EN AOÛT 2005, une série de malaises inexpliqués surviennent chez le personnel d'un bloc opératoire central de l'hôpital Nord de Marseille alors que des travaux de rénovation et de mise aux normes incendie y sont menés. Ce sont d'abord des agents de la salle de réveil qui se plaignent de nausées, de douleurs abdominales, de céphalées, d'irritations de la gorge et des yeux. Malgré la fermeture de la salle, le phénomène s'étend et touchera 82 personnes. Les premiers contrôles environnementaux seront négatifs. Mais, devant l'ampleur et l'extension des symptômes, la Ddass et la direction de l'hôpital décident de fermer toutes les salles encore en fonctionnement. Les investigations sont poursuivies et mettront en évidence des expositions faibles à des polluants chimiques dans l'air et l'existence de problèmes de ventilation, mais qui ne pouvaient pas expliquer l'extension des symptômes aux trois quarts du personnel.
A la mairie de Villejuif et dans un collège des Ardennes.
Quelques mois plus tôt, de février à avril 2004, puis au début de l'année 2005, un phénomène identique est décrit à la mairie de Villejuif (Val-de-Marne). Quelque 17 % du personnel en 2004, puis 30 % en 2005, au total 70 personnes, ont présenté des épisodes répétés de manifestations irritatives des muqueuses et de la peau associés à des signes généraux bénins. Un facteur déclenchant est évoqué : la surchauffe des batteries d'un appareil informatique qui a occasionné la libération ponctuelle de vapeurs acides. Les analyses de l'air intérieur et l'inspection des installations industrielles proches, effectuées lors du premier épisode, ne permettent pas d'identifier une source de pollution, malgré des rumeurs de rejets de béryllium par une entreprise voisine ou de matières radioactives par une autre ou de diffusion d'un quelconque polluant à partir d'un chantier voisin. La seconde série de malaises conduit à l'évacuation d'une partie des locaux. Des investigations plus poussées ne décèleront aucune exposition toxique susceptible d'expliquer les symptômes.
Le 18 octobre 2004, c'est un collège des Ardennes qui doit cette fois faire face à une série de malaises. Quinze personnes sont touchées : 3 employés et 12 élèves, la plupart issus d'une classe de sixième ; 10 seront hospitalisés. Le premier malaise se déclare à la cantine où un élève se plaint de douleurs abdominales et de nausées. L'infirmière l'autorise à rentrer chez lui. A peine une heure plus tard, une élève d'une autre classe, connue pour avoir des malaises, s'évanouit dans la cour au moment de la récréation. Elle est évacuée par le Samu. L'alarme incendie se déclenche par deux fois accidentellement avant que ne surviennent d'autres cas avec des symptômes similaires. La fermeture temporaire de l'établissement est décidée par le procureur dès le lendemain. Des investigations sont menées. Là encore, elles ne permettront pas de mettre en évidence de source d'exposition liée aux symptômes, même si des concentrations de formaldéhyde supérieures à la normales sont retrouvées dans certaines classes ainsi que des défauts dans la ventilation. Chez les enfants hospitalisés, les symptômes disparaissent progressivement dans les 24 heures sans traitement. Aucune étiologie infectieuse ou toxique n'est retrouvée.
Epidémie de malaises.
Plus récemment, le 30 janvier 2006, un épisode collectif de malaises se produit au sein d'une chorale composée d'adolescents réunis dans une salle municipale à Pamproux, dans les Deux-Sèvres. Les élèves (170) étaient arrivés des communes voisines, pour la plupart en car, vers 9 h 15. Deux premiers malaises surviennent vingt minutes après le début de la répétition. Les pompiers arrivés sur place suspectent une intoxication au monoxyde de carbone et demandent l'intervention du Samu. Suit une série de malaises. Vers 13 heures, l'intervention a déjà mobilisé 8 véhicules de secours et 13 choristes sont hospitalisés. Tout au long de la journée d'autres se plaindront de symptômes (une centaine de personnes) et certains seront hospitalisés (23 au total, 22 filles et 1 garçon). Les premières recherches de CO réalisées à 10 h 30, grâce aux appareils du service départemental d'incendie et de secours, sont négatifs. Même chose pour les analyses effectuées l'après-midi par la cellule mobile d'intervention chimique (dans le car ou dans les salles). La mesure des gaz du sang effectuée chez tous les enfants hospitalisés ne détecte pas de présence de CO. Toutefois, le service d'urgence pédiatrique conclut à une «légère intoxication au monoxyde de carbone mais au-dessous du seuil de détection (5 % HbCO) ».
