> La santé en librairie
« JE NE DEMANDAIS qu'une reconnaissance et un respect au moins égal à celui que je manifestais aux autres », écrit Sandra Dual, médecin qui propose, sous un pseudonyme, le récit d'un désastre en marche : celui de la vie dans certaines cités ( « Ci-té, à prononcer en éructant », dit-elle). En tout cas, celle où elle s'est installée, une fois son diplôme en poche. Et où elle raconte n'avoir vécu que souffrance et désillusions. Drogue, alcoolisme, folie sociale plus encore que médicale, déculturation, misère affective, sexisme, poison de l'économie parallèle, de la puissance des caïds et des chefs de bande, monde où tout est régi par le chantage implicite à la violence : la chronique de ses années d'installation semble coller à l'actualité, dans la pire des versions que l'on puisse imaginer. Monde dépourvu de repères où la faillite des enseignements a conduit au règne de l'inculture absolue, milieu totalement décivilisé où « la lecture, Docteur, c'est pour les pédés », la cité « n'est qu'un décor, pas très réussi, où de mauvais acteurs jouent la pièce qu'ils ont vue à la télé parce qu'ils n'ont pas le minimum d'idées nécessaires pour imaginer autre chose ».
Que fait la généraliste dans cet enfer ? Elle tente de résister au désespoir, à la peur ou au dégoût, souvent les trois à la fois. Elle court, s'épuise dans les escaliers car les ascenseurs sont toujours en panne ; se fait voler son autoradio ou ses pneus, souvent les deux, cracher à la figure par des voyous adeptes de la « Pubis attitude » (se gratter le pubis en regardant passer une personne de sexe féminin), rouler dans la farine par des patients malhonnêtes. Elle refuse de donner de l'argent liquide contre plusieurs feuilles de « cent pour cent » ! Elle suture pour la énième fois une jeune beur, battue par ses frères, et qu'elle a tellement recousue « que si ça continue, elle va devoir rester voilée », tente d'apaiser les dépressions, se lève la nuit pour des tentatives de suicide, des scènes de ménage ou des demandes de contraception urgente, ferme parfois les yeux sur de mauvais traitements à enfants parce qu'elle a fait l'amère expérience de son impuissance à les dénoncer.
« Je tolère l'intolérable. Je sais soigner les bobos, les malades même, mais pas les sociétés malades », dit Sandra Dual. De cette nouvelle population de la cité, dont elle écrit qu'elle est vraiment atteinte, qu'elle n'a pas d'opinion mais seulement des réactions « épidermiques, réflexes, toujours émotionnelles et diversement modulées par les restes de l'acquis ». « La bêtise est passée de phénomène individuel et limité à un phénomène de masse, depuis que l'insuffisance éducative ne permet plus de la traiter dès l'enfance », dit-elle, accusant pêle-mêle l'immigration incontrôlée, la permissivité, les excès de l'assistance, la bureaucratie aveugle et la télévision.
On le sait, les médecins désertent ces zones sinistrées et les récents événements ont révélé à ceux qui feignaient de l'ignorer l'existence d'un monde à bien des égards paupérisé. On ne saurait contester non plus la gravité des blessures de ceux qui ont voulu y exercer leur métier et y ont été d'une certaine façon empêchés.
Mais il y a tant de violence, de rejet, d'amalgames désobligeants parfois, chez Sandra Dual, que son propos perd de sa force. C'est d'autant plus regrettable qu'il est bien tourné et qu'il est pour partie vrai que le médecin est devenu un instrument d'égalité entre les exclus, d'un côté, et les plus chanceux, de l'autre ; position intenable, bien sûr.
Courrier du cœur.
Françoise Claustres*, éditrice, et Gérard Agulhon, généraliste, ancien président du Syndicat des généralistes de Paris, ont uni leurs talents pour parler de la relation entre un médecin et son malade. Des lettres reçues par ce praticien, qui a aussi été celui de F. Claustres, servent de point de départ à leurs digressions. Lettres de remerciements, de confessions, de reconnaissance mais aussi de protestations, voire de récriminations, permettent de dresser le portrait de la vie d'un généraliste, praticien de famille, de ses joies, ses surprises et ses frustrations. Gérard Agulhon était installé à Paris, où il a exercé dans le même quartier pendant presque trente ans ; s'il a quitté son activité à 57 ans, parce qu'une occasion lui a été donnée, c'est après s'être assuré qu'il pouvait confier sa clientèle à quelqu'un de compétent. A la question de sa nostalgie, il répond que ce n'est pas la médecine mais les gens qui lui manquent. On ne peut être plus clair ! Les lettres publiées témoignent de cette proximité avec des familles, un quartier, des solitudes et des difficultés aussi multiples que variées. La vie, quoi !
Métier d'artisan au sens le plus noble du terme autant qu'exercice scientifique, la médecine générale, même quand elle est exercée à Paris dans un quartier tranquille, n'est pas de tout repos, comme le montrent les récits des difficultés rencontrées avec les toxicomanes, les alcooliques, les patients ingrats ou exigeants, mais aussi tout simplement la complexité de la psychologie des relations médecin-malade. Elle est, manifestement, source de grandes satisfactions que Gérard Agulhon a su savourer et sait nous faire goûter.
La quatrième de couverture du livre de Sandra Dual signale en rouge que « la lecture de ce livre est déconseillée aux étudiants en médecine ». Celle du livre de Gérard Agulhon et Françoise Claustres est, en revanche, à recommander. Elle ne pourra que les conforter dans leur choix.
* G. Agulhon, en se rendant pour la première fois à son chevet, croyait qu'il s'agissait de l'ancienne otage des rebelles tchadiens et découvrira qu'il s'agissait d'une homonyme.
Sandra Dual, « Un médecin dans la cité », Presses du Midi, 375 pages, 22 euros.
Dr Gérard Agulhon, Françoise Claustres, « Dites docteur... », Cheminements, 255 pages, 18 euros.
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