Par le Dr P. Morice, institut Gustave-Roussy
CONCERNANT LA prise en charge des formes précoces, des travaux publiés ces deux dernières années précisent l'impact de la chirurgie de stadification sur les tumeurs a priori peu évoluées (stade précoce). Cette technique est intéressante, car dans 30 % des cas on détecte des anomalies non visibles lors de l'inspection chirurgicale. Ces essais montrent que la stadification complète permet d'augmenter la survie des malades. Outre le traitement de la tumeur annexielle (hystérectomie, annexectomie bilatérale), elle doit comporter au minimum : une cytologie péritonéale, une omentectomie, des biopsies péritonéales multiples. Des travaux récents indiquent aussi que la lymphadénectomie pelvienne et lombo-aortique est rentable, puisqu'il existe une atteinte ganglionnaire chez 20 % des patientes ayant une tumeur de stade I. Et même si en 2005 aucune étude prospective randomisée ne démontre un bénéfice de la lymphadénectomie en termes de survie, la plupart des équipes ont intégré cette stadification ganglionnaire dans la prise en charge des cancers de stade précoce.
D'autres travaux récents ont évalué l'intérêt des traitements conservateurs chez des femmes jeunes souhaitant préserver leur fertilité ultérieure. Si une telle option est discutée, de toute façon la chirurgie de stadification est impérative et doit comporter les mêmes gestes péritonéaux et ganglionnaires, mais en préservant l'utérus et l'ovaire controlatéral à la tumeur initiale. Les résultats carcinologiques semblent être comparables au traitement radical (ablation de l'utérus et des deux ovaires) chez des patientes ayant un très bon pronostic (stade I limité à un seul ovaire de grade 1, voire 2 et d'histologie « classique »).
Dans les autres situations, les résultats carcinologiques semblent beaucoup plus réservés et ce traitement conservateur est a priori contre-indiqué. Après la chirurgie, le traitement adjuvant est indiqué classiquement en cas de tumeur de stade > stade IB et/ou en cas de tumeur de grade 3 et/ou en cas de tumeur de type histologique plus défavorable (tumeur à cellules claires ou tumeurs anaplasiques). Si un tel traitement adjuvant est proposé, la plupart des équipes réalise maintenant une chimiothérapie complémentaire basée sur l'utilisation d'un sel de platine associé à du paclitaxel pendant six cures. Chez les patientes ayant une tumeur de stade précoce, il n'y a pas d'indication à réaliser un second look systématique à la fin du traitement adjuvant si la chirurgie initiale a été complète sur le plan péritonéal et ganglionnaire.
Une exérèse complète.
La prise en charge des cancers de l'ovaire de stade avancé (avec une extension péritonéale) a aussi beaucoup progressé ces dernières années. En effet, c'est la situation de diagnostic la plus fréquente (60 % des patientes). Une méta-analyse récente démontre que l'élément pronostique le plus important chez ces patientes est la qualité de la chirurgie initiale. Plus le reliquat tumoral en fin d'intervention est faible, plus les chances de survie de la patiente sont importantes. La situation optimale est de pratiquer une chirurgie ne laissant pas de reliquat macroscopique résiduel en fin d'intervention chirurgicale (exérèse macroscopique « complète »). Cette chirurgie nécessite une hystérectomie, une annexectomie bilatérale, une omentectomie, une lymphadénectomie pelvienne et lombo-aortique, voir une (ou des) exérèse(s) digestive(s), des péritonectomies élargies... Le gain sur la survie est très important comparé aux patientes n'ayant pas pu bénéficier d'une chirurgie complète. Cette chirurgie initiale complète doit être considérée comme la règle dans la prise en charge des cancers de l'ovaire.
Néanmoins, lorsque cette chirurgie complète n'est pas réalisable (car même en faisant des gestes radicaux, il va persister de la maladie résiduelle) ou réalisable mais avec de multiples gestes d'exérèses (et donc un risque de complications important), on propose maintenant la réalisation de trois à quatre cures de chimiothérapie première (mêmes modalités de chimiothérapie que celles proposées en cas de stade précoce) suivie de la chirurgie qui est dite « d'intervalle ». La chimiothérapie est poursuivie après la chirurgie intervallaire pendant trois à six cures selon l'importance de la carcinose. Le but de la chirurgie d'intervalle est toujours de réaliser une chirurgie la plus complète possible mais avec une situation locale plus favorable et des gestes d'exérèses moins importants. Les études préliminaires montrent que la qualité de vie des patientes après cette chirurgie d'intervalle est meilleure que lorsque l'on faisait une chirurgie très radicale initiale. Le taux de complications est significativement diminué et la qualité de vie améliorée. Néanmoins, il persiste une incertitude quant au bénéfice en termes de survie. Une étude multicentrique internationale est en cours et les résultats seront connus dans quatre à cinq ans. En attendant les résultats de cette étude, la prise en charge des cancers de l'ovaire de stade avancé est bien codifiée.
