Depuis le 12 juin 1999, date à laquelle a été accordé aux pharmaciens le droit de substitution (qui leur permet de remplacer par un générique moins coûteux un médicament prescrit par un médecin), le marché des génériques a connu une ascension tout d'abord modeste. Au départ, les pharmaciens se sont parfois heurtés à la réticence de clients qui ne souhaitaient pas « tester » un autre médicament que celui qui leur avait été prescrit et dont ils avaient l'habitude, ou bien à celle des médecins qui voulaient qu'on respecte à la lettre leur prescription. En conséquence, si on a pu parler de frémissement dans la consommation de génériques, le décollage espéré ne s'est pas produit.
Polémiques
En juin 2002, la donne est modifiée : en échange du C à 20 euros, les médecins prennent l'engagement de réaliser 25 % de leurs prescriptions sous dénomination commune (DC), dont la moitié devront être des génériques que le praticien pourra prescrire s'il le souhaite sous leur nom de marque. En moins de trois mois, un certain nombre de blocages psychologiques, tant du côté des prescripteurs que de celui des patients, paraissent avoir été levés. Claude Japhet, président de l'Union nationale des pharmaciens de France (UNPF) note « une augmentation très sensible des prescriptions en DC », d'environ 40 %, et les industriels du générique confirment cette tendance, même si beaucoup s'accordent à penser que sur cette question, l'automne sera plus significatif que l'été.
Avec le PLFSS 2003, la question du développement des génériques prend un tour nettement plus polémique : le projet de loi de financement de la Sécurité sociale prévoit en effet la possibilité d'instaurer un forfait de remboursement par groupe générique, fondé sur le générique le moins cher, ou sur la moyenne des prix des génériques. Le gouvernement n'a pas encore tranché sur ce point. Jean-François Mattei, en présentant le PLFSS devant la commission des Affaires sociales de l'Assemblée, a confirmé ses intentions, en ajoutant que le forfait de remboursement n'était pas contradictoire, mais « complémentaire » de l'accord du 5 juin portant sur la prescription en génériques (« le Quotidien » du 11 octobre 2002).
Une annonce qui a aussitôt fait couler beaucoup d'encre : les premiers à s'en émouvoir ont été les industriels du générique, qui voient dans cette mesure un coup d'arrêt porté au récent développement du générique. Pour Jacques Lhomel, directeur-général des Laboratoires RPG-Aventis et président de l'Association « Générique Même Médicament » (GEMME) qui milite pour la promotion du générique en France (1), « le forfait de remboursement met en péril la politique générique menée depuis des années. Les fabricants du princeps n'auront qu'une alternative : soit maintenir leurs prix et sortir du marché, soit s'aligner sur le tarif de référence. C'est évidemment la deuxième option qui sera retenue, entraînant une spirale de baisse de prix incontrôlable. L'offre générique va régresser, jusqu'à revenir à la case départ ».
Un point de vue partagé par l'ensemble des industriels du secteur, mais Jacques Lhomel ajoute in fine : « Nous avons cru comprendre, lors des dernières interventions du ministre de la Santé, qu'en la matière rien n'était écrit dans le marbre, et que les mesures ne seraient appliquées que lorsqu'elles seraient jugées nécessaires. GEMME est en contact régulier avec le cabinet du ministre, nous sommes écoutés, nous travaillons à être entendus. » De là à penser que les industriels réunis au sein de GEMME ne désespèrent pas de convaincre le ministre que ces mesures ne seront pas nécessaires, il n'y a qu'un pas.
La carotte et le bâton
Côté prescripteurs, la tonalité est légèrement différente. Le Dr Dinorino Cabrera, président du Syndicat des médecins libéraux (SML), se veut pragmatique : « De toute façon, ce n'est pas nous, médecins, qui fixons les prix des médicaments, et il s'agit essentiellement d'un problème entre les pouvoirs publics et les industriels. (...) Mais je ne crois pas que cette mesure signifie la fin du générique, à partir du moment où les médecins en prescrivent beaucoup. »
Le Dr Cabrera ajoute que les laboratoires qui fabriquent des princeps n'ont pas trop intérêt à aligner leurs prix sur ceux des génériques car cela les obligerait également à les baisser à l'exportation. Un point de vue également défendu par Jean-François Mattei devant la commission des Affaires sociales de l'Assemblée (« le Quotidien » du 11 octobre 2002).
