Des ulcères cutanés pris à tort pour un Pyoderma gangrenosum

Publié le 30/10/2002
Article réservé aux abonnés

De notre correspondante
à New York

Si de nombreuses observations ont décrit des maladies au cours desquelles les ulcères cutanés peuvent ressembler à un Pyoderma gangrenosum, aucune étude d'envergure n'a encore évalué ce problème.

Une équipe de dermatologues de la Mayo Clinic à Rochester (Minnesota) a comblé cette lacune, en examinant son expérience des vingt-cinq dernières années et la littérature sur le sujet.
Cette étude renseigne pour la première fois sur la fréquence avec laquelle le diagnostic de Pyoderma gangrenosum est porté à tort, sur les complications qui en découlent, et dresse la liste des différentes maladies qui peuvent simuler cette atteinte.
Le Pyoderma gangrenosum a été décrit pour la première fois en 1930 à la Mayo Clinic chez cinq patients qui présentaient « des ulcères cutanés suppuratifs, douloureux, rapidement progressifs, avec des bords œdémateux et nécrotiques ».

Une dermatose neutrophile

Ce trouble fait partie des dermatoses neutrophiles, caractérisées par la présence d'infiltrats neutrophiles non infectieux dans la peau. Il est associé à certaines maladies, comme les affections intestinales inflammatoires (RCH), les paraprotéinémies, la polyarthrite rhumatoïde et les maladies myéloprolifératives. Il pourrait représenter une réaction inflammatoire excessive en réponse à un processus traumatique, inflammatoire, ou néoplasique chez des personnes susceptibles. Son traitement consiste en prednisone à haute dose ou autres immunosuppresseurs.
Dans leur travail, Weenig et coll. ont examiné les dossiers de 240 patients chez lesquels fut porté le diagnostic de P. gangrenosum à la Mayo Clinic entre 1975 et 2000 ; 157 d'entre eux ont été traités consécutivement à la Mayo Clinic, entre 1984 et 1992, pour un Pyoderma gangrenosum présumé.
Les chercheurs ont aussi analysé la littérature. Ils ont identifié 95 patients (dont 49 de la Mayo Clinic) qui ont présenté des ulcérations cutanées ressemblant cliniquement à un P. gangrenosum mais attribuées finalement à une autre cause.
La cause de ces ulcérations simulant un P. gangrenosum peut appartenir à six grandes catégories : maladie vasculaire occlusive (syndrome anticorps-antiphospholipides) ou maladie veineuse, vascularite (granulomatose de Wegener), cancer (lymphome et leucémie de la peau, histiocytose), infection (infection fongique profonde), cause externe (ulcération auto-induite), et autres maladies inflammatoires (polyarthrite noueuse).
Sur ces 95 patients, 64 ont été traités pour un P. gangrenosum avant l'établissement d'un autre diagnostic. Quinze d'entre eux font partie des 157 patients traités consécutivement pour un P. gangrenosum à la Mayo Clinic, ce qui donne une fréquence d'erreur diagnostique de 10 %.

Suspicion : biopsie

La biopsie initiale ou ultérieure, lorsqu'elle était disponible, révélait une autre cause chez plus de la moitié des patients, ce qui conduit les chercheurs à recommander la biopsie devant toute suspicion de P. gangrenosum.
De plus, ces 64 patients ont été traités pour un P. gangrenosum pendant en moyenne dix mois avant que le diagnostic final correct soit posé. Sur ces 64 patients traités pour un P. gangrenosum, 36 % étaient réfractaires au traitement, ce qui souligne la nécessité de reconsidérer le diagnostic lorsque le traitement ne marche pas, 12 % ont présenté une exacerbation de leur maladie, et 23 % ont été améliorés temporairement par le traitement.
Cinq patients sont décédés d'infection et quatre par progression de la maladie, mais il n'est pas possible de savoir si le diagnostic erroné et le mauvais traitement ont contribué à ces décès.
Le traitement du P. gangrenosum n'est pas dénué d'effets secondaires et, en outre, il peut exacerber une autre cause d'ulcération (comme une infection ou un lymphome) ou améliorer temporairement certaines causes d'ulcérations (vascularite, syndrome anticorps-antiphospholipides et lymphome) et, par conséquent, entraîner une contestation du diagnostic de ces troubles, expliquent les chercheurs.
« Nos données indiquent que le diagnostic erroné de Pyoderma gangrenosum n'est pas rare (jusqu'à 10 %) et qu'il expose les patients à des risques élevés associés à son traitement », concluent les auteurs. « Un bilan complet (avec biopsie) est requis chez tous les patients soupçonnés d'avoir un P. gangrenosum de façon à éliminer des diagnostics qui le simulent. » Ils recommandent pour tous les patients soupçonnés d'avoir un P.  gangrenosum« un suivi étroit à long terme avec réévaluation du diagnostic (avec biospie répétée si nécessaire), même chez les patients qui répondent au traitement ou qui présentent des maladies typiquement associées au P. gangrenosum  ».

« New England Journal of Medicine » du 31 octobre 2002, p. 1 412.

Dr Véronique NGUYEN

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7210