DE NOTRE CORRESPONDANTE
COMPTE TENU DE L'ESSOR des centres d'appels, la médecine du travail devait s'intéresser de près aux effets des missions qui y sont effectuées sur la santé des salariés. C'est aujourd'hui chose faite. A l'initiative du Dr Michel Vohito, médecin à l'Association santé au travail (AST) grand Lyon, et en collaboration avec le service de santé au travail Agemetra, des épidémiologistes de l'université Claude-Bernard Lyon-1 ont réalisé l'une des plus importantes études en France sur ce thème.
Dans le cadre de son exercice quotidien, le Dr Vohito avait constaté combien les conditions de travail étaient difficiles, génératrices de dépressions et d'absentéisme. En 2005, dans une étude de la Fédération communication, conseil et culture (F3C) de la Cfdt, 91 % des salariés interrogés décrivaient leur travail comme «stressant» et 56 % affirmaient «ne pas pouvoir ou mal dormir». Mais la faiblesse de l'échantillon ne permettait pas de tirer des conclusions définitives. C'est ce qu'ambitionne l'enquête lyonnaise, qui veut, explique le Dr Barbara Charbotel, épidémiologiste en santé au travail à l'université Lyon-1, à la fois «quantifier les effets sur la santé du travail en centre d'appels téléphoniques et suggérer des pistes de réflexion et d'amélioration des conditions de travail». Financé par l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset) et le ministère de l'Emploi, elle a porté sur un effectif important, 2 000 téléopérateurs salariés d'entreprises lyonnaises, lesquels ont été soumis à un autoquestionnaire.
Contraintes.
Les résultats, encore non publiés* mais présentés tout récemment aux partenaires de ce travail, mettent l'accent sur deux grands types de retentissement sur la santé : physique et psychique. Dans le premier registre, indique le Dr Charbotel, les téléopérateurs disent souffrir de troubles musculo-squelettiques, «avec des douleurs comparables à celles évoquées par les salariés exposés à des contraintes physiques importantes», précise-t-elle, mais aussi de fatigue visuelle et surtout auditive. A cause des nuisances sonores, dont se plaignent deux personnes sur trois. Un fort absentéisme semblerait également caractériser ces salariés : «Seulement 37,8% des employés interrogés déclarent ne pas avoir été arrêtés dans les douze mois précédant l'enquête», poursuit l'épidémiologiste. Dans le registre des souffrances psychiques, les résultats n'en paraissent pas moins inquiétants, puisque «36% des sujets de l'étude présentaient un niveau modéré à élevé de détresse psychologique», complète le médecin, qui explique que la détection des troubles psychologiques a été mesurée à l'aide du Général Health Questionnaire à 12 items (GHQ 12). Une consommation élevée d'anxiolytiques, de somnifères et d'antidépresseurs est, en outre, notée : 24 % des salariés des deux sexes, et 28 % des femmes, ont déclaré en avoir consommé au cours des six derniers mois. «Ces résultats demandent à être confirmés en analysant exactement le type de produit consommé», nuance le Dr Charbotel.
Pistes d'amélioration.
Après la prise en compte des facteurs individuels susceptibles d'être à l'origine d'une souffrance mentale, les auteurs ont identifié des facteurs professionnels favorisants, comme le fait d'imposer le temps de travail et la durée des appels, celui de ne pas avoir choisi de travailler en centre d'appels ou celui d'appartenir à une entreprise de taille moyenne. «Il semble donc important d'insister sur l'environnement psychosocial, de ces plates-formes téléphoniques, estime Barbara Charbotel, car si certaines caractéristiques intrinsèques au poste de téléopérateur semblent ne pas pouvoir être changées, d'autres de types organisationnelles pourraient sans doute être modifiées.» La question du choix du poste de travail, en l'occurrence, semble importante, puisque près de 30 % des téléopérateurs occupent un poste qu'ils n'ont pas choisi et 72 % d'entre eux envisagent de changer de poste à plus ou moins long terme. Les auteurs de l'enquête demeurent convaincus qu'il est aujourd'hui possible d'améliorer les conditions de travail sans sacrifier la productivité. «Certains appels, réalisés sous la pression d'une trop grande contrainte temporelle, échouent», fait d'ailleurs observer le Dr Charbotel. Avant de conclure que l'Afsset et le ministère, qui ont maintenant pris connaissance des résultats de cette enquête, pourraient également agir en connaissance de cause.
* Ils seront en ligne cet automne sur le site www.univ-lyon1.fr.
250 000 salariés
En France, le secteur des centres d'appels se porte bien. Mais étant donné l'évolution rapide dans ce domaine, il est difficile d'avoir des chiffres à jour. En 2004, le cabinet Cesmo recensait 3 300 centres d'appels. Actuellement, le nombre de salariés est estimé autour de 250 000, qui travaillent dans les télécommunications, les services, la banque et la finance et la vente par correspondance. Ils étaient 200 000 en 2005 et la commissaire générale du Seca (Salon européen des centres de contacts et de la relation client) prédisait alors 100 000 créations d'emploi d'ici à 2015.
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