Malade, danger
« DANS L'IMMENSE majorité des cas, qu'on peut évaluer à 95 %, le patient psychiatrique n'est pas dangereux pour les autres. Et c'est un des métiers du psychiatre que de rappeler que les malades ne sont pas des monstres, qu'ils ne sont pas particulièrement dangereux. La plupart des crimes ou des délits ne sont pas commis par des malades mentaux. » Le Pr Michel Lejoyeux, (hôpital Bichat, Paris) insiste d'emblée sur ce qui lui semble la notion la plus importante à transmettre tant au corps médical qu'au public. Un message que renforce le Pr Frédéric Rouillon (hôpital Albert-Chennevier, Créteil), lorsqu'il rappelle que « le malade psychiatrique est bien plus souvent dangereux pour lui-même que pour les autres. »
« Il n'empêche, poursuit Michel Lejoyeux, qu'un médecin peut ressentir la menace d'un malade psychiatrique sans percevoir réellement ce qui est du domaine de la délinquance, de la transgression avec une dangerosité de l'ordre de la criminalité. »
Accès maniaques et délires chroniques paranoïaques.
Quelles sont les causes de l'agitation, de la dangerosité ? Pour le Pr Lejoyeux, les plus grands états d'agitation, avec opposition permanente aux soins, sont les accès maniaques. « Parce qu'un maniaque est euphorique, excité, désinhibé, qu'il n'a aucune envie de se faire soigner. Et qu'il se trouve face à quelqu'un qui veut le soigner par contrainte. L'opposition est quasi systématique. »
Ce point est d'importance. Il existe, en pratique, de multiples situations où l'on peut convaincre le patient, par la discussion, d'accepter l'hospitalisation. « Dans la manie, il existe vraiment une opposition entre l'euphorie et l'anosognosie, c'est-à-dire l'incapacité à se reconnaître comme malade. »
Ces situations sont difficiles à gérer, car elles peuvent survenir de manière brutale. Ce peut être un sujet sans antécédent, parfaitement calme, sans histoire ; ou bien encore un déprimé chez qui le traitement antidépresseur a eu trop d'effet et a induit un virage de l'humeur. D'où une dangerosité et une opposition majeure aux soins.
Le deuxième grand cadre de dangerosité éventuelle est celui des délires chroniques paranoïaques. Michel Lejoyeux en identifie deux formes particulièrement dangereuses. La première touche essentiellement le médecin : c'est l'érotomanie, « l'impression délirante d'être aimé ». Cette situation, rare il est vrai, doit être repérée, notamment devant des courriers amoureux, de plus en plus passionnés, enflammés, d'un ou d'une patiente. « Toute situation d'érotomanie doit faire soulever le risque de dangerosité et l'éventualité d'un appel aux forces de l'ordre. »
Viennent ensuite les hypocondries délirantes avec des délires de préjudice. L'exemple type est celui du patient qui a l'impression de ne pas avoir été reconnu ou bien soigné. C'est ce que les anciens appelaient « le délire postopératoire », dans lequel le patient accuse son chirurgien de l'avoir mal soigné et lui en tient une rancune, une haine tenace. Il s'agit bien d'un délire paranoïaque, qui ne s'applique pas qu'au corps médical.
Quand un paranoïaque est menaçant, la dangerosité est réelle. Elle nécessite, outre l'appel au psychiatre, le recours aux structures officielles chargées de la sécurité. Ce qui signifie qu'un médecin (ou tout autre individu) se sentant menacé ne doit pas hésiter à porter plainte. La menace est un délit. « On sort de l'exercice de la médecine. Il ne faut pas garder la menace pour soi, ne pas essayer de résoudre seul la situation, et ne pas culpabiliser. »
En dehors de ces deux grands cadres les plus représentatifs, la dangerosité des schizophrènes est bien plus rare. « Ils sont dans l'ensemble plutôt agités, souvent incohérents, mais posent peu de problèmes d'agressivité, sauf dans les moments très florides de l'affection. »
Le spécialiste ajoute le risque qui gravite autour de la toxicomanie. Il est double. « Soit le toxicomane veut extorquer une ordonnance à son médecin, soit le danger vient d'un toxicomane dans un état délirant. »
Une forme récente, difficile à gérer.
Cette description des situations à risque se complète d'une forme récente, actuelle difficile à gérer « que nous voyons dans toutes nos urgences psychiatriques hospitalières ». Il s'agit du patient à la fois maniaque, excité, délirant dans une psychose toxique induite par les drogues. « Il est particulièrement difficile à prendre en charge en raison d'un niveau particulièrement élevé au moins d'agitation, si ce n'est d'agressivité. »
Enfin, à la frontière du social et du médical, du comportement délictueux et du trouble mental, est la personnalité dite « antisociale » ou psychopathique, « marquée par les comportements transgressifs à répétition (vol, violence) sans sentiment de remords ou de culpabilité ».
Pour conclure, le Pr Lejoyeux insiste sur l'identification d'une agitation liée à un accès maniaque, à un état délirant, sur le repérage d'une menace précise, formulée clairement, et sur la mise en place du processus de soins qui doit en découler.
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