L'ACTUALITE n'en finit pas d'égrener ses faits divers sordides. Au printemps, ce fut le procès d'Outreau avec ses vraies victimes et ses faux coupables, pour la plupart aujourd'hui blanchis. La semaine dernière a eu lieu, en Normandie, le procès de Marcel Lechien, un instituteur soupçonné d'actes de pédophilie sur 38 enfants, mais qui clame son innocence. Tandis qu'éclate une nouvelle affaire mettant en cause encore un enseignant, à Dinan. Le procès d'Emile Louis, à Auxerre, permettra peut-être de faire la lumière sur la disparition de jeunes filles de la Dass « disparues » voilà des décennies. Depuis que la parole des victimes est libérée, qu'elles surmontent mieux le secret et la honte, le nombre des abus sexuels apparaît au grand jour dans toute son ampleur.
Une responsabilité éthique.
Paru en 1996 à la Documentation française, le rapport de recherche sur les agresseurs sexuels (Claude Balier, André Ciavaldini et Martine Girard-Khayat, Direction générale de la santé), notait « l'augmentation constante depuis un quart de siècle des délits et crimes sexuels qui représentent, en 1996, 12,5 % de la population incarcérée. Une multiplication par 6 en vingt ans des condamnés pour viols ou attentats aux mœurs ». A présent, les agresseurs sexuels représentent près du quart des personnes emprisonnées. Comme le soulignaient les auteurs du rapport, l'accélération du phénomène « place les systèmes publics tant judiciaires que de santé devant une responsabilité éthique », à l'égard des victimes à qui il convient d'apporter une aide, et des agresseurs qu'il faut prendre en charge sur le plan pénal et thérapeutique.
La loi du 17 juin 1998 « relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs » répond à ces préoccupations. Elle introduit un dispositif nouveau, le suivi socio-judiciaire qui peut, après expertise médicale, aboutir à une injonction de soins. Un « médecin coordonnateur », interface entre les praticiens des soins et ceux de la justice pénale, doit évaluer cette nouvelle disposition. Mais cette prise en charge commune, sanitaire, judiciaire, pénitentiaire des personnes placées « sous main de justice » (susceptibles, pour certaines, d'être réinsérées) posaient de nombreux problèmes, dont ceux de la formation des experts et des médecins coordonnateurs. Les délais d'application de la loi ont tardé à venir, publiés en 2000.
Affiner les traitements.
C'est dans ce contexte que le département de médecine légale, de droit médical et de la santé de l'université René-Descartes, dirigé par le Pr Christian Hervé, vient de créer un diplôme « Traitement des agresseurs sexuels » coordonné par les Drs Sophie Baron-Laforêt et Arianne Casanova. « Ce diplôme très spécialisé répond à un besoin évident, il est une urgence, note le Pr Hervé. Qu'est-ce qui nous pousse à soigner des criminels ? Cela pose la question de la dignité humaine, peut-on accepter une hiérarchie de dignité ? Je dis oui aux soins même quand ces hommes ont commis le pire. »« Cette formation est une nécessité, confirme le Dr Casanova, nous avons besoin de bien affiner ces traitements, tant psychologiques que médicamenteux. On était tenté, depuis 1998, par l'utilisation de traitements non validés, tel l'Androcur*, ou les antidépresseurs censés provoquer des troubles de la libido et de l'érection. Il faudra également adapter les prises en charge des agresseurs sexuels, qui représentent une large population allant du prédateur au cas social, il ne peut pas y avoir une seule réponse. »
Les cours, qui commencent aujourd'hui, comportent deux modules. Le premier présente le cadre légal dans lequel s'inscrivent ces traitements : les modalités du système pénitentiaire, les différents établissements, les différents régimes et aménagements. On y définit également la fonction du médecin coordonnateur prévue par la loi de 1998. Le second (au mois d'avril 2005) abordera le suivi clinique et thérapeutique proprement dit : typologie, classifications des auteurs d'agressions sexuelles ; portraits de pédophiles, systèmes incestueux familiaux. Seront présentés les soins : hormonothérapie, thérapie active, thérapies de groupe, psychodynamiques, cognitives et comportementales. Un cours sera consacré à l'évaluation des recherches dans ce domaine.
Les ambiguïtés du statut de victime.
Ce souci de rigueur scientifique a inspiré la création, à Paris-V, d'un second DU, consacré, cette fois à la « Psychotraumatologie ». Lui aussi se présente sous la forme de deux modules, coordonnés par les Drs Louis Jehel et Gérard Lopez. Il complète les diplômes de « Réparation juridique » et de « Victimologie » qui existent au sein du département de médecine légale depuis plus de huit ans. « On dit que la reconnaissance judiciaire est une bonne chose pour les victimes, mais qu'en est-il sur le plan sanitaire ? Ce statut de victime participe-t-il au traitement ? Nous savons peu de choses à ce sujet », note le Dr Jehel. Autre chantier ouvert : l'évaluation des différentes prises en charge des victimes. « Il y a eu un engouement pour la psychotraumatologie. Or beaucoup de personnes non professionnelles qui s'immiscent dans ce domaine manquent de compétences, les bénévoles, particulièrement, posent quelques problèmes », relève le Dr Jehel. Le spécialiste souligne que certaines pratiques encore en cours ne devraient plus exister, c'est le cas des débriefings lors de traumatisme grave. Le DU met donc l'accent sur la recherche et l'évaluation en psychotraumatologie, tant en ce qui concerne les approches cliniques des syndromes que les traitements dispensés, pharmacologiques et psychologiques.
Avec ses deux formations très pointues, la prise en charge des victimes et des agresseurs devrait être plus rigoureuse sur le plan médical.
Lire : « Dictionnaire des sciences criminelles », sous la direction de Gérard Lopez et Stamatios Tzitzis, éd. Dalloz
* Une évaluation des antiandrogènes auprès de 48 volontaires, par une équipe de l'Inserm, doit commencer au début de l'année prochaine (« le Quotidien » du 12 novembre).
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