Helicobacter pylori et cancer

Des stratégies en cours d'évaluation

Publié le 03/06/2004
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D'après un entretien avec le Pr Hervé Lamouliatte
service de gastro-entérologie, hôpital Saint-André, Bordeaux.

PRESENTE DANS 90 % DES CAS d'ulcère duodénal et dans 70 % des cas de cancer gastrique, Helicobacter pylori colonise la muqueuse gastrique antrale vraisemblablement dans l'enfance et déclenche une cascade d'événements histologiques avec apparition d'une métaplasie, prélude à une dysplasie et finalement à une néoplasie.
Sa fréquence est probablement sous-estimée, car, en cas de gastrite atrophique sévère, la bactérie, ne trouvant plus les conditions nécessaires à sa survie, va disparaître. H. pylori est strictement inféodé à la muqueuse gastrique humaine. La contamination est interhumaine.

Inflammation.
Les sujets infectés ont tous une réaction inflammatoire de la muqueuse (gastrite) et une réponse immunitaire humorale et cellulaire dirigée contre la bactérie. Entre 1 et 2 % d'entre eux seulement présentent suffisamment de symptômes pour consulter. L'éradication spontanée est rare et l'état inflammatoire persiste aussi longtemps que la bactérie est présente (souvent plusieurs décennies). La gastrite à Helicobacter peut rester stable ou évoluer, soit vers une maladie ulcéreuse, soit vers une atrophie de la muqueuse, pouvant aboutir à un adénocarcinome. Le tissu lymphoïde associé à la muqueuse gastrique (Mucosa Associated Lymphoid Tissu, ou MALT) qui apparaît lors de l'infection gastrique à H. pylori peut être à l'origine de lymphomes. Chez la plupart des individus, la gastrite chronique évolue sans autre conséquence et reste asymptomatique. Une faible proportion de personnes infectées développeront au cours du temps une maladie ulcéreuse (10 %) et un cancer gastrique (1 %). Les facteurs qui conditionnent ces différents modes évolutifs sont encore peu connus, mais on peut penser qu'ils sont à la fois liés à la souche infectante et à la réponse de l'hôte.
L'éradication des bactéries fait régresser l'inflammation, diminue fortement le risque de récidive des maladies ulcéreuses et le risque d'évolution carcinomateuse.
Les lymphomes à H. pylori régressent également après éradication de l'infection.

Eradication.
Faut-il prévenir tous les sujets infectés du risque potentiel qu'ils encourent ? Faut-il tous les traiter ? En France, la prévalence de l'infection à H. pylori est évaluée à 30 %, mais elle peut atteindre 90 %, voire plus, chez les sujets qui ne sont pas d'origine française, notamment ceux originaires du Maghreb.
La contamination dépend des conditions socio-économiques des individus, du degré de promiscuité dans lequel ils vivent. Elle se fait dans les premières années de la vie soit par voie salivaire, soit par voie oro-fécale, au cours d'une transmission intrafamiliale (mère-enfant, fratrie). Tout se joue au stade de l'enfance : si un individu n'est pas infecté dans la petite enfance, le risque qu'il le soit plus tard est très faible.
En France, grâce aux progrès de l'hygiène et à l'amélioration des conditions de vie, la prévalence de l'infection est en déclin chez les sujets jeunes : elle est maintenant inférieure à 10 % et restera la même quand ils auront 50 ans. La prévalence globale de H. pylori va donc être réduite de façon importante dans la population générale et, de ce fait, sa détection prendra une autre signification.

Eradication.
Aujourd'hui, le nombre d'adultes porteurs de la bactérie est important ; une stratégie d'éradication systématique fait courir un risque d'émergence de souches résistantes et représente un coût élevé. Le traitement d'éradication repose sur une trithérapie adaptée de sept jours, associant un inhibiteur puissant de l'acidité gastrique et deux antibiotiques (parmi l'amoxicilline, la clarithromycine et le métronidazole).
Dans ces conditions, la bactérie est éradiquée dans 70 % des cas. Les échecs sont liés à la résistance à la clarithromycine (entre 12 et 14 % des cas), ou au métronidazole (30 % des cas), ou encore à une mauvaise observance. Un traitement de deuxième ligne adapté en fonction des résultats de la sensibilité des souches est efficace dans 60 % des cas, mais il reste encore 5 à 10 % de non-répondeurs.
En France, le traitement est aujourd'hui réservé aux patients qui en font la demande et aux patients à risque (antécédents familiaux de cancer gastrique, de cancer du côlon, patients ulcéreux gastrique ou duodénaux, patients susceptibles de développer une gastrite atrophique...).
« Il y a aujourd'hui un autre objet de débat, souligne le Pr Hervé Lamouliatte, les infections à H. Pylori réduiraient le risque d'adénocarcinome œsophagien, comme le suggère une étude publiée récemment dans le "Journal of the National Cancer Institute". »
Pour l'heure, il reste que la corrélation entre infection à Helicobacter pylori et cancer gastrique est bien établie, des travaux de recherche actuellement en cours devraient permettre d'identifier des marqueurs de risque, de trouver des traitements plus efficaces et de répondre aux questions qui se posent encore sur les stratégies de dépistage et d'éradication de la bactérie.

> Dr MICHELINE FOURCADE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7553