L'UTILISATION d'épitopes de faible affinité est peut-être la solution pour l'immunothérapie antitumorale. Des travaux menés à l'institut Gustave-Roussy de Villejuif viennent en effet de démontrer que ces épitopes peuvent non seulement entraîner une protection antitumorale importante, mais que, en outre, le vaccin n'engendre aucune réaction auto-immune. Ces résultats n'ont pour l'instant été observés que chez la souris, mais leur nature encourageante est porteuse d'espoir.
L'immunothérapie antitumorale est une stratégie de lutte contre le cancer se fondant sur l'existence d'antigènes associés aux tumeurs (TAA pour Tumor-Associated Antigen). De nombreuses équipes de recherche tentent de tirer partie de l'existence des TAA pour diriger le système immunitaire contre les tumeurs qui les abritent. Ces expériences permettent d'obtenir des lymphocytes T qui reconnaissent les TAA et sont donc capables de détruire les cellules tumorales.
Des protéines du soi non mutées.
Cependant, la majorité des TAA sont des protéines du soi non mutées, fortement exprimées dans les cellules cancéreuses, mais également présentes dans de nombreux tissus normaux de l'organisme. Deux problèmes importants se posent donc lors de la mise au point de vaccins contre le cancer qui reposent sur l'utilisation de TAA . Normalement - premier problème -, notre système immunitaire ne s'attaque pas à notre organisme. Les TAA étant des protéines du soi, ils ne sont pas reconnus par nos lymphocytes T. Des stratagèmes ont donc été développés afin d'augmenter l'immunogénicité des TAA. Mais ces astuces entraînent l'émergence du second problème : l'immunothérapie antitumorale doit conduire à la reconnaissance et à la destruction des cellules tumorales exprimant une quantité importante de TAA, mais pas à celles des cellules normales de l'organisme qui n'expriment qu'une quantité modérée de ces protéines.
Un système permettant de sensibiliser le système immunitaire aux TAA présents à la surface des cellules tumorales, tout en évitant de provoquer des réactions auto-immunes, doit donc être développé pour que les immunothérapies antitumorales soient aussi efficaces que sûres.
Les protéines antigéniques ne sont pas présentées entières à la surface des cellules : seuls de petits morceaux de TAA arrivent à la surface des cellules pour être éventuellement reconnus par le système immunitaire. Ces petits peptides, ou épitopes, possèdent une plus ou moins grande affinité pour les molécules du complexe majeur d'histocompatibilité et sont plus ou immunogènes. Les épitopes de faible affinité sont très peu immunogènes, mais en les modifiant légèrement, il est possible d'augmenter leur immunogénicité. Gross et coll. ont eu l'idée de comparer l'efficacité et la sûreté de vaccins antitumoraux ciblant tous le même TAA, mais utilisant des épitopes différents, de plus ou moins grande affinité.
L'injection de cellules tumorales à des souris vaccinées.
Les chercheurs ont identifié deux épitopes de haute affinité et deux épitopes de faible affinité dans l'antigène TERT, un TAA exprimé dans 80 % des tumeurs. Les deux épitopes de faible affinité ont été modifiés de manière à les rendre plus immunogènes.
Les deux épitopes de haute affinité et les deux épitopes de faible affinité modifié ont ensuite été utilisés pour immuniser des souris contre l'antigène TERT. Une semaine après l'immunisation, les chercheurs ont injecté des cellules tumorales sous la peau des souris vaccinées puis ont suivi la croissance tumorale et la survie des animaux.
Chez les animaux vaccinés par les épitopes de haute affinité, les tumeurs greffées ont évolué comme chez des animaux contrôles non vaccinés. En revanche, chez les souris vaccinées avec les épitopes de faible affinité les tumeurs n'avaient pas grossi quarante jour après la greffe. Chez certaines souris, les chercheurs ont même observé une réduction, voire la disparition complète de la tumeur greffée.
Concernant la survie des animaux, alors que toutes les souris vaccinées avec les épitopes de haute affinité étaient mortes avant le 55e jour suivant la greffe tumorale, 25 % des animaux immunisés par les épitopes de faible affinité étaient toujours vivants, 80 jours après la greffe.
En outre, aucune réaction auto-immune n'a pu être mise en évidence chez les souris vaccinées par les épitopes de faible affinité.
Ces résultats suggèrent donc que l'utilisation d'épitopes de faible affinité semble résoudre les deux problèmes posés par l'immunothérapie antitumorale : ils permettent de mobiliser de manière efficace le système immunitaire pour détruire les tumeurs, sans pour autant engendrer la destruction des cellules normales de l'organisme.
Gross et coll., « Journal of Clinical Investigation » du 2 février 2004, pp. 425-433.
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