Quant au Dr Michel Combier, président de l'Union nationale des omnipraticiens français (UNOF), la branche généraliste de la CSMF, la perspective du forfait de remboursement ne paraît pas l'inquiéter outre mesure : « Le ministre a dit qu'il réfléchissait encore à cette question ; le forfait de remboursement sera peut-être appliqué à certains groupes thérapeutiques, mais au cas par cas. Pour moi, c'est surtout une possibilité qu'il se réserve au cas où les généralistes ne prescriraient pas suffisamment de génériques. »
Chez les pharmaciens, on est partagé entre crainte et espoir. Crainte des conséquences de la mise en uvre du forfait, espoir qu'il ne s'agisse que de la manuvre classique de la carotte et du bâton : Bernard Capdeville, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), et Claude Japhet, président de l'Union nationale des pharmacies de France (UNPF), s'opposent à la mise en place d'un tel forfait qui ne ferait que « brouiller les cartes » pour les patients. « On ne peut pas changer de politique toutes les cinq minutes, ajoute Bernard Capdeville ; mais si le ministre souhaite seulement se réserver le droit d'intervenir dans le prix des génériques, si c'est pour lui une arme à n'utiliser qu'en dernier ressort, alors pourquoi pas ?Mais je ne peux pas croire que Jean-François Mattei veuille casser ce qui fonctionne. » Pour Bernard Capdeville, il est important que les médecins comprennent que leur sort est lié à celui des pharmaciens : « Si les pharmaciens et les médecins agissent en synergie, alors nous pouvons avoir comme objectif de délivrer 10 % de génériques » (par rapport au marché du médicament remboursable, NDLR).
Des indications précieuses
Quoi qu'il en soit, et dans l'attente des chiffres de l'enquête « Genericam » de la CNAM, qui mesure la progression du générique dans le marché du médicament remboursable, les indications données tant par les pharmaciens que par les génériqueurs montrent une progression du générique depuis la signature de l'accord de juin 2002 : Jacques Lhomel, directeur général de RPG-Aventis, annonce qu'en juillet 2002, les pharmaciens ont acheté 70 % de génériques de plus qu'au même mois de l'année précédente. Mais peut-être ont-ils seulement anticipé une hausse espérée du volume des ventes de génériques ? Quant à l'impact à long terme de l'éventuelle mise en application du forfait de remboursement sur la progression des ventes de génériques, un consensus pragmatique semble se dessiner à son sujet : qu'il s'agisse des génériqueurs, des pharmaciens, ou à un moindre degré, des médecins, personne ne voit d'un bon il sa mise en application, beaucoup redoutent ses conséquences en termes économiques et industriels, et tout le monde est d'accord pour dire que le meilleur moyen d'éviter cette mesure est de faire progresser dès maintenant la vente des génériques en France. Jean-François Mattei aurait-il déjà gagné son pari ?
(1) L'association Gemme rassemble neuf laboratoires « génériqueurs » : Biogaran, EG Labo, G GAM, GNR Pharma, IREX, IVAX, Merck Génériques, Ratiopharm et RPG-Aventis. Teva devrait prochainement rejoindre cette association.
Ce que prédisait le CREDES
Selon une étude du CREDES publiée en 2000, le forfait de remboursement pourrait permettre de réduire de façon « très sensible » les dépenses de l'assurance-maladie.
En revanche, elle risquerait d'accroître l'inégalité d'accès aux soins. L'étude, effectuée sur les antidépresseurs et les antihypertenseurs, envisage deux cas de figure : un forfait de remboursement calculé sur le générique le moins cher ou, pour schématiser, sur la moyenne des prix des génériques. Dans le premier cas, l'économie réalisée par les caisses serait de l'ordre de 152 millions d'euros pour les antidépresseurs et de 577 millions pour les antihypertenseurs, soit une économie totale de 729 millions d'euros. Dans le second cas, l'économie réalisée serait sensiblement plus modeste, de l'ordre de 288 millions d'euros au total. Mais le CREDES indique que, au cas où les industriels choisiraient de ne pas baisser le prix de leurs médicaments p rinceps, les classes sociales les plus modestes (moins nombreuses que les autres à avoir une assurance complémentaire) seraient défavorisées, puisqu'elles devraient assumer la différence entre le prix du médicament et son remboursement. Le tarif de référence, notait le CREDES, « laisse entrevoir un transfert plus ou moins important des charges de la Sécurité sociale vers les assurances complémentaires et les patients ».
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