Des toxines bactériennes pourraient prévenir les cancers colo-rectaux

Publié le 10/02/2003
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Dans un article à paraître dans les « Proceedings » de l'Académie des sciences américaine, Pitari et ses collègues (Thomas Jefferson University, Philadelphia, Pennsylvanie) proposent une hypothèse intéressante permettant d'expliquer la faible incidence des cancers colo-rectaux dans les pays du tiers-monde : les toxines sécrétées par les entérobactéries infectant très fréquemment ces populations pourraient prévenir le développement hyperprolifératif et néoplasique des cellules épithéliales de l'intestin.
Les auteurs apportent un argument très convaincant allant dans le sens de cette hypothèse, puisqu'ils ont réussi à mettre en évidence une nouvelle voie de signalisation intracellulaire ayant pour point de départ la fixation d'une entérotoxine à un récepteur cellulaire et, comme effet final, l'inhibition de la prolifération des cellules.
Les toxines produites par les souches pathogènes de l'entérobactérie E. coli sont de petits peptides capables de se fixer à des récepteurs présents à la surface des cellules épithéliales de l'intestin, les récepteurs GC-C (pour « guanylyl cyclase-C »). La fixation des entérotoxines sur ces récepteurs va conduire à une forte augmentation du nombre de molécules de GMP cyclique (GMPc) dans les cellules. La concentration élevée du GMPc intracellulaire va à son tour provoquer l'activation d'effecteurs impliqués dans la pathogenèse des diarrhées.
Le récepteur GC-C peut, en outre, fixer des peptides endogènes telles la guanyline ou l'uroguanyline. Dans ce cas, la cascade de signalisation engendrée par la fixation des ligands sur les récepteurs GC-C permet le contrôle autocrine et paracrine des fluides intestinaux.

Relation inverse entre cancer et entérobactéries

De plus, il a récemment été mis en évidence que la fixation de ligands endogènes aux récepteurs GC-C participe également à la régulation de la prolifération et de la différenciation des cellules intestinales. En effet, l'inactivation du gène codant pour la guanyline conduit, chez la souris, à une augmentation de la prolifération de l'épithélium colique.
Ces différentes données ont conduit Pitari et coll. à proposer que, puisqu'il existe une relation inverse entre l'incidence des cancers coliques et celle des infections par les entorébactéries pathogènes, les toxines des entérobactéries pourraient jouer un rôle dans le mécanisme de maintien de la suppression tumorale par les récepteurs GC-C.
Une étude pharmacologique menée sur des cellules en culture leur a permis de mettre en évidence que la fixation de toxines bactériennes sur les récepteurs GC-C provoquait effectivement une cascade de réactions provoquant l'inhibition de la prolifération cellulaire.

L'administration orale d'agents spécifiques

Cette fixation entraîne en effet, via l'augmentation du GMPc intracellulaire, une entrée massive de calcium qui va, elle-même, par un mécanisme non élucidé, provoquer l'inhibition de la multiplication des cellules. Un analogue non hydrolysable du GMPc, facile à faire entrer dans les cellules, le 8-Br-GMPc, conduit aux mêmes effets que les toxines bactériennes.
Les résultats de Pitari et coll. fournissent donc de nouvelles cibles thérapeutiques endogènes permettant de préserver ou de restaurer le rôle du récepteur GC-C dans la suppression tumorale. L'administration orale d'agents spécifiques, tels que la guanyline, l'uroguanyline, les analogues du GMPc ou même le calcium, pourrait en effet offrir de nouvelles approches pour la prévention et/ou la thérapie des cancers colo-rectaux.

G.M. Pitari et coll., « Proc Natl Acad Sci USA », édition en ligne avancée, www.pnas.org/cgi/doi/10.1073/pnas.0434905100.

Elodie BIET

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7271