N° SPECIAL Cancérologues/Hématologues

Désescalade thérapeutique pour limiter la toxicité chez l'enfant

Publié le 11/06/2003
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Un entretien avec le Dr Jean Michon*

Les résultats d'une grande étude internationale sur les lymphomes B de l'enfant, qui viennent d'être présentés à l'ASCO, constituent sans doute l'événement de l'année 2003 en oncologie pédiatrique (1). Cette étude franco-anglo-américaine de désescalade thérapeutique est le fruit d'un long travail accompli depuis les années 1980 par Catherine Patte (institut Gustave-Roussy, Villejuif) pour améliorer la prise en charge des enfants atteints de lymphome B. Elle a porté sur plus de mille patients. Elle confirme que, dans les formes localisées de bon pronostic, du groupe A, opérées d'emblée, deux cures de chimiothérapie assurent une survie de plus de 90 %. Dans les formes du groupe B (stade III et IV médullaires sans atteinte méningée ni leucémie, avec une bonne réponse à la préphase thérapeutique), le traitement le plus court donne des résultats aussi bons qu'une prise en charge plus intense. Chez ces enfants, on peut donc aujourd'hui proposer une chimiothérapie moins agressive et un peu moins longue sans modifier leur pronostic.
Cette étude montre en outre que l'intensité de la chimiothérapie dans le temps est également un facteur pronostique : le raccourcissement du délai entre la première dose de chimiothérapie et le début de la deuxième cure augmente la survie. Dans ce groupe, il est donc conseillé, dans la mesure du possible, de ne pas éloigner les cures les unes des autres. En revanche, la désescalade ne peut être appliquée aux formes neuroméningées ni aux leucémies B (groupe C). Ce bras de l'étude a d'ailleurs été arrêté prématurément en raison d'un surcroît d'événements chez les enfants du groupe « désescalade ».

Des marqueurs pronostiques

Cette volonté de réduire l'intensité des chimiothérapies s'affirme également dans d'autres pathologies grâce à la découverte de marqueurs biologiques permettant de mieux définir le pronostic et donc d'adapter les traitements. Ainsi, dans les formes localisées de neuroblastomes, la mise en évidence d'une amplification du proto-oncogène N-Myc dans les cellules tumorales signe un moins bon pronostic (2). Dans les formes avec amplification de ce marqueur, le traitement doit donc être plus agressif que dans les tumeurs sans amplification de N-Myc pour lesquelles une thérapeutique moins agressive garantit un excellent pronostic. Une chimiothérapie lourde avec irradiation locale a ainsi pu améliorer de façon très significative la survie des enfants présentant une forme localisée dont la présence de l'oncogène N-Myc marque le mauvais pronostic.
Le diagnostic moléculaire de certaines tumeurs constitue également une avancée importante en oncologie pédiatrique. C'est dans le cadre des tumeurs d'Ewing qu'a été analysée, par une équipe de l'institut Curie coordonnée par Olivier Delattre, une translocation spécifique qui permet aussi d'améliorer le diagnostic et de préciser le pronostic (3). Cette translocation se situe entre les chromosomes 11 et 22, elle aboutit à la création d'un nouveau gène ou gène de fusion qui joue un rôle important dans la cellule tumorale, puisque l'inhibition de son expression modifie le phénotype tumoral in vitro, autrement dit arrête le processus malin. On peut donc imaginer dans l'avenir de nouvelles approches thérapeutiques visant ce néogène, mais, actuellement, cette découverte apporte déjà une aide au pathologiste pour le diagnostic de formes difficiles. Par ailleurs, ce gène de fusion peut être retrouvé dans le sang ou la moelle osseuse de certains enfants atteints de formes considérées comme localisées par les méthodes de recherche classiques des métastases : il signe la présence de cellules circulantes de la tumeur dans le sang ou de micrométastases dans la moelle. Une étude rétrospective française a montré que le pronostic de ces enfants était moins bon qu'en l'absence de mise en évidence de cellules dans la moelle ou dans le sang. Pour apprécier les implications de ces résultats, une étude prospective européenne a été mise en œuvre. Elle va évaluer le bénéfice éventuel d'un traitement plus agressif chez les enfants présentant des cellules tumorales diagnostiquées par la présence de ce néogène dans la moelle.
D'autres gènes de fusion ont été mis en évidence dans les tumeurs d'Ewing, mais aussi dans d'autres pathologies rares tels que les rhabdomyosarcomes alvéolaires, les synovialosarcomes ou les tumeurs desmoplasiques.

