LES CANCERS hématologiques représentent moins de 10 % des cancers, mais 80 % des cancers qui bénéficient d'une analyse par des techniques de biologie novatrices, en partie parce que ces cancers sont accessibles et les cellules prélevées assez faciles à conserver pour être étudiées.
La cytogénétique classique qui consiste à mettre des cellules en mitose et à étudier la structure des chromosomes reste la seule technique pangénomique, qui survole tout le génome mais de manière assez grossière.
Des techniques de cytogénétique moléculaire.
L'évolution s'est faite vers des techniques de cytogénétique moléculaire faisant appel à l'hybridation moléculaire avec notamment la technique Fish (hybridation in situ fluorescente) fondée sur l'utilisation de sondes marquées avec des fluorochromes spécifiques de certains loci. Pour rechercher une juxtaposition des gènes BCR-ABL par exemple, on met une sonde sur le locus BCR sur le chromosome 22 et une sonde sur le locus ABL (Abeson) sur le chromosome 9. Ces sondes sont colorées avec deux fluorochromes différents et on recherche une colocalisation.
La dernière évolution dans l'analyse du génome, ce sont les CGH Arrays (hybridation génomique comparative). Schématiquement, tout le génome de cellules tumorales est marqué avec un fluorochrome d'une couleur que l'on cohybride avec de l'ADN normal marqué avec un autre fluorochrome L'intensité des couleurs obtenues permet de quantifier des gains ou des pertes de matériel génétique. Depuis le séquençage du génome, les résultats peuvent être beaucoup plus précis indiquant quel gène est amplifié.
La Fish est utilisée dans la majorité des laboratoires de cytogénétique hématologique, mais la place des CGH-arrays commence tout juste à être évaluée.
La biologie moléculaire utilise la PCR.
La technique la plus utilisée en biologie moléculaire est la PCR, qui permet l'étude des acides nucléique extraits (ADN ou ARN). Ses avantages par rapport à la cytogénétique classique et moléculaire sont sa sensibilité, sa processivité, sa rapidité et sa résolution. La Fish, en revanche, appliquée cas par cas renseignera sur le contexte cellulaire et l'architecture associée. Il n'est pas de technique meilleure que l'autre ; il faut savoir choisir celle qui est la mieux adaptée au contexte. Pouvoir faire ce choix dépend d'une interaction étroite entre les différents laboratoires.
Suivi et pronostic grâce à la PCR.
Au stade de suivi, chez un malade en rémission hématologique, la PCR est la technique de choix pour détecter la maladie résiduelle. La PCR est utilisée depuis une quinzaine d'années mais ne commence à donner des résultats réellement quantitatifs que depuis cinq ans environ, depuis le développement de la PCR en temps réel (la RQ-PCR ou Real-Time quantitative PCR). Les résultats permettent d'orienter la stratégie thérapeutique, en particulier lors du suivi du malade leucémique. Elizabeth Macintyre prend l'exemple d'un malade atteint de leucémie myéloïde chronique qui a été allogreffé et est exposé à un risque de rechute. La PCR permet de détecter la réémergence du clone leucémique très précocement, au stade de rechute moléculaire, bien avant la rechute hématologique. Le malade se porte bien mais le clone est en train d'échapper au contrôle du système immunitaire et l'injection de lymphocytes du donneur a plus de chances de rétablir l'équilibre à ce stade de rechute moléculaire qu'au stade de rechute clinique ou hématologique.
La PCR permet également de déterminer le pronostic en s'appuyant sur la cinétique de réponse, surtout dans les leucémies aiguës lymphoblastiques. Un enfant qui se met très vite en rémission, qui a une cinétique de réponse très rapide, a plus de chance de survie, qu'un enfant avec une LAL à cinétique lente. La mesure de la pente de réponse permet de décider quel traitement est le plus approprié : intensification du traitement ou au contraire, si les chances de guérison paraissent importantes, désintensification de son traitement dans certain protocoles, même si ce n'est pas encore le cas en France.
Analyse du transcriptome.
Le séquençage du génome et l'arrivée des puces à ADN (microarrays) appliquées à l'analyse du transcriptome auront un impact important sur la pratique des laboratoires. Certaines puces peuvent quantifier des milliers de transcrits simultanément et fournir une masse de données. L'enjeu actuel est de parvenir à utiliser ces techniques dans l'intérêt du malade.
