LE TEMPS DE LA MEDECINE
Le marketing s'intéresse au goût. Un paramètre de plus en plus souvent pris en compte par les industriels. Des initiatives à fort retentissement médiatique, telle la Semaine du goût, organisée chaque automne depuis quatorze ans, à l'initiative du Centre d'études et de documentation du sucre (CEDUS), l'attestent.
Comme le note Jacques Puisais (laboratoire d'analyses et de recherches de Tours, président de l'Institut français du goût), « les études du goût telles que les effectuent les industriels sont axées non sur la recherche du plaisir du consommateur, comme dans la démarche de l'artisan qui concocte son plat de terroir, mais sur l'obtention des retombées économiques à grande échelle ».
Une démarche qui s'insère dans un processus complexe. Le curriculum vitae de Christian Pineau, 42 ans, développeur chez Unilever, illustre ses différents rouages. Ingénieur agroalimentaire, cet ancien élève de l'Ecole nationale supérieure de biologie appliquée à l'alimentation et à la nutrition (ENSBANA) a fait ses classes dans la recherche et développement en France dans le secteur boissons du groupe (Lipton, Elephant, Royco). Il a ensuite étudié les transferts technologiques, toujours dans la boisson, au sein des laboratoires centraux d'Unilever, aux Pays-Bas, puis intégré une usine européenne à un poste de « supply chain » (chaîne d'approvisionnement). Depuis 1999, il est responsable de développement, toujours au sein de la division boisson, à Rueil-Malmaison.
« Notre fonction consiste à transformer un concept marketing, au départ, en réalité physique à l'arrivée : le produit dans son sachet, mis par le consommateur dans la tasse. S'agissant de thé commercialisé sous forme de feuilles (« leaf tea») , le goût, en l'absence de tout paramètre de texture, est déterminant. »
Le développeur, « food technologist » dans le jargon maison, va mixer des données tirées tout à la fois du marketing, de la recherche-développement, des « supply chains », de la recherche marketing, des études de consommateurs et des équipes financières.
Des équipes planchent à tour de rôle sur des projets multifonctionnels, avec, à chaque stade, des vérifications auprès des consommateurs .
Les goûts des consommateurs sont recueillis lors de séances de groupes dans des locaux spécialement aménagés (glaces sans teint, caméras....).
Le profil sensoriel
Directeur général de la Société des sciences d'hygiène alimentaire (SSHA), Lucien Mouillet est l'un des spécialistes de ces techniques. Son laboratoire, l'un des dix principaux installés en France, est missionné par les fabricants, les distributeurs et les syndicats professionnels, tous désireux de savoir ce qu'aime le consommateur. Même des fabricants automobiles font appel à ses services à la recherche de la bonne odeur de voiture neuve qui fait vendre.
Sur le plan alimentaire, c'est la « flaveur » (anglicisme pour combiner les notions de saveur et d'odeur) qui fait l'objet des investigations de ces laboratoires d'analyse sensorielle.
Outre les contrôles qualité faisant appel à la microbiologie et à la biochimie, cet autre ancien de l'ENSBANA utilise deux types d'épreuves. « Les épreuves hédoniques sont les plus simples, elles consistent à enregistrer la réponse du consommateur à la question basique : " Aimez-vous ? " N'aimez-vous pas ? " Plus sophistiquées sont les épreuves dites discriminatives, où les panels sont invités à plancher sur les différences qu'ils perçoivent entre deux produits. A cet effet, on leur présente généralement trois produits (deux semblables et un différent). »
C'est dans ce cadre que des dégustateurs avertis et exercés vont noter de 1 à 10 les descripteurs préalablement définis : « Les quatre saveurs fondamentales (sucré, salé, amer, astringent), mais aussi des notions d'onctuosité ou de craquant, chiffrées et moulinées avec des logiciels statistiques, vont permettre de tracer les profils sensoriels de deux produits en visualisant les courbes de chacun d'eux. »
Une démarche qui se veut scientifique, censément reproductible. Rien à voir avec le travail que font les dégustateurs en oenologie, avec des catégories de goût beaucoup plus nombreuses et sur lesquelles cinq ou six experts tentent de trouver un consensus.
Pour les laboratoires d'analyse sensorielle, dûment certifiés par des organismes d'accréditation, le goût, concept subjectif s'il en est, est donc paramétré avec une rigueur toute géométrique.
Les résultats financiers sont-ils au rendez-vous ? Chez Unilever on admet que l'innovation est un dur métier : sur cent nouveaux produits lancés au Japon, seulement deux ou trois survivraient deux ans. Les chiffres pour l'Europe ne seraient pas connus. « Nous sommes à la croisée de tant de chemins, souligne Christian Pineau, la biologie, la biochimie, la nutrition, les techniques industrielles... »
Dernier enfantement à venir dans la gamme des « leaf tea », le Lipton Yellow Long Leaf devrait faire son apparition sur les linéaires le 1er juillet. Deux innovations en un produit : un thé en feuilles longues qui a nécessité de revoir les modes de culture et présenté en sachet pyramidal, avec de « gros morceaux de fruits ». Un produit censé offrir plus d' « authenticité », plus de « naturalité perçue ». Trois ans de recherche et quantité de séances d'analyse sensorielle ont fait infuser cette recette marketing inédite. Le verdict « hédoniste » du consommateur est très attendu chez Unilever.
Le blues des consommateurs
Depuis six ans que l'Institut Louis-Harris, dans le cadre des Saveurs de l'année, leur demande s'ils sont satisfaits de l'aspect gustatif de leur alimentation, les Français se déclarent régulièrement déçus. Le dernier sondage connu (30 juin 2002) n'échappe pas à ce blues du goût : 44 % des personnes interrogées déclarent que les aliments ont de moins en moins de goût.
Le constat doit être nuancé selon les générations et les familles de produits. C'est chez les 50-64 ans que le sentiment de dégradation culmine, tandis que les classes d'âges plus jeunes se montrent davantage satisfaites de leur assiette.
Côté produits, la charcuterie, qui a longtemps souffert de critiques, compte aujourd'hui une majorité de satisfaits. Stipendié entre tous pendant des années, le pain fait une croix sur ses années noires et confirme le grand retour qu'il a amorcé il y a deux ans. En revanche subissent toujours l'opprobre les ufs, la viande ou les fruits et les légumes qui, malgré un léger redressement, continuent de décevoir les Français.
Malgré sa complexité, le goût reste ancré depuis des années comme l'un des deux axes essentiels de l'alimentation en tant que vecteur de plaisir (46 %) et de santé (46 %). Et près de la moitié des personnes interrogées admettent que le goût intervient systématiquement dans leurs critères d'achat (47 %).
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