L'intérêt des greffes de cellules souches

Sur le plan thérapeutique, les dernières années ont également été marquées par l'extension des indications des greffes de cellules souches, qui permettent une intensification des traitements dans certaines tumeurs. Dans les neuroblastomes métastatiques de stade 4, une étude récente a montré que l'irradiation corporelle totale associée à une chimiothérapie intensive avec greffe de cellules souches donne de meilleurs résultats que la chimiothérapie conventionnelle (4). Une étude prospective est en cours pour comparer l'intensification thérapeutique à la chimiothérapie d'entretien dans les tumeurs d'Ewing de pronostic intermédiaire, c'est-à-dire les formes avec métastases pulmonaires uniquement, ou les formes localisées ayant une mauvaise réponse à la chimiothérapie (Essai EUROEWING 99).
Enfin, la prise en compte des séquelles de l'irradiation chez les enfants souffrant de tumeurs cérébrales a conduit au développement de protocoles visant à réduire les doses de radiothérapie sur l'encéphale. Une étude a été mise en route à l'initiative de la Société française des cancers de l'enfant dans les formes de haut risque de médulloblastome chez les enfants de moins de 5 ans. Sous couvert de réinjection de cellules souches autologues, une chimiothérapie agressive est prescrite avant l'irradiation afin de différer la radiothérapie et d'en réduire les doses.

* Institut Curie,Paris. (1) Présentations des Drs Catherine Patte (France), Mitchel Cairo (Etats-Unis) et Mary Gerrard (Grande-Bretagne)
(2) Rubie H et coll. J Clin Oncol 1997 ; 15 :1171-82
(3) Schleirmacher G et coll. J Clin Oncol 2003 ; 21 : 85-91
(4) Matthay K et al. N Engl J Med 1999 ; 34 :1165-73

Principales translocations et gènes de fusion

.
Tumeur d'Edwing
t(11;22)(q24;q12)EWS-FLI1
t(21;22)(q22;q12)EWS-ERG
t(7;22)(p22;q12)EWS-ETV1
t(17;22)(q12;q12)EWS-E1AF
t(2;22)(q33;q12)EWS-FEV

Rhabdomyosarcome alvéolaire
t(2;13)(q35;q14)PAX3-FKHR
t(1;13)(p36;q14)PAX7-FKHR

Synovialosarcome

t(X;18)(p11.2;q11.)SYST-SSX1
t(X;18)(p11.2;q11.2)SYS-SSX2
t(X;18)(p11.2;q11.2)SYS-SSX4

Tumeur desmoplastique
t(11;22)(p13;q12)EWS-WT1

Chondrosarcome myxoïde extrasquelettique
t(9;22)(q22;q12)EWS-TEC
t(9;17)(q22;q11.2)TAF68-TEC
t(9;15)(q22;q21)TFC12-CHN

Tumeur myofibroblastique
inflammatoire

t(1;2)(q25;p23)ALK-TPM3
t(2;19)(p23;p13)ALK-TPM4
t(2;17)(p23;q23)ALK-CLTC

Mélanome malin des parties molles
t(12;22)(q13;q12)EWS-ATF1

Sarcome alvéolaire
t(X;17)(p11;q25)ASPL-TFE3

Fibrosarcome congénital
t(12;15)(p13;q25)ETV6-NTRK3

Sarcome endométrial stromal
t(7;17)(p15;q21)JAZF1-JJAZ1

Autres
DermatofibrosarcomeCOL1A/PDGF
Tumeurs bénignesHMGI-C/
partenaires variés

Dr Marine JORAS

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7351