Voici venu le tour de la DHEA, fontaine de jouvence et matière première de la polémique.
Les effets ne sont pas ménagés. « Un labo va inonder la France d'hormones de jeunesse, » titre dans son édition du 22 mai un quotidien, qui ajoute : « ...Jusqu'à présent seulement deux "petits" importateurs - Distri B3 et ADP à Vienne (Isère) - étaient sur ce marché et distribuaient au compte-goutte la célèbre pilule ». Et les lecteurs de pouvoir imaginer la France comme une gigantesque baie de la Somme submergée par des flots de petites pilules de toutes les couleurs.
Une référence parmi d'autres
Rassurez-vous, le gouvernement n'est pas prêt à décréter un plan ORSEC de la DHEA. Pas plus que les établissements fournissant les matières premières pour préparations magistrales aux officines ne sont prêts à fabriquer des pilules de la célèbre molécule. Et si les Laboratoires pharmaceutiques Cooper, à Melun, envisagent, effectivement, de mettre à la disposition de leurs clients pharmaciens la DHEA (base) à partir du mois prochain, ce n'est pas pour assouvir une énorme demande.
« Nous répondons à une demande émanant de nos clients et transmise par notre force de vente. En ce qui nous concerne, la DHEA n'est qu'une référence parmi d'autres de notre catalogue », soulignent les Laboratoires Cooper.
« Nous n'avons jamais déploré de pénurie en DHEA, confirme Alain Montel, pharmacien et président-directeur général de Distri SB3, autre fournisseur de cette hormone. Notre stock est important, au moins aussi important que celui annoncé par nos concurrents. »
Un dosage sanguin préalable
La déhydroépiandrostérone, dont les effets bénéfiques chez les hommes et chez toutes les personnes encore jeunes n'ont pas été démontrés, tire avantage aujourd'hui d'un vide juridique temporaire. Est ainsi tolérée la prescription par le médecin, lorsqu'elle est justifiée, de préparations magistrales, notamment de gélules permettant une prise quotidienne de 50 mg de DHEA. La vente libre de cette substance par le pharmacien est interdite, notamment en l'état actuel des connaissances en termes d'innocuité au long cours.
La prescription de la DHEA devrait être précédée, même en l'absence de recommandations officielles, d'un dosage sanguin du sulfate de DHEA, encore appelé DHEA totale ou celui, plus difficile à pratiquer et, de ce fait, rarement exigé, de la DHEA libre, forme active de l'hormone. « Le dosage sanguin du sulfate de DHEA se pratique depuis longtemps, notamment pour apprécier le métabolisme de la corticosurrénale, dans l'exploration des pubertés précoces ou retardées et celle des hyperandrogénies, rappelle le Dr Jean-Jacques Chivot, hématologue et ancien chef de service de biologie clinique à l'hôpital de Nanterre. Pour avoir un tableau complet, il faudrait prescrire les deux dosages, mais la forme libre est 1 000 fois moins concentrée et beaucoup plus difficile à quantifier.»
L'interprétation des résultats pose également problème. « Nous recevons régulièrement des demandes provenant de confrères qui ne possèdent pas les éléments nécessaires pour interpréter les résultats que nous leur transmettons », remarque Jean-Jacques Chivot.
Contrôles obligatoires
Une fois arrivée à l'officine, la prescription sera exécutée par le préparateur. Mais au préalable, le pharmacien est soumis à l'obligation de tester l'identité de la matière première, comme pour toute autre substance qui est appelée à être transformée en préparation magistrale. La DHEA ne déroge pas à cette règle. Interrogés sur le sujet, les Laboratoires Distri B3 confirment avoir mis au point, à la demande de l'un des conseils régionaux de l'Ordre des pharmaciens, une méthode praticable en officine pour l'identification de la DHEA.
« Nous proposons à l'intention de l'officine une analyse en trois temps, parmi lesquels le pharmacien est invité à choisir celui qui correspond à ses moyens », explique Alain Montel. Une réaction colorée d'abord, pour identifier la classe du produit, à l'aide de réactifs disponibles sur le marché. Puis, la vérification du point de fusion qui, pour la DHEA, se situe entre 149° et 151 °C. Enfin, il peut se procurer les éléments nécessaires pour pratiquer une chromatographie en couche mince, notamment à l'aide d'une plaque de silice, un réactif acide à pulvériser et un témoin.
De leur côté, les Laboratoires Cooper réservent leur offre en termes de contrôle d'identité à pratiquer à l'officine pour le mois prochain, sans pour autant promettre aux pharmaciens qu'ils pourront disposer en même temps de la matière première et des moyens destinés à la tester.
Ces contrôles sont obligatoires, même si, en amont, les fournisseurs de la matière première prennent toutes les précautions nécessaires pour assurer la qualité du produit, notamment à travers la spectrophotométrie à infrarouges et la chromatographie liquide à haute pression.
Quelles que soient les précautions qui entourent la précieuse poudre (déjà disponible au prix pharmacien hors taxes de 10 000 F le kilo environ), elles ne devraient pas faire oublier aux uns et aux autres que cette période d'attente, propice aux dérives, ne saurait être que provisoire et, à ce titre, ne justifie pas les risques que d'aucuns, parmi les laboratoires, les médecins et les pharmaciens, seraient tentés de prendre.
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