Incompréhension.
Ces quatre épisodes, sur une période d'à peine deux ans, sont décrits dans le dernier numéro thématique du « BEH », consacré aux syndromes psychogènes. Le phénomène est méconnu et sous-estimé. Pourtant, affirme Georges Salines (responsable du département Santé Environnement de l'Institut de veille sanitaire), «de nombreuses épidémies de ce type ont été rapportées en France et dans le monde entier». L'InVS et les cellules interrégionales d'épidémiologie sont régulièrement appelés à enquêter et à poser le diagnostic de syndrome psychogène. Mais un tel diagnostic rencontre presque toujours l'incompréhension : «Plus d'un siècle après que Charcot a démontré que les hystériques n'étaient pas des simulateurs et que Freud a découvert l'inconscient, il nous est toujours aussi difficile d'accepter que nos souffrances puissent être à la fois réelles et sans cause matérielle», poursuit le spécialiste.
Les épidémies de malaises d'étiologie non expliquée se caractérisent par la survenue de cas groupés de personnes présentant des symptômes somatiques, sans qu'une cause organique ne soit identifiée. Les symptômes, peu spécifiques, sont souvent attribués d'emblée à une exposition chimique environnementale ou professionnelle. Evoquer alors la possibilité de facteurs psychiques expose à des réactions telles que : «Il doit bien y avoir anguille sous roche», «Ça ne peut quand même pas être un effet de notre imagination!», il existe une cause «qu'on nous cache». Le déni affecte non seulement les victimes, mais aussi les intervenants et les décideurs, comme dans l'exemple des urgentistes qui sont intervenus auprès de la chorale et qui ont diagnostiqué une intoxication au monoxyde de carbone en dépit de dosages négatifs. «Nous souhaitons attirer l'attention de l'ensemble des praticiens (médecins scolaires, médecins du travail, urgentistes ou médecins généralistes) et de tous ceux qui sont amenés à intervenir sur l'existence de ce type de phénomène», explique au « Quotidien » Florence Kermarec (InVS), coauteure d'un article du « BEH » intitulé « Savoir poser le diagnostic de syndrome psychogène ».
Evoquer le diagnostic dès le début.
Reconnaître dès le début la composante psychique de ces phénomènes, sans attendre l'exclusion de causes objectivables, permet d'éviter les interventions disproportionnées et une gestion inadaptée qui renforcent l'anxiété collective et ont un coût économique important. Difficiles à identifier, comme en témoigne la diversité des termes utilisés pour les nommer – syndrome collectif d'origine psychogène, hystérie épidémique, épidémie psychogène, hystérie de masse, syndrome des bâtiments malsains –, ces phénomènes n'en ont pas moins des caractéristiques communes. Ils surviennent le plus souvent en milieu scolaire ou dans les lieux de travail. Un facteur déclenchant anxiogène (présence d'un odeur de gaz ou de fumée) est fréquemment retrouvé, de même qu'un cas index à partir duquel la maladie se propage par le son et la vue – la transmission se fait entre personnes qui ont des contacts proches. Les femmes sont plus souvent impliquées que les hommes, même si des épisodes impliquant seulement des hommes ont pu être décrits. Enfin, les symptômes sont peu spécifiques et, en général, de courte durée.
L'information et une communication concertée de toutes les parties prenantes sont également des éléments primordiaux de la prise en charge. «Dire que l'on a recherché des produits toxiques et qu'on ne les a pas trouvée est une vraie information. Mais elle doit être dite de façon à ce qu'elle soit entendue», conclut Florence Kermarec.
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