Par le Pr JEAN-PHILIPPE SPANO*
QUOI DE NEUF dans le cancer du sein ? On se doit de citer la communication de Craig Jordan lors de la « Karnofsky lecture » à propos de plus de trente-cinq ans de recherche sur l'association estrogènes et cancer du sein et surtout sur l'apport du tamoxifène, capable de prévenir la carcinogenèse mammaire et de bloquer l'estradiol sur les récepteurs hormonaux des cellules de cancer du sein. Pour Craig Jordan, le tamoxifène reste la première thérapie ciblée. Au total, les récepteurs hormonaux considérés comme des facteurs pronostiques au départ, puis prédictifs, sont considérés de nos jours comme de véritables cibles. Le tamoxifène a ouvert l'ère des anti-estrogènes non stéroïdiens encore appelés SERMs, capables par ailleurs de maintenir la densité osseuse, un faible taux de cholestérol et de prévenir la survenue d'un autre cancer du sein. Certes, le tamoxifène admet quelques effets secondaires, le plus important étant l'augmentation du risque de cancer de l'endomètre. Cela a permis de développer des « cousins » chimiques tels que le raloxifène, pouvant prévenir l'ostéoporose, la survenue d'un cancer du sein et réduire l'incidence du cancer de l'endomètre. Ainsi, au cours de sa présentation, C. Jordan a insisté aussi sur les découvertes pharmacologiques et des mécanismes de résistance aux anti-estrogènes. Il a notamment présenté ce qui fut déjà évoqué il y a plus de trente ans, le rôle de fortes doses d'estrogènes susceptibles d'entraîner la mort des cellules tumorales, pour peu que ces cellules aient été au préalable sensibilisées aux estrogènes… Suite au prochain épisode sur « Estrogènes : to be or not to be »… L'avenir, c'est la pharmacogénétique, la pharmacogénomique, la connaissance et la modulation des mécanismes de résistance du couple anti-estrogène/récepteurs aux estrogènes.
Enfin, un certain nombre de travaux ont porté sur les modifications du statut biologique des cellules métastatiques par rapport aux cellules de la tumeur primitive, que ce soit dans le cancer du sein ou dans d'autres modèles tumoraux (cancer du côlon). En effet, il existe pour le cancer du sein, manifestement, des différences d'expression (récepteurs hormonaux, HER2…) qui peuvent être source de difficultés sur le plan thérapeutique, en particulier lorsque le choix porte sur l'utilisation d'une thérapie ciblée. Cela nous amène à évoquer la nécessité d'une biopsie systématique du site, voire des sites métastatiques, en cas de récidive, afin d'adapter pour le mieux la décision thérapeutique (Mac Farlane, abst. 1000, Broglio, abst. 1001, Munich, abst. 503). En ce qui concerne justement les thérapies ciblées et le trastuzumab (Herceptin), il existe des arguments assez solides qui vont dans le sens de la poursuite du trastuzumab au-delà de la progression (Dawood, 1018, O'Shaughnessy, 1015), que cette molécule soit respectivement associée à une chimiothérapie ou à une autre thérapie ciblée comme le lapatinib (inhibiteur de type TKI des récepteurs HER1 et HER2). Ces études mettent en exergue l'amélioration de la survie des patientes HER2+, quand on maintient le trastuzumab au-delà de la première, ou deuxième ligne métastatique, en association à une chimiothérapie ou à un autre traitement anti-HER2. Quant aux patientes HER2 négatives, on retiendra le bénéfice à rajouter le bévacizumab au docétaxel chez des patientes traitées en première ligne de cancer du sein métastatique (Avado, Miles, LBA1011) : 736 patientes randomisées, taux de survie sans progression 0,79 (p = 0,0318) comparées au bras placebo ; taux de réponse, 44 % dans le bras placebo, 55 % dans le bras bévacizumab faible dose (7,5 mg/kg ; p = 0,0295), 63 % dans le bras haute dose (15 mg/kg, p = 0,0001).
Cancer du rein.
Les autres faits marquants sont la poursuite des progrès thérapeutiques dans le cancer du rein avec la présentation des résultats de l'étude de phase III comparant un nouvel inhibiteur de mTOR, le RAD001 ou everolimus, à un traitement de support plus placebo chez des patients atteints de cancer du rein métastatique après progression sous inhibiteur d'angiogenèse. L'everolimus permet une amélioration significative de la survie sans progression (4 mois vs 1,9 mois, p < 0,001), avec 26 % des 272 patients du bras everolimus ayant pu expérimenter une survie sans progression de six mois, comparés à seulement 2 % des 138 patients du bras placebo. Par ailleurs, l'objectif secondaire portant sur la tolérance, il a pu être démontré qu'elle était tout à fait acceptable. Au total, l'everolimus confirme l'intérêt de cette nouvelle approche thérapeutique (inhibition de mTOR) chez des patients atteints de cancer du rein ayant reçu du temsirolimus (validé en première ligne chez des malades ayant des facteurs de mauvais pronostic) et représente le premier agent de cette famille à donner un bénéfice clinique dans cette situation d'échec d'un traitement premier par un inhibiteur d'angiogenèse (sunitinib, sorafénib) (Motzer, LBA 5026).
Cancer colo-rectal.
Enfin, parmi les points les plus importants, à savoir ceux de la session plénière, on retiendra la confirmation de la mutation KRAS comme facteur prédictif de résistance aux anti-EGFR, en l'occurrence le cetuximab, chez des patients atteints de cancer colo-rectal traités en première ligne par un régime FOLFIRI plus ou moins associé au cetuximab (étude Crystal, Van Cutsem). En effet, bloquer la voie EGFR conduit à bloquer toutes les autres voies de signalisation en aval, responsables de la division, de la prolifération cellulaire et de la diffusion métastatique. Or, en cas de mutation de la voie KRAS (42 % des cas de cancer colo-rectal), le blocage de l'EGFR ne se fait plus et un traitement par un anticorps anti-EGFR (cetuximab) n'apporte alors aucun bénéfice. En revanche, lorsque KRAS est de type sauvage, le bénéfice de l'ajout du cetuximab à une chimiothérapie est nettement significatif, que ce soit en termes de réponse objective ou de survie sans progression.
Au total, non seulement les avancées sur le plan de la connaissance des mécanismes moléculaires de la cancérogenèse ne cessent de progresser, garantes du développement des thérapies ciblées, mais l'avenir porte aussi sur la découverte des facteurs prédictifs de réponse à ces nouvelles approches thérapeutiques, afin d'adapter de manière optimale les traitements antitumoraux, et évoluer de plus en plus vers un traitement dit « à la carte ».
* GH Pitié-Salpêtrière, université Paris-VI.
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