INUTILE DE DIRE que François Bayrou et ses sept ou huit millions de voix vont jouer un rôle déterminant. Lequel ? François Hollande a déclaré qu'il n'était pas question de conclure un accord de gouvernement, ni avec l'extrême gauche ou les Verts, ni avec le centre. Mais il y a à gauche, et surtout à droite, de discrets appels du pied en direction de l'UDF. Alain Juppé, par exemple, a rappelé que l'UMP est habituée à travailler avec l'UDF ; Françoise de Panafieu insiste sur l'aide que l'UDF apporte à l'UMP au conseil municipal de Paris.
Il serait toutefois étonnant que Nicolas Sarkozy accepte autre chose que quelques inflexions, peut-être sémantiques, de sa politique pour obtenir une adhésion de François Bayrou et de ses partisans. Il est plus probable encore que M. Bayrou, fort et fier de ses 18,5 %, refuse de passer avec armes et bagages à droite après avoir sollicité la gauche juste avant le premier tour. Il affirme qu'il ne se départira d'aucun des principes qui ont animé son action jusqu'à présent : ce n'est pas un langage réaliste.
Il faut considérer deux éléments importants : le premier est que les 18,5 % ne représentent pas des voix historiquement et sociologiquement centristes ; l'UDF, en tant que formation politique, ne représente sûrement pas un cinquième du total des voix. Comme M. Bayrou est passé, en trois mois, de 6 à 18,5 %, on est en droit de penser que plus de 12 % des voix se sont portées sur M. Bayrou personnellement, pas sur l'idéologie qu'il représente. D'où ces voix venaient-elles ? Forcément de la droite ou de la gauche. Et où iront-elles s'il n'y a pas de consigne de vote ? Vers leur vote naturel, à droite ou à gauche.
Bien que François Bayrou ait accompli un exploit politique sans précédent, en aidant à la chute du Front national et en créant un mouvement politique entièrement nouveau, la loi d'airain du scrutin à deux tours s'impose à lui comme à tous ceux qui ne franchissent pas le seuil du premier tour. Il a annoncé qu'il allait créer un grand mouvement avec cette fraction du peuple qui a suivi son panache blanc, mais il ne peut réaliser cet objectif avant le second tour, ni même avant les élections législatives qui seront terminées en juin. Il ne faut pas confondre les genres : l'élection présidentielle est une affaire d'homme ou de femme ; la formation d'un mouvement politique dépend des législatives. En fait, le temps manque, et M. Bayrou ne peut former son parti et en éprouver la pluralité que dans cinq ans.
Un choix s'impose donc à tous ses électeurs. Est-il indécent de dire qu'ils vont se répartir entre Mme Royal et M. Sarkozy, et qu'ils le feront selon leurs convictions de départ, qui viennent de la gauche et de la droite ?
Comme la situation semble plus délicate pour Mme Royal que pour M. Sarkozy, François Hollande affiche des certitudes propres à faire lever le vent de la victoire. La kyrielle de « petits » candidats qui se sont prononcés en faveur de Mme Royal représente 12 %. Donc, dit M. Hollande, Mme Royal dispose déjà de 38 % des voix. C'est peut-être vrai, mais en suivant ce mode de raisonnement, M. Sarkozy peut affirmer qu'il est détenteur des 10,5 % de Le Pen et qu'il est donc déjà à 41 %. En même temps, où sont les 13 % qui assureraient la victoire de la candidate socialiste ? Sûrement pas chez M. Le Pen ou chez M. de Villiers. Peut-être chez M. Bayrou. Sauf que M. Hollande n'entend faire aucune concession ni conclure un accord de gouvernement.
En conséquence, il peut tout juste compter, et encore n'est-ce pas sûr, sur les voix obtenues par M. Bayrou et qui seraient allées vers Ségolène si M. Bayrou n'avait été candidat. Cela fait quel pourcentage ? On n'en sait rien. Car, en somme, ceux qui ont voté Bayrou ne voulaient ni de la candidate PS ni du candidat UMP. Ils sont frustrés et ils ne rejoindront que la gorge serrée l'un des deux camps. Le nombre des incertitudes est si grand que le pronostic est impossible.
En fait, tout dépendra du comportement des deux candidats dans les onze jours qui viennent : Nicolas Sarkozy devra tenter d'arracher à M. Le Pen ses 10 % tout en rassurant l'électorat de M. Bayrou (la quadrature du cercle). Il importe en tout cas qu'il ne s'aliène pas ceux qui l'ont rejeté une première fois parce qu'ils le trouvent trop tendu ou brutal.
Ségolène Royal ne peut croire à sa chance que si elle conquiert une bonne partie (les trois quarts) des électeurs de M. Bayrou : ce serait un exploit d'autant plus éclatant que la simple arithmétique le rend apparemment impossible.
Le débat entre Ségolène et Nicolas (prévu pour le 2 ou le 3 mai) sera décisif. Mme Royal dispose d'un avantage énorme : elle a un sang-froid époustouflant, assume avec une indifférence imperturbable n'importe laquelle de ses bévues, ne semble jamais fatiguée et peut prononcer les pires vacheries avec un sourire éblouissant. M. Sarkozy doit absolument se contenir, limiter son body language, montrer sa galanterie et sa déférence à une candidate qui se bat bien et en remontre à beaucoup de vétérans de la politique. Tels que nous connaissons le monsieur et la dame, l'avantage va largement à Ségolène. C'est une affaire qui peut coûter ou rapporter un ou deux millions de voix. Vous comprendrez que, dans ces conditions, il est impossible de prédire l'avenir immédiat.
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