La désobéissance civile se répand en France

Des sans-papiers protégés

Publié le 03/07/2006
Article réservé aux abonnés
1276192375F_Img234517.jpg

1276192375F_Img234517.jpg

CONTRE LE LÉGISLATEUR, le coeur. Le mouvement de solidarité en faveur des enfants scolarisés, mais sans papiers, et leurs familles, va à l’encontre des réglements en vigueur. Il s’agit d’une forme de désobéissance civile qui, d’une part, a des précédents, par exemple l’arrachage sauvage des plants OGM, et, d’autre part, bénéficie d’une tolérance démocratique : il est admis que, si des citoyens estiment que des dispositions légales leur semblent iniques, ils ont le droit d’exprimer leur désaccord, et même de tenter de faire passer leurs idées en force.

Malheureusement, la désobéissance civile n’est pas reconnue formellement, comme l’est le droit de grève. Elle peut donc tout aussi bien être acceptée ou rejetée par la justice. En fait, pour rétablir l’ordre, la magistrature dispose de nombreux outils qu’elle peut appliquer ou non à sa guise. Ce qui limite l’action du gouvernement et de la justice, c’est la popularité d’un mouvement. Aux Etats-Unis, l’hostilité à la guerre du Vietnam a donné lieu à d’immenses manifestations et actions de protestation, assorties d’actes réprimés par la loi, par exemple la destruction d’une convocation au service militaire ou la désertion pure et simple.

Vérité du jour et vérité du lendemain.

Quand les forces américaines se sont retirées du Vietnam en 1975, tous les cas de désertion qui avaient donné lieu à des poursuites ont été réglés à l’amiable et les déserteurs ont pu rentrer chez eux sans encombre. Le meilleur moyen de s’engager rapidement dans une réconciliation nationale, c’était de fermer les yeux sur la nature du délit et d’oublier les rigueurs de la justice. D’autant que, sur le plan moral, les faits avaient fini par donner raison aux jeunes Américains hostiles à la guerre.

La vérité du lendemain chasse en effet celle de la veille. Et cela est valable pour la question des sans-papiers : rien n’interdit de penser que le prochain gouvernement adoptera une nouvelle loi sur l’immigration qui légalisera la situation des immigrés clandestins.

La désobéissance civile s’exprime au nom d’une logique de proximité. Des enfants immigrés, tout aussi aimables que n’importe quel autre enfant, fréquentent une école où ils nouent des amitiés et même des liens d’affection avec leurs camarades ; ils s’intègrent au système scolaire et à la société civile aussi bien que des adultes immigrés clandestins qui ont trouvé un emploi et font apprécier leur compétence. Ceux qui les approchent ne comprennent pas pourquoi on devrait les expulser alors que leur seul délit est d’avoir franchi la frontière sans avoir obtenu un certain coup de tampon ou un certain document. La solidarité s’exprime donc sous la forme d’une révolte contre la bureaucratie et les pesanteurs institutionnelles, contre les dispositions générales incapables de recouvrir les cas particuliers, c’est-à-dire des sentiments particuliers, contre des règles aveugles qui, dans un contexte purement humain, semblent absurdes.

UNE POLITIQUE DE L'IMMIGRATION NE PEUT ETRE APPLIQUEE QU'AVANT L'ARRIVEE DES IMMIGRES

Culture républicaine.

La nécessité de limiter les flux migratoires ne résiste pas à un mouvement du coeur qui est dicté par la culture républicaine ; ceux qui ont de bonnes notions de civisme, ceux à qui on a enseigné les exigences de la solidarité humaine et une générosité sans laquelle tout homme sombre dans l’indifférence ou même l’abjection, sont les meilleurs candidats à la défense des sans-papiers. Ce sont, en quelque sorte, les meilleurs d’entre nous.

D’aucuns ont peut-être fait un amalgame quand ils ont comparé leur action à celles des « Justes », qui ont sauvé des Juifs pendant l’Occupation. Les enjeux sont différents (autrefois, la mort ; aujourd’hui, une forme d’exil) et les risques courus n’ont aucun rapport. Mais il s’agit tout de même, dans les deux cas, d’une action individuelle contre l’ordre établi, quelle que soit sa nature. Ce qui crée un doute quant au dispositif régissant l’immigration : n’est-il pas inspiré, au moins en partie – et dans son désir d’efficacité –, par le réflexe d’exclusion qui a imprégné l’ordre pétainiste ?

Certes, le gouvernement se fâche et s’en défend, en démontrant sans difficulté que le laxisme en matière d’immigration peut avoir des conséquences très graves sur les plans financier et social. Le dernier mot appartient en l’occurrence à celui qui dit que lorsqu’un immigré a pénétré sur le territoire français, il est déjà trop tard. C’est avant son arrivée que doit s’exercer à plein notre politique d’immigration.

> RICHARD LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7992