D ES vingt ou vingt-cinq hommes et femmes politiques qui se déclareront candidats à la présidence de la République d'ici au printemps prochain, il ne restera que deux au second tour. Dans cette longue cohorte de « troisième homme », Jean-Pierre Chevènement, selon les premiers sondages, apparaît comme celui qui présente la candidature la plus crédible.
En tout cas, les Français, au premier tour, auront le choix dans un large éventail de personnalités, ce qui permettra à chacun d'affirmer sa sensibilité spécifique avant de faire le seul choix utile, celui qui désignera le candidat élu. Il est bien trop tôt pour faire des pronostics, mais des « petits » candidats, M. Chevènement semble le seul, pour le moment, qui ait une chance de se maintenir au second tour ; ce qui serait néanmoins miraculeux, compte tenu de la bipolaristaion du pays, et constituerait aussi un événement sans précédent.
Des atouts
Les atouts de M. Chevènement sont nombreux : pour avoir exercé ses talents au gouvernement à diverses reprises et dans des disciplines variées, qui vont de la Défense à l'Education en passant par l'Intérieur, il a acquis une stature d'homme d'Etat ; ses démissions fréquentes, parfois attribuées à des sautes d'humeur ou à l'instabilité de son caractère, traduisent en réalité une adhésion tellement stricte à ses idées qu'il a préféré partir que les trahir, de sorte qu'il a acquis une réputation méritée d'intégrité ; enfin, il ne s'est jamais départi de sa propre cohérence idéologique : hostile à la guerre du Golfe, il a quitté Mitterrand ; exaspéré par les accords de Matignon sur la Corse, il a abandonné Jospin.
De son chemin politique en zigzag, il tire un programme fondé sur le respect des valeurs républicaines et de la souveraineté nationale. Et comme il faut lui accorder ce qu'il a, c'est-à-dire de fortes convictions, il y a tout lieu de croire que, s'il peut exercer le pouvoir un jour, il remettra en cause non seulement la lente progression de la Corse vers l'indépendance, mais l'appartenance de la France à l'Europe, et s'efforcera, en créant de nouvelles alliances, de tenir à distance ces Américains que, comme beaucoup de Français, il ne porte pas dans son cur.
Sans doute, pendant sa campagne, M. Chevènement insistera-t-il surtout sur ce que son programme contient de positif : la lutte contre l'insécurité et l'immigration clandestine, l'exaltation des vertus nationales, la préservation de notre système économique et politique dans un monde devenu trop interdépendant et périlleux. Il sera plus discret sur des orientations qu'il n'a jamais cachées, le rejet de l'euro, le refus de tout abandon de souveraineté dans le cadre de la construction européenne, une politique au Proche-Orient qui serait ouvertement pro-arabe.
Une synthèse
Mais la plus grande séduction que l'ancien ministre de l'Intérieur exerce sur ses concitoyens vient de ce qu'il associe, dans sa méthode, des idées qui viennent de la gauche et d'autres qui sont proches du gaullisme originel, celui qu'incarnait le général. Une France à la fois forte, déterminée et généreuse pour ses masses, voilà ce que pourrait représenter M. Chevènement. C'est un programme ambitieux, mais qui contient sa part de risques, notamment dans son volet européen. Dans le monde unipolaire d'aujourd'hui, le « chevènementisme » risque d'être mis en échec par de profonds mouvements historiques auxquels il aurait bien du mal à s'opposer.
Nous n'en sommes pas là : la certitude d'aujourd'hui, c'est que Chevènement tire sa force de ce qu'il plaît à des gens de gauche et à des gens de droite. A bien des égards, il réalise une synthèse que beaucoup de Français, las du bipolarisme droite-gauche, souhaitent ardemment : d'abord, parce qu'ils se disent qu'il n'a plus lieu d'être et donne lieu à des batailles désuètes qui se déroulent au détriment de la gestion du pays ; ensuite, parce qu'il occupe encore une place énorme dans un contexte où les priorités appellent une action pragmatique plutôt qu'un débat d'idées.
Il puise sa force aussi dans l'absence de crédibilité des autres « petits » candidats. Alain Madelin inscrit sa candidature dans un faisceau d'idées qu'il expose depuis vingt ans et sont, elles aussi cohérentes. Il propose une France « moderne », débarrassée de ses modèles historiques, comme la redistribution de la richesse nationale ; et demande aux Français d'avoir le courage d'entreprendre. Le problème est qu'il s'adresse à un peuple complètement acquis à la protection sociale telle qu'elle est appliquée en France et que ses idées épouvantent. Par rapport au tandem droite-gauche, lui aussi représente une aventure. Mais celle que propose M. Chevènement effraie moins les Français.
Quant à François Bayrou, il souffre déjà de ce que ses compatriotes comprennent mal en quoi il se distingue de M. Chirac et de M. Jospin. Par exemple, il estime que la construction européenne est au point mort. Malheureusement pour lui, le thème européen n'a jamais enthousiasmé les électeurs des Quinze. Si l'Europe stagne ou progresse, cela leur est égal. Ils ne s'opposeront qu'à celui qui voudrait la « déconstruire ». Et c'est pourquoi M. Chevènement doit nuancer ses propos sur l'Union. Mais ils n'enverront pas à l'Elysée un homme pressé de faire élire un président et un gouvernement européens.
Le cas de M. Lipietz
Il y a d'autres candidats, déclarés ou non, comme Charles Pasqua, dont l'électorat risque de céder aux sirènes de M. Chevènement, qui chantent presque la même mélodie, ou ceux de l'extrême droite et de l'extrême gauche dont l'objectif n'est pas du tout d'arriver au second tour mais d'obtenir plus de voix que le voisin. C'est le cas de Robert Hue qu'inquiète la montée d'Arlette Laguiller.
Le plus mal parti des candidats, c'est Alain Lipietz. Il n'avait pas été plus tôt désigné par les Verts qu'il déclenchait en leur sein une terrible bourrasque parce qu'ils ont soudain découvert en lui ce qu'il a toujours été, un homme de l'extrême gauche qui a décidé de faire un bout de chemin écologiste. Que l'on soit indigné ou non parce qu'il s'est prononcé pour l'amnistie des crimes de sang en Corse n'est pas le plus important. Le problème, c'est qu'au moment où les Verts, encouragés par le résultat des municipales, pensent pouvoir faire une percée à la présidentielle, puis aux législatives, ils sont représentés par un marginal qui fera, probablement, un score désastreux.
Parmi les écologistes, les purs et durs estiment qu'il faut garder M. Lipietz. Mais d'autres perçoivent fort bien l'incroyable erreur de stratégie qui a été commise et veulent changer de candidat. Le mouvement donne surtout, à la faveur des ces aller-retour, une désastreuse impression de désordre. D'ailleurs, la forme rejoint le fond : non seulement ils se querellent, ce qui semble dire qu'ils ne sont pas mûrs pour le pouvoir, mais ils se querellent sur une question qui soulève de très fortes émotions dans l'électorat. La leçon est claire : démocratie ne signifie pas cacophonie. Il n'était pas nécessaire de connaître par le menu les conflits de tendance à l'intérieur du mouvement pour savoir, avant le vote de désignation du candidat, que M. Lipietz ne faisait pas l'affaire. Tout simplement parce que ses idées, qu'il ne cache nullement, ne sont pas partagées par l'immense majorité des électeurs. Alors, de deux choses l'une : ou bien M. Lipietz est maintenu, et les Verts vont vers la défaite, ou bien il est remplacé et ils seront traités par la dérision.
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