La première phase de découverte du transcriptome donne le profil transcriptionnel qui caractérise un cancer hématologique avec la signature qui permet de l'identifier à partir d'un nombre variable de paramètres. Cette signature peut éclaircir la lignée d'appartenance, le stade d'arrêt de maturation, les voies oncogéniques, l'environnement cellulaire réactionnel et, par conséquent, le pronostic. Ces précisions, à leur tour, ouvriront des possibilités de traitement spécifique. Le nombre de paramètres génétiques nécessaire pour l'identification de la signature déterminera les techniques qui seront utilisées à l'avenir pour classer les tumeurs. Ce choix se fera entre les techniques d'immunophénotypage, de RQ-PCR et des microarrays à visée diagnostique. L'immunophénotypage est adapté à l'analyse de peu de paramètres, surtout s'il y besoin d'une analyse architecturale ; la RQ-PCR est adaptée à l'analyse d'environ 5-150 paramètres et les microarrays à plus de 15 paramètres. Il faut cependant souligner que les avantages et les inconvénients des différents approches, ainsi que leur reproductibilité en intra- et inter--technique restent à évaluer. Il est probable que ces techniques doivent être employées par des plates-formes analytiques spécialisées qui peuvent les utiliser d'une manière interchangeable selon le contexte.
La masse de données générée par microarrays a rendu nécessaire une expertise en bio-informatique. Reste à savoir comment l'analyse par génétique multiparamétrique sera gérée par les biologistes, les cliniciens et les informaticiens.
Identifier et comprendre.
Le transcriptome sert à identifier une tumeur et à savoir quels sont les malades qui vont mourir rapidement et ceux qui peuvent être guéris avec un traitement moins intensif.
Le transcriptome sert aussi à comprendre la leucémie ; la masse de données est analysée avec l'aide d'un bio-informaticien, la signature qui caractérise la tumeur est utilisée pour construire des modèles de voies oncogéniques et les tester pour tenter de mettre au point des traitements adaptés. Les deux approches sont nécessaires.
Des puces de deuxième génération ?
Pour certains, les puces pantranscriptomes constituent seulement une phase de découverte ; des puces de 2e génération comportant peu de paramètres (sélectionnés) permettront de décider le traitement des malades. Est-ce qu'il y aura une puce leucémie aiguë, une puce panhémato... ? La question est posée, sans réponse pour l'instant.
Le diagnostic fait intervenir morphologie, anatomopathologie, phénotypage, cytogénétique et biologie moléculaire. Ces cinq spécialistes seront-ils toujours nécessaires ? L'ordinateur ne pourra pas tout décider mais la place des différents biologistes va changer.
D'après un entretien avec le Pr Elizabeth Macintyre, service d'hématologie biologique, hôpital Necker - Enfants-malades, Paris.
Des anomalies génétiques acquises multiples
La grande majorité des cancers hématologiques et des cancers en général résulte, au moins en partie, d'anomalies génétiques qui sont des anomalies acquises (génétique somatique) pouvant survenir à un stade très précoce, même avant la naissance, et durant toute la vie de l'individu :
- anomalies de gènes du développement observées plutôt dans les leucémies aiguës ;
- anomalies de la voie de l'apoptose ; un blocage de l'apoptose entraîne une immortalisation et accumulation des cellules en l'absence de mort programmée ; si peu à peu ces cellules se divisent, le risque de mutations somatiques augmente, et avec lui le risque d'oncogenèse dans un deuxième temps. Cette voie d'oncogénèse est notamment celle des lymphomes folliculaires : une juxtaposition du gène BCL2 au gène d'immunoglobuline du lymphocyte B dérégule l'expression de BCL2. Le résultat est un excès de BCL2 qui a un pouvoir antiapoptotique et le lymphocyte B est immortalisé. On sait depuis longtemps que tous les individus possèdent des lymphocytes B de ce type et que leur nombre augmente notamment avec l'âge et cela ne suffit pas pour faire un lymphome folliculaire. C'est un deuxième événement comme la délétion de p53 sur le chromosome 17 qui va agir en synergie avec l'immortalisation du lymphocyte et déclencher un lymphome folliculaire préclinique.
- anomalies qui touchent la prolifération cellulaire ou anomalies des voies d'activation.
Le modèle le plus connu d'oncogénèse par augmentation de la prolifération est celui de la leucémie myéloïde chronique où la juxtaposition de deux gènes BCR et ABL augmente l'activité tyrosine-kinase et la prolifération.
Un blocage de la prolifération avec accumulation de cellules bloquées à un stade précoce de leur maturation est une autre voie d'oncogenèse observée plutôt dans les leucémies aiguës. L'exemple le plus parlant en termes de conséquences thérapeutiques est celui des leucémies promyélocytaires où la fusion entre deux gènes PML-RARA bloque les cellules au stade de promyélocytes. Le traitement par différenciation par acide rétinoïque qui arrive à lever le blocage a suscité beaucoup d'intérêt en oncohématologie.
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