Conduite pratique face aux stades avancés.
Si l'état général de la patiente le permet, une évaluation chirurgicale est impérative (par cœlioscopie si possible), d'une part pour avoir une confirmation histologique et, d'autre part, pour évaluer la « résécabilité » des lésions. Si les lésions sont résécables, permettant une chirurgie macroscopiquement complète, la chirurgie initiale reste la règle suivie par six cures de chimiothérapie (selon les mêmes modalités que dans les stades précoces). Si lors de cette exploration chirurgicale les lésions paraissent trop diffuses et/ou non résécables, on réalisera des gestes biopsiques (lors de la cœlioscopie) et la patiente bénéficiera de trois à quatre cures de chimiothérapie. La chirurgie d'intervalle sera alors proposée chez les patientes présentant une bonne réponse à la chimiothérapie (85 % des patientes).
Enfin, chez les patientes qui présentent d'emblée un état général altéré ne permettant pas d'envisager une chirurgie initiale lourde, si la cœlioscopie d'évaluation peut être réalisée, on la fait (pour faire des biopsies et confirmer la nature ovarienne primitive de la lésion) ; sinon on propose des ponctions radioguidées (par scanner) d'une des masses tumorales pour avoir une confirmation histologique. Puis on débute la chimiothérapie et la chirurgie sera discutée après trois à quatre cures de chimiothérapie si l'état général s'est amélioré.
Chez ces patientes présentant une carcinose péritonéale importante et qui ont pu bénéficier d'une chirurgie initiale complète, un essai multicentrique français est en cours pour voir si après six cures de chimiothérapie adjuvante, une chimio-hyperthermie intrapéritonéale (CHIP) peut être proposée pour améliorer la survie de ces patientes.
Survie et qualité de vie.
En définitive, qu'il s'agisse de cancers de l'ovaire à un stade précoce ou avancé, les stratégies de prise en charge se sont modifiées ces dernières années. On mesure mieux l'importance de la chirurgie initiale qui doit être réalisée dans des centres habitués à de telle pratique pour donner le maximum de chance de survie aux patientes. Par ailleurs, l'objectif des équipes prenant en charge ces lésions est d'optimiser la survie des patientes, tout en préservant une qualité de vie la meilleure possible.
* Institut Gustave Roussy, Villejuif
Les difficultés du dépistage de masse
Concernant le dépistage, les examens complémentaires (marqueurs/CA125 et/ou l'échographie transvaginale) habituellement utilisés ne sont pas suffisamment performants pour proposer un dépistage de masse. Le CA125 est un marqueur assez sensible, mais peu spécifique. Néanmoins, il est normal chez 25 % des patientes ayant une tumeur a priori de stade limité - c'est-à-dire là où la maladie est la plus curable. Des études sont en cours au Royaume-Uni pour essayer d'affiner les modalités de ce dépistage. Par ailleurs, une étude récente souligne l'intérêt de la protéomique dans ce domaine (identification des protéines dont l'expression diffère entre le tissu normal et le tissu cancéreux). Un travail antérieur avait déjà donné des résultats très intéressants et il semble qu'il s'agisse d'une technologie d'avenir pour le dépistage des tumeurs de l'ovaire.
Si le dépistage de masse n'est pas encore au point, il est en revanche possible de repérer les populations à risque de cancer de l'ovaire, pour tenter de leur proposer un traitement prophylactique avant la survenue de la tumeur. On estime en effet que dans la population globale des cancers de l'ovaire, 5 % sont liés à une prédisposition héréditaire (environ 200 cas/an). Cette prédisposition héréditaire peut être décelée à l'interrogatoire en reconstituant l'arbre généalogique et en colligeant les antécédents carcinologiques personnels et/ou familiaux (plusieurs cas de cancer de l'ovaire et/ou du sein dans la famille). Lorsque le médecin traitant et/ou le gynécologue suspecte une prédisposition héréditaire, il est souhaitable de prendre contact avec une consultation d'oncogénétique.
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